«En matière d’embauches comme de licenciements, les décisions ont été différées à cause de la crise sanitaire.» Comme de nombreux observateurs, Anne Donou, du cabinet de conseil RH genevois Von Rundstedt, craint «un effet retard» de la pandémie sur le marché de l’emploi. D’autant plus que les premiers signes de ralentissement économique datent d’avant la pandémie de Covid-19. Ainsi, en 2019, la croissance n’avait pas dépassé 0,9% après une hausse de 2,8% en 2018, selon les chiffres du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco).

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Sur le terrain de l’emploi, les mauvaises nouvelles risquent donc de s’accumuler dans les mois qui viennent. «Les procédures simplifiées de réduction des horaires de travail (RHT), qui ont permis d’éviter ou de retarder des licenciements, ont été prolongées jusqu’à la fin de l’année par le Seco», explique Françoise Favre, cheffe du Service de l’emploi du canton de Vaud. Les dispositifs destinés à amortir les conséquences économiques de la crise sanitaire ont certes bien joué leur rôle, mais beaucoup d’entreprises ont vu leur trésorerie sérieusement mise à mal.

De plus, certains cantons romands montrent déjà une hausse du taux de chômage de 0,9 à 1,7 point en comparaison avec l’année dernière. Ainsi, il s’élevait, début septembre, à 3,3% dans le Valais et à 5,2% à Genève. Les multinationales sont habituées à mettre en place des mesures de réduction d’effectifs, mais dans les PME, où la proximité entre salariés et dirigeants est plus grande, la situation est très différente, en particulier sur le plan humain.

Respecter les étapes

Administrativement, mettre fin à une relation de travail peut sembler simple. «Le grand principe du droit du travail suisse pose que tout employeur est libre de licencier un salarié. La seule contrainte tient aux délais de congé à respecter», rappelle Sandra Gerber, avocate au sein du cabinet lausannois Wilhelm Gilliéron (lire encadré). Sauf demande écrite de l’employé, l’employeur n’a même pas à motiver sa décision. Et, sauf disposition particulière, rien ne l’oblige à mettre en place une quelconque forme d’accompagnement.

Mais attention: «Le droit suisse est certes peu contraignant, mais il est impératif de bien respecter certaines étapes, surtout en cas de licenciement collectif, avertit Christian Oberson, président de l’Association des professionnels en ressources humaines (RH) de Genève. Dès qu’une entreprise compte plus de 20 collaborateurs, il faut alors prévenir l’Office cantonal du travail et lancer une procédure de consultation auprès des représentants des salariés.» Dès lors, toute la difficulté consiste à savoir à partir de quand un licenciement est considéré comme collectif.

Tout est affaire de seuil, décrypte Sandra Gerber: «Les articles 335 et suivants du Code des obligations indiquent qu’on se situe dans le cadre d’un licenciement collectif lorsqu’on se sépare de 10 collaborateurs en moins d’un mois dans les entreprises qui comptent moins d’une centaine de salariés. De 100 à 300 salariés, le seuil est atteint au-delà de 10% des effectifs touchés.»

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Christian Oberson, Association des professionnels en ressources humaines.
© DR

Il faut éviter les deux écueils: la trop grande froideur et la trop grande émotion.

D’où la tentation pour les employeurs de simplifier la procédure en étalant les annonces sur plusieurs mois pour éviter d’entrer dans le cadre d’un licenciement collectif et s’épargner cette phase de négociation. Une erreur, estime Françoise Favre, cheffe du Service de l’emploi du canton de Vaud: «Cela revient à contourner le droit. Si cette situation se précise, l’idéal est évidemment que l’entreprise nous contacte en amont; notre rôle consiste précisément à les accompagner pour s’assurer que le processus se déroule dans le strict respect du Code des obligations.»

Assumer et expliquer

Au-delà du droit, reste l’aspect humain – une dimension sans doute plus aiguë dans le monde des PME que dans celui des multinationales, estime Mehdi Guessous, directeur adjoint du cabinet de conseil RH lausannois Vicario Consulting: «Dans les grandes sociétés, les managers qui licencient restent eux-mêmes des salariés, chargés de réduire des coûts. Ce n’est pas l’œuvre de leur vie, ce qui change tout.»

Alors, comment annoncer une mauvaise nouvelle? «Il faut assumer, rappeler que le licenciement est une option par temps de difficultés et faire en sorte que la décision soit le moins possible une surprise lorsqu’elle tombe, poursuit Mehdi Guessous. Il ne faut pas avoir peur d’avancer les motifs qui amènent à un licenciement, d’autant que cette crise est d’abord sanitaire et que ce n’est le plus souvent pas la compétence du chef d’entreprise qui a conduit à cette tension sur l’emploi.»

Un point de vue que partage Christian Oberson, pour qui le pire danger consiste à «perler» les mauvaises nouvelles: «Faire deux annonces puis trois le mois suivant – cela crée une anxiété invraisemblable.» Le reste relève de l’humanité la plus élémentaire, selon lui: «Il est important de procéder aux annonces avec le plus de respect possible en bannissant tout licenciement par e-mail ou par SMS. Sans parler des salariés qui découvrent ce genre de décisions dans la presse.» Avant de souligner que le marché romand de l’emploi est petit: «Autant éviter de mal se comporter.»

Traiter les salariés avec respect, donc, mais sans s’éterniser, estime Shantidas Annen, dont la société SAN Consulting propose depuis Lully (VD) un service personnalisé d’accompagnement aux licenciements. Tout en rappelant un principe évident, mais souvent difficile à respecter lorsque les liens humains sont forts: «On ne peut pas consoler celui qu’on licencie.» D’après lui, il faut aller droit à l’essentiel et le temps consacré à l’annonce doit être court: «Il faut dire clairement et simplement qu’on annonce la fin d’une relation de travail. Cela prend un quart d’heure, une vingtaine de minutes tout au plus, de quoi prendre quelques instants pour permettre à la personne concernée d’encaisser le choc. Faire durer ne fait qu’allonger un moment de souffrance.»

Syndrome du survivant

Les dirigeants qui ont déjà vécu de tels moments le savent: au lendemain d’une série de licenciements, souder les équipes encore en place et maintenir une atmosphère de travail positive n’est pas simple. Un phénomène que Shantidas Annen connaît bien, après plusieurs années passées à accompagner les dirigeants. «Ce syndrome du survivant s’apparente à une forme de culpabilité: ceux qui restent se demandent pourquoi ils ont été épargnés. Il n’est d’ailleurs pas rare d’en voir certains quitter volontairement l’entreprise dans l’année qui suit. Or, choisir de conserver untel plutôt qu’untel lorsqu’on réduit les effectifs est le résultat d’un choix rationnel, pas du hasard.»

Comment passer ce cap difficile? En appelant dirigeants et salariés à revenir aux faits, conseille Christian Oberson. «Si on a licencié, ce n’est pas par plaisir mais pour sauver l’entreprise. La meilleure manière de gérer cette période reste de garder le contact, de trouver des temps collectifs, de partager un repas ou un petit-déjeuner. C’est un peu comme lorsque tout le monde se retrouve au sortir d’un enterrement. Il faut sortir d’une atmosphère de deuil permanent et marquer le fait que la vie continue.» Le grand défi consiste donc à éviter de couper tout contact, sans faire l’économie des discussions désagréables: «Le rôle d’un dirigeant de PME, c’est de rester présent, d’assumer, d’accompagner et de répondre aux questions sans se cacher.»

Le double deuil du dirigeant

Reste un personnage qu’on oublie souvent de prendre en compte: le dirigeant lui-même. Or, souligne Mehdi Guessous, les patrons de PME sont souvent proches des salariés, avec qui ils travaillent parfois depuis longtemps. «Ils se sentent responsables de leurs salariés et coupables de les licencier. Il faut absolument qu’ils ne s’oublient pas et qu’ils se protègent.»

Comment? En évitant de rester seuls, insiste Christian Oberson. «La solitude, c’est la maladie d’un dirigeant d’une PME. Lorsqu’il est amené à licencier, il fait un double deuil, celui du projet dans lequel il est profondément impliqué et celui de la relation tissée au fil du temps avec ses équipes. Il faut impérativement casser cet isolement en abordant le sujet avec des personnes capables de comprendre ce qu’il traverse: consultants, organisations professionnelles ou encore confrères.»

Relativement simple à mener sur le papier, un licenciement ne s’improvise donc pas, estime Shantidas Annen: «Dans les petites PME, c’est bien souvent le dirigeant qui se renseigne tout seul sur les procédures à respecter. Or un licenciement est compliqué, que ce soit en termes d’annonce, de procédure légale ou d’accompagnement. Une erreur peut retarder le processus, voire amener l’employeur devant les prud’hommes.»

Se faire accompagner par un professionnel a un double avantage, estime Christian Oberson: sécuriser le processus et gérer aussi bien que possible l’aspect humain. «Lorsqu’on se sépare d’un collaborateur, il faut éviter les deux écueils: la trop grande froideur et la trop grande émotion. Au-delà des aspects techniques, c’est aussi ce que peut apporter un tiers.» Cela aussi dans l’optique de préparer au mieux la reprise – et de futures embauches.


Éviter un licenciement abusif

L’article 336 du Code des obligations dresse une liste non exhaustive des motifs susceptibles d’amener les prud’hommes à juger qu’un licenciement est abusif. Il est interdit de se séparer d’un salarié pour des raisons inhérentes à sa personnalité, parce qu’il a fait valoir un droit constitutionnel ou au seul prétexte qu’il appartient à une organisation de travailleurs. Tout licenciement lié au sexe, à la religion ou à l’orientation sexuelle est ainsi prohibé.

Le cas du militantisme est plus complexe, relève Sandra Gerber, avocate au sein du cabinet lausannois Wilhelm Gilliéron: «Si l’employé est engagé au service d’une cause en totale contradiction avec le métier de l’entreprise, le juge pourrait estimer que le licenciement est légitime.»

Et à l’heure des réseaux sociaux, quid d’un collaborateur qui tiendrait publiquement des propos hostiles à son employeur ou incompatibles avec l’image de l’entreprise? «Les tribunaux l’acceptent de moins en moins facilement. C’est seulement si les propos tenus sont particulièrement graves qu’il est possible de justifier un licenciement avec effet immédiat», observe Sandra Gerber. Elle souligne que l’employeur peut tout à fait s’en tenir au cadre classique. Avant de rappeler que, sauf disposition particulière, un salarié licencié à titre individuel doit faire opposition dans le temps du délai de congé s’il juge la décision abusive. Dans le cadre d’un licenciement collectif, cette durée est portée à 180 jours à partir de la fin du contrat de travail.


Des délais de congé variables

Entre l’annonce de son licenciement à un salarié et la fin effective de son contrat de travail, le délai de congé varie selon les situations. Sous réserve d’éventuelles dispositions spécifiques à l’entreprise ou aux conventions collectives de sa branche, les principes généraux sont les suivants:

  • En cas d’incapacité de travailler entière ou partielle (maladie, accident…), le délai de congé est de 30 jours en dessous d’un an d’ancienneté, de 90 jours entre deux et cinq ans de services et de 180 jours au-delà.
  • Une salariée enceinte ne peut être licenciée ni dans le temps de sa grossesse, ni dans les 16 semaines qui suivent la naissance.
  • Un collaborateur ne peut être licencié le temps de son service militaire, pas plus que s’il exécute un service protection civile. Si celui-ci dure plus de onze jours, cette protection s’étend sur quatre semaines avant et après le début de son service.