C’est un des problèmes latents, mais toujours plus présents, qui commencent à compliquer le travail des nombreux managers de sociétés suisses. A savoir qu’il faut parfois freiner les administrateurs dans leur zèle! Les législations suisses sur le rôle et les devoirs des administrateurs ont évolué ces dernières années dans le sens d’une responsabilité accrue. Corollaire à cela, les membres des conseils d’administration veulent davantage tout contrôler, tout savoir et s’immiscent souvent plus qu’il ne le faut dans l’opérationnel.

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«Les modifications en cours du Code des obligations ne changent pas fondamentalement le rôle des administrateurs, mais elles apportent de nouveaux éléments dans plusieurs domaines, notamment dans le droit comptable et les risques concernant la pérennité des sociétés. En Suisse, les administrateurs sont beaucoup plus exposés qu’à l’étranger; ils sont même engagés sur leurs biens personnels en cas de non-paiement des charges sociales et de l’impôt à la source, par exemple. Cela est considéré comme du vol par la loi et les membres du conseil sont solidairement responsables.» On pourrait comprendre alors que certains s’ingèrent dans les affaires courantes...

Établir clairement les règles

«Oui, mais il faut garder la bonne posture, soit «mettez le nez dans les affaires, mais pas les mains dans le cambouis», s’amuse Dominique Freymond. Il faut poser des questions pertinentes et s’adresser à l’organe de révision, le cas échéant. Mais ne pas demander systématiquement des comptes trop détaillés à la direction», explique Dominique Freymond, co-animateur de l’ACAD (Académie des administrateurs) et administrateur indépendant.

On pourrait comprendre alors que certains s’ingèrent dans les affaires courantes… «Oui, mais il ne faut pas confondre mettre les mains dans le cambouis et mettre son nez dans les affaires, poursuit Dominique Freymond. Il s’agit de poser des questions pertinentes et de s’adresser à la fiduciaire de la société, le cas échéant. Mais cela ne signifie pas demander systématiquement des comptes trop détaillés à la direction.»

Les patriarches de PME familiales outrepassent très souvent leurs fonctions et l’on n’ose pas leur en faire la remarque.

Nicolas Wildbolz, propriétaire et directeur de Savoy Verre à Forel, président du conseil d’administration de la Coopérative Le Grand Closy et fondateur d’EveryThink (conseil aux entreprises) fait aussi part de ses expériences en tant que patron et administrateur. «Avec l’expérience et le recul, je peux conseiller d’établir tout de suite et clairement le rôle de l’administrateur ainsi que son profil. En ce qui concerne le président du conseil, je pense qu’il doit avant tout veiller au respect des engagements, animer les discussions, veiller à l’expression libre de chacun et agir en tant que liant. Il faut aussi veiller à l’ordre du jour, il ne faut en aucun cas que l’opérationnel de l’entreprise prenne le dessus.»

Mauvais mélange des genres

Reste que les exemples d’abus sont nombreux, note Dominique Freymond. «Les cas d’excès d’ingérence proviennent en règle générale de situations plutôt identiques et ils dépendent beaucoup des cultures propres des conseils d’administration. J’ai constaté par exemple que les patriarches de PME familiales, qui sont couramment présidents du conseil, outrepassent très souvent leurs fonctions et que l’on n’ose pas leur en faire la remarque. Il arrive fréquemment aussi que des personnes politiques se mêlent beaucoup trop de l’opérationnel dans des conseils de fondation, par exemple. Par habitude et en suivant le principe de «qui paye commande»! C’est un mauvais mélange des genres, il faut alors définir des conditions-cadres.»

Marie de Fréminville, présidente de Starboard Advisory à Sion, administratrice de start-up (précédemment de filiales d’Airbus et de fonds d’investissement) et membre du comité du Cercle suisse des administratrices, confirme: «Dans les entreprises familiales, les actionnaires, et donc le conseil d’administration, imposent des décisions à la direction. Il peut arriver que les intérêts familiaux ne convergent pas avec ceux de l’entreprise. Il peut s’agir de transactions financières entre la famille et l’entreprise, décidées par l’actionnaire, en marge du cadre légal, du formalisme habituel, et des processus de décision impliquant le conseil d’administration et la direction. L’entreprise pourrait alors être mise en danger si les décisions venaient à impacter sa performance financière et sa pérennité.»

Et l’experte de donner quelques conseils: «Une bonne pratique est de recruter des administrateurs indépendants, disposant de compétences qui complètent celles des membres de la famille, afin d’assurer l’indépendance des prises de décision. Ils veilleront notamment à ce que les décisions soient prises dans l’intérêt social de l’entreprise, conformément aux statuts et en conformité avec les réglementations.» Les cas d’ingérence les plus courants concernent les entreprises ayant des filiales et contrôlées à plus de 50%, ajoute l’administratrice. Il arrive en effet que la société mère prenne part à des négociations commerciales ou donne des instructions à des membres de la direction, conclut-elle.


«Je cherche le consensus à 100%, même si cela donne lieu à des séances houleuses»

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Wiktor Bourée, CEO de Technis.
© DR

Wiktor Bourée est le fondateur et CEO de Technis, une start-up lausannoise qui développe des sols connectés intelligents. Il considère que les relations entre son conseil d’administration (dont il est président) et l’opérationnel sont primordiales pour le développement de sa société, mais que les limites à ne pas dépasser doivent être claires et établies dès que des abus se font sentir. «J’ai toujours cherché des administrateurs qui s’impliquent dans l’opérationnel, car ils doivent comprendre le business pour le faire évoluer et ne pas seulement lire les chiffres. Pour ma part, je cherche le consensus à 100%, même si cela donne parfois lieu à des séances houleuses.» Alors quelles sont les limites? «Lorsque l’ingérence du conseil est trop importante, il faut remettre les choses en ordre immédiatement. Il est vrai qu’avec les responsabilités croissances des administrateurs, les tentations de trop rentrer dans l’opérationnel sont là. Je prône la confiance et la transparence des deux côtés pour éviter une prise de pouvoir trop forte du conseil.»