La médecine du travail est un enjeu complexe pour tous les dirigeants d’entreprise en Suisse qui désirent protéger leurs employés et respecter les lois en vigueur. Leurs obligations sont d’ailleurs nombreuses afin de respecter la santé de leurs collaborateurs. Et pour que le système fonctionne, les médecins du travail sont devenus au fil des décennies incontournables dans les relations entre les grands acteurs de l’équilibre de l’économie suisse que sont les syndicats, l’Etat, les patrons et les employés. Une profession essentielle qui peine à recruter.
«En Suisse, comme dans de nombreuses autres pays, il manque en effet des médecins dans le domaine de la santé au travail. Ce n’est pas un phénomène nouveau, c’est même un manque chronique. Nous comptons 200 professionnels de ce type dans tout le pays, c’est peu par rapport aux pays voisins», confirme le professeur David Vernez, chef du département Santé Travail Environnement à Unisanté, le centre universitaire de médecine générale et santé publique de Lausanne, fusionné en début d’année 2019.
Une médecine de prévention
Pourquoi cette pénurie? Le profil du médecin du travail serait-il le parent pauvre de la profession? Son salaire moyen varie entre 150 000 et 200 000 francs par année selon qu’il soit salarié ou indépendant, ce qui place cette spécialisation dans la tranche plutôt inférieure des rémunérations des médecins en Suisse. Mais David Vernez pense que la rareté est plutôt due au manque de chaires universitaires spécialisées à cet effet en Suisse. «Il n’existe que deux postes de professeur en médecine du travail en Suisse, un à Zurich et un à Lausanne (celui-ci a longtemps été tenu par la professeure Brigitta Danuser, qui vient de partir à la retraite et dont la succession s’organise, ndlr). Ce métier est une spécialité qui a peu de visibilité publique, peu de cantons proposent des formations. Pourtant, les enjeux sont importants pour le monde du travail. Il est donc devenu prioritaire aujourd’hui de créer des liens et des interactions avec des généralistes pour soutenir la médecine du travail et attirer des candidats.»
Quel est le rôle exact de ce médecin du monde professionnel? Le médecin du travail est le docteur que l’employeur s’adjoint pour l’assister et le conseiller en matière de prévention (accidents, maladie professionnelle et santé) et répondre aux obligations légales. Son champ d’action est très étendu puisqu’il concerne aussi bien les maladies à caractère professionnel, les troubles musculo-squelettiques, le retour après maladie, les vaccinations, le travail de nuit et les manutentions de charges que la question du tabac et/ou de l’alcool en entreprise, le dopage ou encore les risques psychosociaux (stress, épuisement, harcèlement moral ou sexuel) par exemple.
Il vaut toujours mieux prévenir que guérir dans ces cas-là, c’est aussi moins coûteux pour les patrons.
«Le médecin du travail est donc essentiellement un médecin de prévention. Son activité est centrée tant sur la santé physique et psychique que sur les conditions de travail de tous les collaborateurs de l’entreprise. Il traite alors les questions relatives à l’activité, à l’organisation et au climat de travail», ajoute Martine Balandraux Olivet, présidente du GGMSST (Groupement genevois des médecins spécialistes en santé au travail) et médecin du travail. «Les apports de la médecine du travail sont nombreux et faciles à comprendre: maintenir la santé au travail, favoriser le bien-être, prévenir les accidents professionnels, et le cas échéant contribuer à assainir des nuisances chimiques, physiques, biologiques, ergonomiques et psychiques aux postes de travail. Au final, tous les domaines et tous les collaborateurs de l’entreprise sont gagnants: qualité du travail, satisfaction au travail, efficacité et productivité.»
Des problèmes de plus en plus psychologiques
Reste qu’avec les responsabilités croissantes et les problèmes de stress et de burn-out en augmentation dans les PME, les cas traités par les médecins du travail relèvent de plus en plus de la psychologie. Ancien président du syndicat Acidul à Lausanne, Marc Dupuis est spécialisé dans la santé psychique à la Faculté de médecine de l’Université de Genève et il s’est intéressé à plusieurs reprises aux conflits au travail ainsi qu’aux problèmes de harcèlement. Un thème sur lequel les fausses bonnes idées sont encore nombreuses au sein des PME, selon lui. «Depuis 2018, les conflits au travail ont peu changé. Par contre, la façon de les percevoir, en vertu des revendications féministes de 2019, s’est modifiée. Pour le reste, les situations problématiques restent classiques avec les tensions liées à l’équilibre vie privée/vie professionnelle, le manque de temps pour former les cadres à anticiper les besoins plutôt que d’avoir affaire à des demandes aux Prud’hommes et autres conflits internes.»
Marc Dupuis met en avant les bienfaits des médecins et psychologues du travail en amont de telles tensions. «Il vaut toujours mieux prévenir que guérir dans ces cas-là, c’est aussi moins coûteux pour les patrons. La santé psychique en entreprise est synonyme de qualité et d’efficacité. Les situations vont souvent trop loin à l’interne et seules des interventions extérieures, comme celles des médecins du travail, peuvent être utiles si elles sont menées à temps. Il faut se méfier de l’autogestion pure et dure des dirigeants, je l’ai souvent constaté dans des conflits dans des sociétés.»
David Vernez résume ensuite les obligations des entreprises dans le domaine. «Les entreprises doivent prévenir et surveiller les conditions de travail de leurs collaborateurs. C’est notamment le cas pour des postes à risques comme grutier, conducteur ferroviaire ou dans la sécurité et le travail de nuit par exemple. Il faut alors véritablement dresser les pathologies des maladies professionnelles.» Le chef du département Santé Travail Environnement à Unisanté ajoute que l’ampleur du risque professionnel compte plus que la taille de la PME. Tous les patrons sont donc concernés par cette obligation. S’il y a suspicion de problème médical chez un collaborateur et qu’il est lié à son travail, les dirigeants ont l’obligation, depuis une législation datant de l’année 2000, d’adresser l’employé à un professionnel de la santé.
Comment se tenir informé?
«Selon l’origine du mal, dû à la vie privée ou lié au travail, ce seront respectivement les assurances LAMal ou Suva qui s’occuperont du cas, chacune avec ses conditions propres.» Henri Mathis, responsable de la communication pour la Suisse romande à la Suva, décrit les possibilités à la disposition des PME pour se mettre au courant. «Toutes les entreprises, même les plus petites, sont tenues de prendre des mesures pour garantir la sécurité au travail et la protection de la santé de leurs collaborateurs. Grâce à des outils simples, les entreprises de moins de 10 collaborateurs exposées à des dangers particuliers peuvent procéder à une détermination systématique des dangers et consigner les mesures prises. Les listes de contrôle élaborées par la Suva sont à la fois simples d’utilisation et efficaces pour garantir la sécurité et la protection de la santé des collaborateurs.»
Les droits et devoirs du médecin du travail
L’indépendance professionnelle est indispensable à l’exercice de la fonction de médecin du travail; notamment parce qu’il est susceptible d’engager sa responsabilité personnelle. Il ne doit donc être soumis à aucune instruction dans son champ de compétences, et son lien de subordination ne peut être qu’administratif. Au-delà du libre accès aux postes de travail, le médecin a besoin de rencontres régulières avec la direction de l’entreprise pour apprécier la globalité des situations et celles qui sont problématiques.