Que reste-t-il d’humain dans les RH? Cette question volontairement provocatrice est née d’un bête constat sur LinkedIn et d’une observation à la photocopieuse de la Migros du quartier. Commençons par le plus grand réseau social professionnel, où la démultiplication des cris du cœur des candidats «en attente d’une opportunité professionnelle» ne vous aura pas échappé. Ils s’expliquent par la démultiplication (elle aussi) des non-réponses à leurs postulations. Silence radio, nada… Les départements de ressources humaines semblent avoir perdu leur langue ou les rudiments de la politesse qui exigeraient – au moins – un accusé de réception.

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Passons à l’observation. A la Migros du coin, une femme à l’aube de sa cinquantaine fait de la monnaie à la caisse pour la photocopieuse. Elle peaufine visiblement ses dossiers de candidature. Elle prend soin d’avoir des copies de ses diplômes, références et attestations en nombre suffisant. Elle a même acheté de quoi relier chaque dossier. Pour elle, c’est la double peine. Non seulement cette candidate n’obtiendra pas de réponses des RH, mais elle entre dans la vallée de la mort professionnelle. Dans la tête des recruteurs, une femme de 50 ans est une senior. D’ailleurs, le taux de chômage des 50-65 ans est très haut par rapport aux autres classes d’âge, selon les chiffres du mois de mai publiés par le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco).

Une aiguille dans une botte de foin

Ces deux exemples anecdotiques pourraient diaboliser les RH. Ils illustrent en fait l’ampleur du séisme numérique frappant la fonction depuis 2010. Avec l’avènement du big data, la puissance analytique et prédictive des données vient soulager les recruteurs du poids de leur fonction. Ce management scientifique répond aux nouvelles problématiques de recrutement des entreprises: la mondialisation du travail, la pénurie de talents dans certains secteurs, l’émergence de nouveaux profils et l’absence de visibilité des entreprises quant à leurs besoins de compétences dans le futur. L’enjeu est de taille. Il se résume pour elles à trouver une aiguille dans une botte de foin. En d’autres termes, il faut cibler la bonne personne, sur les bons canaux, et au bon poste dans un océan de candidatures et de réseaux.

En théorie, car dans la pratique, c’est plus compliqué: «L’acquisition de talents a besoin de ce type d’outils», souligne Lennig Pedron, présidente et cofondatrice de l’ONG internationale ICON. Celle-ci œuvre sur la confiance numérique avec un accent sur la cybersécurité et l’intelligence artificielle. «Pour les recruteurs, la masse d’informations à gérer a été exponentielle ces dernières années. Ce n’est pas si simple de bien jauger les candidats. La mise en place des algorithmes permet de traiter un volume d’informations plus important, en aidant à la qualification des candidatures, et donc, bien paramétrée, elle devrait offrir plus de transparence avec les candidats et favoriser les échanges humains. Ce n’est pas la technologie qui est bonne ou mauvaise mais c’est ce que l’on en fait.»

Immaturité numérique

Cet effort d’optimisation des méthodes de recrutement est fait très en amont. Dans le jargon RH, on appelle cela le «sourcing». Il vise à améliorer les techniques de présélection des candidats par le choix de mots-clés spécifiques, une meilleure indexation des dossiers ou l’usage de nouveaux logiciels de tri, par exemple. L’intelligence artificielle (AI) est venue compléter le tableau. Avec leur grille de lecture et d’analyse, les algorithmes scannent les dossiers de candidature ou les profils adéquats dans le cadre d’un recrutement proactif. Les premiers entretiens ont ensuite lieu face à un agent conversationnel, ou chatbot. En fonction du ton de la voix, des expressions faciales du candidat et de son champ lexical, l’AI va faire un «matching» – une équivalence – avec le profil du poste.

Ainsi, dans plusieurs multinationales suisses, les premières phases du recrutement sont assumées par un algorithme. En d’autres termes, il faut attendre les étapes finales avant que le ou la candidat(e) rencontre un être humain et lui expose ses motivations. Non, cela, les algorithmes le savent déjà. Alors pourquoi déléguer à la technologie un processus stratégique aux multiples enjeux pour l’entreprise? Justement parce que c’est stratégique et qu’il ne faut pas se tromper. Un recrutement coûte de l’argent, du temps et de l’énergie, d’autant plus dans une multinationale où une mise au concours d’un poste reçoit des candidatures mondialisées.

Cette automatisation gagne d’autres pans: rédaction de certificats et de contrats de travail, lettres de licenciement, réponses automatiques à des postulations, mesures de performance. Mais elle se limite aux entreprises d’une certaine taille qui ont les assises financières suffisamment solides pour investir dans ce type de solutions. A l’étranger, elle est monnaie courante. Dans l’étude 2018 menée sur 219 entreprises romandes (106 190 employés) par l’institut de recherche HR Bench, la moitié des sociétés sondées jugent les compétences et la maturité numérique de leur management, ainsi que de leur service RH, de faibles ou très faibles. Elles avancent un manque de ressources et de compétences comme principal obstacle à la transformation numérique.

Avis de décès du CV

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Laetitia Kulak, Global HR Talents

Pourtant, l’étude «Personalmanagement Trends 2016», dirigée par l’entreprise de logiciels RH Jacando en partenariat avec le site HR Today et l’Association suisse des PME, soulignait que la numérisation des ressources humaines pouvait permettre aux PME suisses de réaliser des économies de l’ordre de 130 millions de francs par an. Un constat parmi d’autres qui pointe le retard de la fonction RH en Suisse: «Elle n’a pas encore pris pleinement conscience de l’impact des nouvelles technologies. Ce n’est pas un wagon qu’il faut rattraper, c’est un train entier», s’alarme Laetitia Kulak, directrice et fondatrice de Global HR Talents.

Experte depuis vingt ans dans les ressources humaines, Laetitia Kulak a vu son métier radicalement changer. Mais contrairement à d’autres, elle a sauté à temps dans le train numérique, en prenant soin d’enterrer le bon vieux CV. «Il est complètement dépassé, confirme Laetitia Kulak. Je ne regarde même plus les dossiers classiques. Ce n’est plus comme cela que l’on postule et que l’on recrute. Google, c’est le curriculum vitae de tout le monde. A nous d’aller chercher ces informations et de les comparer au profil d’un poste.» L’experte chasse partout, sur toutes les plateformes, et innove dans ses méthodes de recrutement. «Je recrute par capsules vidéo, j’envoie des annonces visuelles, j’organise des serious games. Je passe de plus en plus souvent des stories recrutement sur les réseaux sociaux comme Instagram ou Twitter pour toucher un maximum de profils connectés.»

Le CV est complètement dépassé. Google est devenu le curriculum vitae de tout le monde.

Laetitia Kulak, fondatrice de Global HR Talents

Mais pourquoi? «La guerre des talents fait rage partout, souligne Laetitia Kulak. Les jeunes se positionnent différemment sur le marché du travail. Ils utilisent d’autres canaux de communication. Pour les approcher, et les séduire, il est impératif de les toucher sur leurs canaux.» Dans sa boîte à outils numérique, Laetitia Kulak plébiscite les Applicant Tracking Systems, ou ATS. Ces applications web assistent son travail de recrutement en allant fouiller la Toile par mots-clés à la recherche de profils qui pourraient correspondre au poste. «Je ne fais pas un clonage de CV avec une description de poste, précise Laetitia Kulak. Ces ATS vont me permettre de recruter sur des soft skills, c’est-à-dire les qualités non professionnelles. Je vais les programmer avec des mots-clés tels qu’aisance, dextérité, empathie, gestion du temps. Avec ce système, je vais recevoir des profils nouveaux que je n’aurais pas recrutés en tant qu’humain.»

Vers une nouvelle discrimination à l’embauche?

Sauf que les algorithmes ne sont pas neutres. Ces logiciels ultra-performants conçus pour prendre des décisions sans intervention humaine reflètent un certain nombre de biais. La raison est toute simple. Le propre du machine learning (apprentissage automatique) consiste à nourrir les algorithmes avec des données et des mots-clés, par exemple «performant», «autodidactique». C’est sur cette matière qu’ils créent leurs propres grilles de lecture. Les mots-clés nourrissant les algorithmes mettent en lumière les biais de ceux qui les ont programmés, généralement des hommes blancs hétérosexuels.

Yves Emery est professeur en management public et gestion des ressources humaines à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP). Dans son dernier livre, Gestion des ressources humaines, pour le meilleur et pour le pire (lire l’interview), il revient sur le cas controversé d’Amazon révélé en octobre 2018. Quatre ans plus tôt, la multinationale technologique travaillait sur un programme secret de recrutement de ses effectifs. Cette intelligence artificielle notait les dossiers des candidats sur une échelle d’une à cinq étoiles. L’année suivante, Amazon se rend compte que l’algorithme écarte automatiquement toutes les candidatures féminines. La raison? Afin de cibler les bons profils, l’AI s’était entraînée sur les candidats que la firme avait embauchés au cours des dix dernières années. Comme la plupart étaient des hommes, la machine a simplement reproduit ce schéma sexiste.

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En 2014, Amazon utilisait un programme d’intelligence artificielle dans ses RH. Problème: l’algorithme écartait systématiquement les candidatures féminines!
© J.Meyer/Keystone

Amazon a depuis abandonné ce programme. Mais la question du biais algorithmique se pose toujours à mesure que ces assistants s’émancipent dans les fonctions RH. Plusieurs entreprises investissent donc davantage de moyens pour «corriger» ces biais et s’assurer une diversité des profils.

Le pilotage de compétences

A Genève, l’entreprise Skillspotting a développé une solution performante pour contourner le problème. «Il s’agit d’un outil de management par les compétences qui va répondre aux grands enjeux de la fonction RH et aux défis plus généraux sur le marché du travail, explique Nicolas Quoëx, cofondateur de Skillspotting avec Sylvain Mossière. Le problème principal des ressources humaines est très simple: elles sont très souvent déconnectées de la stratégie de l’organisation et de la réalité du terrain. A nous de les reconnecter. L’autre problème est le skills gap, ou fossé de compétences. Certains profils deviennent rares, voire très rares. On se retrouve aujourd’hui avec des personnes très compétentes mais qui ne trouvent pas de travail. Et, de l’autre côté, on se retrouve avec des postes ouverts qui ne trouvent pas de candidats.»

Selon Nicolas Quoëx, ce skills gap est une conséquence de la révolution numérique: «L’intelligence artificielle et les nouveaux outils transforment de plus en plus vite les métiers et les organisations. Au point que dans le monde du travail, les gens n’ont plus toujours les compétences recherchées. Un autre impact de cette révolution est que nous devons apprendre à collaborer avec des robots et de l’intelligence artificielle. Dans certaines manufactures horlogères suisses, il y a aujourd’hui des collaborateurs qui apprennent aux robots à effectuer le polissage des pièces. L’humain leur transmet donc un savoir-faire technique. A l’avenir, un facteur va devoir apprendre à piloter des drones. Malheureusement, dans certains secteurs, la transformation est telle que l’on fait face à la substitution de l’humain par la machine, principalement pour des postes nécessitant très peu de compétences.»

Afin de relever ce défi, Skillspotting mise donc sur le pilotage des compétences techniques et comportementales. «Pour réduire le skills gap, il faut avoir la capacité de connaître précisément les compétences dont on a besoin dans l’entreprise pour soutenir le déploiement de la stratégie, souligne Nicolas Quoëx. De plus en plus d’entreprises réduisent le nombre de collaborateurs fixes et travaillent avec des prestataires externes et des indépendants sur des mandats spécifiques. Ce modèle est en pleine croissance. Il faut donc repenser le recrutement et la gestion de carrière. Le marché de l’emploi a complètement changé. Aujourd’hui, on change de poste tous les deux ans en moyenne.»

Corriger les biais cognitifs

A quoi ressemble ce pilotage de compétences? «Notre logiciel va permettre à un individu de gérer son portefeuille de compétences et son employabilité. Et pour l’entreprise de diriger un portefeuille dynamique de l’ensemble des compétences de ses collaborateurs par rapport aux postes occupés, et aux postes dont elle aura besoin dans le futur.» Pour ce faire, le logiciel Skillspot permet de lister via un référentiel structuré l’ensemble des compétences techniques des collaborateurs et des candidats, et mesure grâce à un outil psychométrique leurs préférences comportementales. L’entreprise a donc développé un outil permettant de visualiser l’ensemble des compétences et de les piloter en temps réel, à travers des tableaux de bord dynamiques.

Le cofondateur de Skillspotting précise: «Le système évite les biais cognitifs puisqu’il ne s’occupe pas des critères d’âge, de genre et de nationalité, souligne Nicolas Quoëx. De plus, il remet l’humain au centre et accélère fortement la prise de décision. Au lieu de perdre du temps dans l’administratif et la recherche de profils, les RH peuvent se consacrer aux entretiens.» Fondée en 2014, Skillspotting a réussi une importante levée de fonds l’année dernière sur la plateforme Raizers. L’entreprise accompagne dans la transformation de leurs pratiques plusieurs organisations, dont l’Office cantonal genevois de l’emploi, les SIG, l’Hôpital du Jura, Accès Personnel et le CICR.

Malgré le développement d’outils modernes de sourcing et la multiplication des différentes plateformes et autres job boards, un grand nombre d’entreprises s’appuient encore sur des cabinets de recrutement, à l’instar de Brodard Executive Search. Ce cabinet suisse, fondé il y a bientôt dix ans par Nathalie Brodard, identifie et sélectionne des talents dans des univers aussi différents que le domaine bancaire, le luxe, les assurances mais aussi dans le domaine du parapublic ou celui des PME.

Inversion du rapport de force

«Les recrutements se font encore beaucoup par recommandations et grâce à notre réseau, explique Nathalie Brodard. Nous utilisons bien entendu les plateformes de réseaux sociaux, mais ce ne sont de loin pas nos principales sources de candidats. Nous constatons que, dans certains domaines, en banque par exemple ou lorsque les experts se font rares, les candidats se sentent «harcelés» et sont agacés par les approches directes et quotidiennes des recruteurs locaux ou internationaux. Nous préférons donc diversifier les réseaux et cibler la recherche de profils sur des canaux très spécifiques et par le biais de nos contacts personnels.»

Depuis plusieurs années, le rôle des recruteurs a évolué et s’est intensifié, selon Nathalie Brodard: «La course aux talents fait rage. Les clients nous demandent des profils de plus en plus complexes, le fameux mouton à cinq pattes. Ils attendent que nous les accompagnions et que nous leur trouvions le ou la candidat(e) idéal(e), non seulement par rapport aux exigences du poste, mais aussi qu’ils correspondent aux valeurs de l’entreprise ainsi qu’aux défis et spécificités du moment et de la branche.» Cette multiplicité de facteurs, dont certains sont directement liés aux compétences personnelles, ne saurait être facilement remplacée par des algorithmes.

Un autre point à ne pas négliger est l’image de la société en qualité de potentiel employeur. «Si une entreprise souhaite attirer (et retenir) les meilleurs talents, elle doit apprendre à développer sa marque employeur, c’est-à-dire à s’assurer de son attractivité et de son positionnement vis-à-vis de potentiels candidats. Face à la concurrence, une entreprise doit se démarquer et cela se fera grâce aux personnes qui y travaillent et avec elles, donc encore et toujours des hommes et des femmes», conclut Nathalie Brodard.

La technologie peut aussi permettre de remettre l’humain au centre.

Nicolas Quoëx, cofondateur de Skillspotting

Autre constat: avec l’arrivée de la génération Y sur le marché du travail, le secteur de l’intérim est en plein boom. «Elle n’est plus attirée par des plans de carrière, mais par des expériences enrichissantes générant un impact rapidement mesurable. Elle préfère gérer elle-même son agenda annuel en décidant des périodes d’activité et de celles pour les loisirs», constate Robin Gordon, directeur général d’Interiman Group. Sur les vingt dernières années, le marché suisse du travail a enregistré une croissance annuelle du travail temporaire de 10% en moyenne. Tout simplement parce que l’intérim matérialise le rêve des entreprises de disposer des ressources humaines appropriées au bon moment et selon ses besoins. Mais aussi celui des actifs en quête de liberté et d’autonomie.

Recherches proactives

Tout cela, bien évidemment, chamboule le recrutement: «Elles ne vous le diront pas directement, mais toutes les entreprises cherchent à diminuer leurs coûts fixes et à augmenter leurs coûts variables, précise Robin Gordon. Il s’agit de travailler davantage avec des externes et par compétences projets. Jusqu’à récemment, nous étions relativement passifs. Nous étions dans une logique de poster des annonces et d’attendre les candidatures. Ce qui a changé avec le digital, c’est notre capacité à pouvoir chercher de manière proactive sans attendre un acte de postulation.»

Au début de la révolution, les recruteurs d’Interiman ont pu progressivement privilégier l’approche directe sur les réseaux professionnels tels que LinkedIn, selon les profils recherchés. «Car avec la possibilité de diffuser passivement des offres d’emploi sur internet, on a très vite été submergés par les candidatures. Une annonce sur internet est visible mondialement, et même le comptable indien va la voir et tenter une postulation, alors que son potentiel d’employabilité en Suisse est quasiment nul.» Depuis, l’entreprise utilise un ATS (Applicant Tracking System) avec un ciblage des profils par mots-clés.

La blockchain comme rempart aux tricheurs

Certes, ces mots-clés permettent de mâcher le travail du recruteur et d’éliminer certaines incompatibilités de profils, mais peut-on s’y fier aveuglément? Un candidat peut très bien récrire son profil LinkedIn avec les mots-clés les plus recherchés par ces robots. Et ainsi susciter la curiosité des ATS, ou, à l’inverse, passer entre les mailles du filet. C’est sans compter les tricheurs. Selon Thomas Giacomo, conseiller au sein de la société genevoise WeCan, active dans les solutions blockchain, un tiers des gens mentent sur leurs diplômes. Et la moitié sur leur CV. La blockchain pourrait éradiquer ces tricheurs. La technologie algorithmique, certifiant tous les échanges de pair à pair dans un écosystème décentralisé qui ne dépend pas de la compétence d’une autorité, se prépare un avenir dans les RH.

Par exemple dans la certification des diplômes: «Nous sommes aujourd’hui capables d’inscrire un diplôme ou un certificat de travail dans une base de données blockchain, explique Thomas Giacomo. Cela permet à une entité d’aller vérifier par elle-même l’authenticité des références d’un candidat. Elle s’économise ainsi la tâche d’aller contrôler auprès de chaque ancien employeur et centre de formation.» Pour l’heure, le déploiement de la blockchain aux fonctions RH est à l’étude. Mais WeCan ne doute plus de son potentiel.

Retour à notre provocation du début: que reste-t-il d’humain dans les RH? En fait, beaucoup de choses, et même davantage que par le passé. En déléguant à la technologie la gestion des risques d’un mauvais recrutement et les tâches administratives chronophages, les ressources humaines se recentrent sur l’individu et ses compétences. Mais l’avenir sera-t-il réduit à des candidatures par mots-clés? Comment entrer dans la subtilité des rapports humains? Tous ces mécanismes psychosociologiques ne peuvent pas être limités à des paramètres algorithmiques. Ces derniers sont des aides à la décision. Au cœur de cette révolution numérique, il y a donc une ligne rouge à ne pas franchir: que les algorithmes deviennent décisionnels.


Bananeapp, le Tinder de l’emploi

Il n’est pas aisé pour les jeunes de décrocher un premier emploi. Née sur le campus de l’EPFL, l’application de la start-up cible les offres destinées uniquement aux jeunes diplômés.

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Bananeapp cherche à lever 200 000 francs pour se développer dans toute la Suisse.
© DR

Il y a un paradoxe sur le marché de l’emploi en 2019. D’un côté, les RH investissent beaucoup dans les nouveaux modes de recrutement afin d’attirer des profils jeunes et digitalisés. De l’autre, ces mêmes jeunes ne trouvent pas de premier emploi. Afin de remédier à cette situation, la start-up Bananeapp, née sur le campus de l’EPFL, a lancé une application prometteuse. Elle prend les traits d’un «Tinder de l’emploi», selon les termes de ses cofondateurs Christophe Badoux et Arnaud Cachin: «Nous nous sommes rendu compte qu’il n’existait aucun outil de recherche d’emploi pour les jeunes diplômés, explique Arnaud Cachin. Sur des plateformes comme JobUp, il faut scroller des centaines d’annonces pour tomber sur un poste junior ou qui ne requiert pas cinq ans d’expérience. Notre application fait l’inverse, en misant exclusivement sur les jeunes pour des stages et des premiers emplois.»

Sur Bananeapp, les CV des candidats font 140 caractères et la visualisation des offres prend 30 secondes: «Lorsqu’une entreprise poste une annonce, nous allons la relayer sur les réseaux sociaux pour toucher des profils jeunes spécifiques, ajoute Arnaud Cachin. Notre communauté avoisine les 63 000 personnes.» Parmi les clients de Bananeapp, il y a les grandes associations étudiantes (IAESTE) et des entreprises telles que Swiss Life Select ou Medtronic. Cent vingt entreprises ont testé l’application: «Le recrutement se joue aujourd’hui sur les réseaux sociaux. Pour qu’il soit efficace, il faut créer une communauté. Les entreprises ne vont pas dépenser du temps et de l’argent pour constituer ces communautés. Il y a donc un intérêt à passer par nous.» Fort de son succès, Bananeapp cherche à lever 200 000 francs auprès d’investisseurs pour un développement en Romandie et en Suisse alémanique.


Adopter la tactique de la pénurie

Softcom engage les talents avant même d’avoir trouvé les clients pour lesquels ils travailleront. «Parce qu’un talent amène automatiquement un client.»

A Fribourg, Rémy Tzaud a bien compris l’importance de rendre désirable sa société informatique, sans l’embellir. Directeur général de Softcom (60 employés) depuis le mois de septembre 2018, il a réussi à doubler ses effectifs dans le marché – l’IT – où la pénurie de talents est la plus forte. «Nous développons des solutions web dans les domaines de l’énergie, des transports, et pour le gouvernement. Depuis plusieurs années, Softcom évolue dans un contexte paradoxal: les besoins du marché sont de plus en plus importants, mais les profils manquent, constate Rémy Tzaud. Nous avons donc adopté la tactique de la pénurie. Dès que l’on tombe sur un talent, nous l’engageons, même si nous n’avons pas encore le client.» Cette stratégie lui a permis de développer les affaires, «parce qu’un talent amène automatiquement un client».

Softcom complète sa tactique en misant sur la cooptation et le recours à des chasseurs de têtes des deux côtés de la Sarine. A cela s’ajoutent plusieurs événements portes ouvertes annuels pour faire découvrir l’entreprise à de potentiels candidats. «Notre idée est d’ouvrir cela à nos clients, partenaires et concurrents, explique Rémy Tzaud. Nous cherchons tous les mêmes profils, alors autant chasser ensemble.» Le choix du candidat se portera sur l’offre la plus attractive.

Alors Rémy Tzaud ne lésine pas sur les moyens de rétention: diversité et intérêt des projets, organisation horizontale et agile, télétravail, courses d’école bisannuelles, salle de repos, bonne rémunération, cafés gratuits, abonnement général offert, possibilité d’adapter chaque année son taux d’activité et système d’achat-vente de vacances pour celles et ceux qui en veulent plus ou moins selon leur projet. Avec cela, Rémy Tzaud espère engager 40 nouveaux collaborateurs d’ici à 2021.


«S’intéresser au bien-être du personnel, c’est aussi le rendre plus performant»

Dans son ouvrage «Gestion des ressources humaines: pour le meilleur et pour le pire», le professeur Yves Emery analyse les méthodes actuelles des RH à la recherche d’autres voies possibles favorisant l’humain.

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Le professeur Yves Emery met en lumière les dérives, ainsi que les bienfaits, des technologies dans les RH.
© Stéphanie Liphardt

Malgré d’innombrables avancées, le vécu professionnel d’un nombre croissant de travailleuses et de travailleurs engendre stress, mal-être et même burn-out. En cause? Des pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) contestables et une pression à la performance difficilement soutenable. C’est du moins l’analyse d’Yves Emery. Le professeur en management public et gestion des ressources humaines à l’Institut de hautes études en administration publique (IDHEAP) cosigne, avec ses collègues David Giauque et François Gonin, Gestion des ressources humaines: pour le meilleur et pour le pire.

Un ouvrage qui s’immerge dans la réalité des organisations toujours plus complexes, car confrontées à des exigences sans cesse croissantes. Yves Emery analyse les méthodes actuelles des ressources humaines, à la recherche d’autres voies possibles. Il plaide en outre pour une plus grande responsabilisation sociale des entreprises.

Pourquoi ce livre, et que se cache-t-il derrière ce titre: «Pour le meilleur et pour le pire»?

Le titre ne cache rien. Il révèle toute une histoire du monde professionnel depuis un siècle au moins. Nous constatons que les mêmes pratiques RH peuvent avoir des effets catastrophiques sur l’individu, ou à l’inverse, contribuer à le construire. Par exemple, l’évaluation de la performance. Il existe beaucoup de recherches sur la question, dont les enseignements ne sont pas toujours mis en pratique: selon la manière dont l’évaluation est pratiquée, les effets peuvent être très motivants ou, au contraire, détruire la personne évaluée. Autre exemple: le secteur public a intégré la rémunération à la performance alors que, dans le privé, ce système faisait déjà grincer des dents. Distinguer le bon grain de l’ivraie, voilà la raison de ce titre.

Comment analysez-vous l’évolution de la fonction RH depuis dix ans?

Il y a du bon et du moins bon. Le meilleur, ce sont des ressources humaines qui permettent aux collaborateurs d’être des atouts décisifs dans la bonne marche de l’entreprise, quelle que soit sa taille. Le pire, ce sont des RH instrumentalisées par la direction, qui sont dans l’impossibilité de considérer le personnel comme un partenaire. Hélas, nous trouvons de tout dans ce registre. Mais peut-être qu’aujourd’hui ces différences sont de plus en plus exacerbées.

Les ressources humaines n’échappent pas à la révolution numérique. Elles tentent de s’adapter. Comment peuvent-elles faire face à ce changement?

Ce n’est pas tout noir ou tout blanc. La révolution numérique offre à la fois beaucoup d’opportunités à la fonction RH, tout en la menaçant. La flexibilisation encadrée du travail, la mobilité professionnelle, le télétravail figurent parmi les grands atouts de cette numérisation, et répondent à des attentes toujours plus fortes des travailleurs. Les nouvelles technologies facilitent également le travail des ressources humaines. Le recrutement, la mise en ligne des postes ouverts, la gestion administrative du personnel se font plus rapidement et délestent la fonction RH de ses tâches chronophages et répétitives. Il s’agit donc d’une opportunité pour le métier RH en termes de processus, d’outils et de liens internes. Le revers de la médaille, c’est une dépersonnalisation. Dans certaines grosses organisations, les RH sont invisibles, uniquement atteignables via une hotline. Il est demandé au collaborateur d’appuyer sur la touche 2 de son téléphone pour atteindre un être humain, si ce n’est pas un chatbot.

Face à la pénurie de talents, les entreprises déroulent le tapis rouge aux candidats. Le rapport de force entre employeur et employé s’est-il inversé?

Non, je ne pense pas. Cette logique a toujours existé dans les secteurs en pénurie. Je dirais plutôt que les rapports de force sont, dans un sens comme dans l’autre, exacerbés par la mondialisation du marché du travail et le besoin de nouvelles compétences, avec un marché de l’emploi qui n’est plus confiné au «local».

Quel sera le visage des ressources humaines dans la prochaine décennie?

J’espère qu’il y a aura une plus grande prise de conscience du facteur humain. Il existe aujourd’hui toute une littérature sur la responsabilisation sociale des entreprises. Une telle stratégie RH souligne l’impact que peut avoir une entreprise sur sa capacité à attirer de nouveaux profils et à leur donner envie de l’intégrer. J’espère donc qu’il y aura des petits pas dans cette direction, car c’est un processus culturel qui prend du temps. Dans les autres changements, je constate également une capacité accrue des professionnels RH à convaincre le management de l’importance du bien-être des collaborateurs. Beaucoup de managers pensent encore qu’il s’agit d’un «nice to have», seule la performance pure et dure comptant véritablement. Tout le reste, en particulier le bien-être des employés, est relégué à plus tard, s’il reste du temps ou du budget. Cette logique doit s’inverser. S’intéresser au bien-être du personnel, c’est aussi le rendre plus performant. Tous les patrons ne l’ont pas encore compris alors que c’est démontré par de nombreuses recherches. J’espère donc davantage de bienveillance, parce que c’est une valeur que je défends, et parce que cela influence positivement la performance au travail.