Depuis plus de cinq mois, la crise du Covid-19 a plongé l’économie dans une situation inédite. Comment les entreprises ont-elles vécu cette période si mouvementée? Le directeur du Centre Patronal (CP), Christophe Reymond, et son équipe ont questionné un large échantillon parmi leurs 37 000 entreprises membres pour confronter leurs intuitions à la réalité. Au cœur de l’été, ce sont 850 réponses qui ont été retournées au CP, issues de sociétés de toutes tailles actives dans des secteurs très différents, exception faite de l’hôtellerie-restauration et de la construction. Morceaux choisis.
Impact du coronavirus sur les entreprises en 2021
Parmi les sondés, 78% s’attendent à un impact négatif, moyen (48%) à fort (30%) sur leurs affaires en 2021. Dans le langage d’un dirigeant, un impact fort se traduit bien souvent par des licenciements. La plupart des CEO anticipent un gros orage mais pensent pouvoir le traverser sans trop de dégâts. Pour le directeur du Centre Patronal, ces réponses sont peut-être un peu trop teintées d’optimisme.
«Nous sommes encore loin d’en avoir fini, estime-t-il. Je n’ai pas vraiment peur d’une deuxième vague sanitaire, mais je suis très inquiet de l’ampleur des répercussions encore à venir dans les entreprises. Il suffit de consulter les médias pour découvrir chaque jour des annonces de licenciements. Je n’ai pas le sentiment que la situation va s’inverser avec la rentrée. De plus, même si la Suisse parvenait à maîtriser les effets négatifs de la crise, elle resterait dépendante de l’étranger pour 1 franc sur 2 gagnés. Nous ne retrouverons donc pas notre vitesse de croisière sur le plan économique tant que la situation ne se normalisera pas de manière générale et chez nos partenaires commerciaux en particulier.»
Recours au crédit transitoire Covid-19
Près d’une entreprise sur deux (45%) a répondu avoir profité de ce crédit. «Tout d’abord, je tiens à dire que les aides d’urgence basées sur trois piliers (crédits Covid-19, RHT, mesures APG) mises en place sur le plan fédéral ont parfaitement joué leur rôle. Ce plan d’action a été remarquable, tant au niveau de sa conception que de sa mise en œuvre par les administrations publiques et privées», insiste Christophe Reymond.
Je suis très inquiet de l’ampleur des répercussions encore à venir dans les entreprises.
«J’ai également été surpris par la rapidité des appels à l’aide d’entreprises immédiatement après les mesures de confinement. Je ne pensais pas qu’autant d’entre elles pouvaient se retrouver si vite sur la corde raide. Mais, avec le recul, nous constatons que si les petits crédits Covid-19 ont eu du succès, seules 1000 grandes entreprises en Suisse ont demandé plus de 500 000 francs d’aide, ce qui reste très limité. En moyenne, 20% des entreprises suisses ont activé un crédit Covid-19. Ces chiffres sont rassurants quant à l’état des réserves des entreprises dans notre pays.»
Utilisation des RHT et perspectives en matière d’emploi
Ce sont 70% des entreprises interrogées qui ont eu recours à des RHT. Il s’agit clairement de la mesure phare du plan d’action. Sept entreprises sur dix ont profité de cette solution et, du jour au lendemain, plus de 2 millions de personnes ont vu leur salaire nationalisé. «Il faut savoir que la Suisse a souvent utilisé cet instrument, notamment pour soutenir l’industrie des machines, mais elle ne l’a jamais activé à une telle échelle», poursuit le directeur du CP. Pour lui, le plus étonnant est de constater que 59% des entreprises interrogées ont choisi de compléter l’indemnité de chômage pour maintenir des salaires à 100%. «Là aussi, c’est une indication qui en dit long sur les réserves à disposition au sein des entreprises.»
Des entreprises qui restent d’ailleurs très confiantes pour la fin de l’année puisqu’elles sont 75% à penser que la crise sanitaire n’aura aucun impact sur l’emploi au deuxième semestre. «Pour ma part, je suis plus pessimiste et je pense que la situation va s’avérer compliquée, notamment en termes d’emplois.» D’ailleurs, 78% des entreprises interrogées ne prévoient pas d’augmentation de salaire pour 2021, ce qui va à l’encontre des revendications de Travail. Suisse. «Exiger des augmentations de salaire au plus fort d’une crise de cette ampleur qui plonge de nombreuses entreprises en mode «survie», c’est tout simplement vain», commente le directeur.
Obtention de baisses de loyers commerciaux
L’enquête montre aussi que la moitié des entreprises ayant négocié une baisse de loyer ont obtenu gain de cause, dont 14% en profitant de l’aide mise en place par l’Etat de Vaud. L’autre moitié n’a rien obtenu du tout. «Trop d’entreprises n’ont pas réussi à nouer un dialogue constructif avec leur bailleur, déplore Christophe Reymond. Ces refus catégoriques ne plaident pas en faveur des propriétaires. Renoncer à un ou deux mois de loyer commercial pour soutenir une PME en difficulté, alors que cette dernière paie régulièrement son loyer depuis des années, n’aurait eu pratiquement aucun impact pour l’écrasante majorité des bailleurs. C’est une question de bon sens et de solidarité. Au CP, nous gérons les caisses de pension de nombreuses sociétés et nous sommes donc indirectement propriétaires d’immeubles. Nous avons choisi d’offrir spontanément des baisses de loyers à nombre de nos locataires de baux commerciaux avant même l’annonce des aides étatiques.»
Digitalisation et télétravail au sein des entreprises
Le confinement a forcé bon nombre d’entreprises à mettre en place des outils de travail à domicile en un temps record. Le sondage a montré que 41% des entreprises actives dans le B2B ont pratiqué le télétravail à 100%, et six sur dix ont laissé la moitié ou plus de leurs collaborateurs à domicile. «S’il y a un point positif à relever dans cette crise, c’est qu’elle a forcé les entreprises à se mettre à niveau en matière de digital, le Centre Patronal y compris», analyse Christophe Reymond.
«Si nous avions voulu lancer un projet de home office en temps normal, nous aurions étudié les différentes technologies à disposition, pesé le pour et le contre, avant d’échouer au bout de deux ans. Alors que, face à l’urgence, nous avons été contraints à trouver des solutions efficaces très rapidement. Les nouveaux outils, comme la vidéoconférence ou l’enseignement à distance, vont perdurer, j’en suis convaincu. Par contre, je ne pense pas que le télétravail va se généraliser à long terme au-delà d’un jour par semaine.
Notre sondage a montré que plus de 50% des sondés estiment que la crise a eu un impact sur la digitalisation de leur entreprise. Ce sont les relations clients qui ont été les plus impactées (78%) devant les relations internes (57%) et les relations fournisseurs (27%). On le voit, la digitalisation a permis de maintenir les activités de l’entreprise, mais le numérique ne peut pas remplacer les contacts humains dans le monde du travail.»
Trois grands enseignements
Pour Christophe Reymond, même si la crise n’est de loin pas terminée, il est déjà possible de tirer trois grands enseignements. Premièrement, l’importance de disposer de réserves financières suffisantes pour toute entreprise, quels que soient sa taille ou son domaine d’activité. Deuxièmement, savoir entretenir une culture d’entreprise orientée vers la flexibilité et la faculté d’adaptation, pour rebondir au plus vite en cas de coup dur. Enfin, l’importance prépondérante de jouer la carte de la solidarité dans les moments difficiles.