En l’espace de quelques mois, Credit Suisse a fait face à plusieurs crises majeures. Entre le scandale d’espionnage envers Greenpeace ou d’anciens membres de la direction et ses investissements dans les énergies fossiles, la banque a vécu une véritable tempête médiatique. Conséquence: l’établissement a notamment perdu plus de 2 milliards de francs de valorisation boursière à la suite des premières révélations de la presse évoquant l’espionnage et a subi des milliers de commentaires négatifs sur les réseaux sociaux.
La pression des médias sociaux a aussi été particulièrement forte pour le chocolatier glaronais Läderach. Depuis fin 2019, il se trouve dans le collimateur des associations LGBT, allant des actions de vandalisme dans les boutiques à des appels au boycott. La raison? Le directeur général de la société s’était engagé dans l’organisation Marche pour la vie, qui est notamment opposée à l’avortement. Il s’est également vu reprocher des propos homophobes. Ici aussi, le dégât d’image a entraîné des conséquences économiques considérables. Début 2020, la compagnie aérienne Swiss a annoncé la fin de la distribution de chocolats Läderach à bord de ses avions, après dix ans de collaboration.
Ne pas faire l’autruche
Selon Stéphane Koch, conseiller en stratégie numérique indépendant à Genève, ces exemples récents montrent deux tendances dans les moments de crise. Premièrement, les réseaux sociaux fonctionnent comme un amplificateur du scandale: «Un commentaire négatif d’une seule personne peut déclencher une avalanche et faire énormément de dégâts au sein d’une entreprise.» Deuxièmement, la frontière entre le privé et le professionnel s’estompe. Comme dans le cas de Läderach, l’engagement ou les prises de position privés d’un dirigeant d’entreprise ou même d’un simple collaborateur peuvent avoir des répercussions considérables sur la société.
Autre illustration récente de ce phénomène: en juin, le fondateur et CEO de la marque américaine de fitness CrossFit a dû quitter son poste à la suite d’une prise de position douteuse mêlant le Covid-19 au sort de George Floyd – dont la mort a déclenché une vague de protestations contre le racisme à travers le monde.
Face à ces risques, que faire pour éteindre une crise et rétablir une bonne image de l’entreprise? Selon Alexis Delmege, spécialiste en communication de crise à l’agence genevoise Voxia, il faut distinguer deux phases: «Dans l’immédiat, il s’agit de réagir. La pire solution serait de faire l’autruche. La réaction peut consister à reconnaître le problème, à s’excuser, à expliquer la situation ou à demander plus de temps pour rassembler tous les éléments de réponse. Il faut faire preuve d’empathie et montrer que le problème a été saisi au sein de l’entreprise.»
Il est primordial de définir les processus et les équipes qui doivent entrer en action en cas de crise.
Contacté, Läderach n’a pas voulu revenir sur sa stratégie de communication, mais au plus fort de la crise en janvier de cette année, la responsable de la communication s’est excusée dans la presse alémanique en disant que l’entreprise ne défendait en aucun cas des positions homophobes. Quant aux accusations d’être contre l’avortement, elle a souligné qu’il s’agissait ici d’une opinion privée, certes controversée, du directeur général.
Démission du dirigeant
La deuxième phase s’étend sur les mois ou même les années après la crise. Il s’agit de montrer quelles leçons en ont été tirées sur le long terme. Alexis Delmege cite par exemple les marques Apple et Nike qui, après avoir vécu des salves de critiques concernant leurs conditions de travail chez plusieurs fournisseurs, ont revu certains processus de production et d’approvisionnement.
Dans le cas de Läderach, Stéphane Koch pense qu’un engagement de la marque contre l’homophobie, à l’aide d’une série de dialogues entre le patron du chocolatier et des membres des communautés LGBTQIA+, par exemple, lui permettrait de démontrer sa sincérité ou de nuancer ses propos. «Cependant, dans les situations extrêmes, lorsque le dégât d’image lié à un dirigeant devient trop grave, il ne reste que la démission pour dissocier l’entreprise de la personne», ajoute-t-il. C’est la conséquence que Credit Suisse a tirée du scandale lié aux différentes affaires d’espionnage: le directeur général de la banque, Tidjane Thiam, a en effet démissionné en février.
Préparer différents scénarios
Pour Marianne Aerni, maître d’enseignement à la Haute Ecole de gestion de Genève, une bonne préparation se pose comme la meilleure solution: «Aujourd’hui, surtout avec les réseaux sociaux qui complexifient la communication de crise, il est primordial d’anticiper différents scénarios qui peuvent endommager la réputation de l’entreprise et de définir les processus et les équipes qui doivent entrer en action en cas de crise.» La communication de crise ne s’improvise pas; c’est pour cette raison que la haute école propose, depuis cinq ans, un module consacré spécialement à la gestion de crise au sein de sa formation de responsable de communication (lire ci-dessous). Une vingtaine de candidats participent à ce module chaque année, un chiffre en croissance selon Marianne Aerni.
D’après Stéphane Koch, cette préparation s’inscrit dans une vision globale: «Il est important de faire un travail permanent de monitoring et d’anticipation des crises qui peuvent toucher le secteur d’activité de la société. A ce titre, il est aussi utile d’observer ce qui passe chez la concurrence. Selon les actualités, il faut régulièrement adapter les éventuels scénarios dangereux pour l’image et préparer des réponses en amont.»
Un autre point essentiel: la sensibilisation des collaborateurs. D’après l’expert, cela passe par exemple par l’établissement d’une charte encadrant l’utilisation des médias sociaux. «Les salariés doivent être conscients que chaque publication sur les réseaux sociaux peut avoir un impact potentiel non seulement sur leur propre réputation, mais aussi, par ricochet, sur celle de l’entreprise.»
Reste à savoir si un dégât d’image peut entraver les affaires d’une entreprise sur la durée. Comme l’indique Alexis Delmege, seules les entreprises connues peuvent déclencher des réactions vives du grand public. Mais ce sont justement ces mêmes entreprises qui bénéficient d’une clientèle bien établie. «Une fois le «bad buzz» retombé, une grande partie de la clientèle est prête à passer à autre chose quelques mois après le scandale.»
Ainsi, à la suite de l’affaire des moteurs diesel truqués en 2015, les ventes de Volkswagen se sont effondrées. Mais à partir de 2017, la marque allemande a récupéré sa place de leader sur le marché suisse. Quant à Läderach, le directeur général Johannes Läderach a expliqué, dans une interview à la Neue Zürcher Zeitung en janvier, que les ventes sont restées stables, malgré le tollé sur les réseaux sociaux. Il a néanmoins admis que certains clients n’achetaient plus les produits de la marque.
Alexis Delmege cite également l’exemple de Migros: «Son image est tellement forte qu’un scandale peut faire perdre des points auprès de certains consommateurs, mais le groupe ne va pas s’écrouler. D’où l’enjeu de construire une marque forte sur des années, ce qui permet de traverser une crise de manière plus sereine.»
Simuler une situation de crise
A Genève, les étudiants en communication sont confrontés à des cas réels de crise à la fin de leur formation.
Ce sont près de vingt-quatre heures de mise en situation qui donnent des sueurs. Depuis l’année dernière, à la fin de leur formation à la Haute Ecole de gestion de Genève, les étudiants en management de la sécurité des systèmes d’information doivent affronter la simulation d’une crise. Les intervenants préparent un scénario grave pour une entreprise – cette année, il s’agit d’une explosion dans une société active dans la chimie – et exposent les étudiants à un acharnement sur les réseaux sociaux, à des questions hargneuses de la part des journalistes, à des cyberattaques et aux inquiétudes des politiques.
Qui fait quoi au sein de la cellule de crise? Quelle réponse doit être donnée aux critiques qui fusent sur les réseaux sociaux? A quel moment faut-il organiser une conférence de presse et avec quel message? «Pendant cet exercice, les étudiants sortent de leur zone de confort, explique Gaëtan Derache, un des intervenants de la simulation. Ils doivent prendre des décisions complexes en très peu de temps, tout en se concertant en permanence avec l’équipe.»