Une citation qu’on attribue à Lénine énonce que «la confiance n’exclut pas le contrôle». Dans le monde de l’entreprise, trop de contrôle peut devenir extrêmement chronophage. Et ce n’est pas le rôle du manager d’être derrière l’épaule de chacun de ses collaborateurs. On en imagine assez bien les conséquences: perte de confiance en soi, manque de prise d’initiative, fatigue, stress. Autrement dit, rien qui favorise la productivité des équipes. Pour le manager aussi, l’excès de contrôle peut devenir épuisant et contre-productif.
Rien ne vaut la confiance. Celle qu’on accorde à ses collaborateurs, pour leur permettre de voler de leurs propres ailes. C’est en tout cas la vision de Michel Perrin, directeur général d’Uditis, une société active dans le domaine des systèmes d’information. Plutôt que d’entreprise agile, ou libérée, lui préfère parler d’entreprise «libérante»: «J’essaie de faire en sorte que le collaborateur se sente à l’aise. Car quand on se sent bien, cela libère de l’énergie.» Et donc de la productivité.
Une question de dosage
Concrètement, le patron privilégie une approche qui encourage les employés à se donner à fond dans ce qu’ils aiment. C’est sa règle du 80/20: 80% de choses que l’on aime faire, dans lesquelles on se sent compétent, et 20% de choses qu’il faut bien faire, même si on n’en a pas vraiment envie. Il recommande en outre de travailler en équipe, avec quelqu’un de complémentaire. «Par exemple, je suis un intuitif. Je vais donc travailler avec quelqu’un de plus carré, pour arriver au résultat voulu», résume-t-il. Une autre donnée à prendre en compte, pour éviter le risque du micro-management, ce sont les conditions de travail. Des collaborateurs qui bénéficient de bonnes conditions-cadres lâchent prise plus facilement, et l’entreprise se porte mieux.
Tout est question de dosage. Le dirigeant de l’entreprise basée à Peseux (NE) a mis au point ses propres outils pour faire prendre conscience aux collaborateurs des intérêts communs. «Lors de nos réunions, j’utilise une chaise vide qui représente l’entreprise. Elle permet à chacun de s’interroger sur ses besoins et ses attentes.»
Un autre exemple concret expérimenté au sein de la société touche aux notes de frais. Jugé dépassé, l’ancien système a été remplacé par une règle en trois points. 1. Est-ce que je dépense plus que si j’étais au bureau? 2. Suis-je en train de m’octroyer un revenu supplémentaire? 3. Toutes les notes de frais sont visibles par l’ensemble des collaborateurs. Pour compléter cet outil, un tirage au sort amène ponctuellement l’employé à discuter avec la comptable pour évaluer le processus. On gagne du temps et de la confiance au sein des équipes.
Le micro-management, c'est s'occuper de certaines choses moins bien que d'autres ne pourraient le faire.
En définitive, Michel Perrin mise sur «la confiance en lieu et place de la méfiance. Trop de règles sclérose l’entreprise. S’il faut prendre une pause supérieure à quinze minutes à la cafétéria, faisons-le. Cela permet de partager l’information entre les collaborateurs.»
«Le micro-management, c’est s’occuper de certaines choses moins bien que d’autres ne pourraient le faire, résume Frédéric Bonjour, membre de la direction du Centre patronal. Plutôt que de vouloir faire à la place de ses employés, un dirigeant doit avant tout avoir une vision de là où il veut aller et tenir le cap. Il faut parfois descendre dans l’arène, mais le moins souvent possible.»
De la même façon que dans le cas du burn-out, quelqu’un qui se perd dans le micro-management ne se rend pas compte de sa situation. «Il est dans un cercle qu’il pense vertueux et met beaucoup d’énergie à vouloir tout contrôler. Le problème, c’est que, en se perdant dans les détails, il risque de passer à côté de l’objectif de l’année», poursuit Frédéric Bonjour. Bien placé pour en parler puisqu’il est passé par là, il estime qu’on devient plus performant quand chacun retrouve sa place, ce qui passe par une prise de conscience.
Travail sur l'ego
Comment s’y prendre pour faire comprendre à son patron qu’il est trop présent, voire pesant? «L’idéal est d’accepter une évaluation à 360 degrés, que les collaborateurs évaluent les supérieurs. Mais cela reste rare. On peut remettre en cause le management, mais difficilement la hiérarchie.»
«Pour réussir à instaurer la confiance dans une équipe, il vaut mieux célébrer ce qui a été fait, plutôt que blâmer, estime Jill Székely, coach chez WiB-Swiss et présidente de la Société romande de coaching. Il faut adopter une attitude de bienveillance, être ouvert à des avis différents, puis poser le cadre.» En restant à l’écoute de ses collaborateurs, le manager laissera émerger les changements qu’il attend de la part de son équipe. Et veillera à rendre la décision collective. «Il n’a pas à trancher mais à synthétiser.»
Contrairement à une organisation militaire qui va du haut vers le bas, le management s’apprécie dans une vision circulaire, ou transversale. «Le manager est là pour écouter, sans jugement, et pour passer à l’action. Il y a un gros travail à faire sur l’ego, qui peut être réalisé avec un coach.» Le manager deviendra lui-même un coach dans son entreprise, et passera naturellement du «je» au «nous», clé d’une relation de confiance et synonyme pour l’entreprise de performance boostée.
«Pour éviter la réunionnite aiguë, il faut élaborer un plan d’action, avoir une vision et une approche concrètes. On peut déterminer des indicateurs d’avancée, plutôt que des objectifs atteints ou non atteints, ce qui aurait pour effet de provoquer de la résistance», ajoute Jill Székely. Plutôt que d’imposer des directives de façon unilatérale, sans consulter ses équipes, le manager doit amener ses employés à s’approprier les objectifs. Il n’aura pas peur de revoir ceux-ci s’ils sont trop ambitieux, en les alignant avec ce que l’équipe est capable de réaliser.
>> Lire aussi: La réunionnite, ce mal qui ronge les entreprises
Encourager l’autonomie, avec des feed-back réguliers
Les entreprises, qu’elles soient orientées vers le digital et l’innovation ou non, doivent pouvoir compter sur l’initiative et la créativité de leurs collaborateurs pour que ces derniers puissent résoudre différentes problématiques en toute autonomie. «Le challenge pour la hiérarchie est de pouvoir encourager cette autonomie, de faire confiance tout en s’assurant de recevoir des feed-back réguliers, remarque Jean-Marie Ayer, professeur et directeur de l’Institut des PME à la Haute Ecole de gestion Fribourg. Mais le défi consiste aussi à fixer des objectifs intermédiaires et à pouvoir contribuer positivement, au bon moment, au bon déroulement des activités.» L’ancien chef d’entreprise note d’ailleurs que la priorité est donnée à cette approche dans les cursus de formation de l’école, et que «cela correspond bien aux attentes des étudiants d’aujourd’hui».
Du micro-manager au «control freak»
Le micro-manager peut endosser une grande diversité de formes. Dans une des versions les plus extrêmes, c’est le control freak (ou maniaque du contrôle en français). A l’instar du personnage Marnie Michaels dans la série Girls, ce profil psychologique décrit une personne qui dicte à son entourage comment faire les choses. Dans le monde du management, cela inclut le fait de rabaisser ses subalternes, en particulier lors des réunions. Dans l’histoire, on retiendra le commandant Wellington, qui attribua sa victoire sur Napoléon à Waterloo à son excès de contrôle. Attention aussi au trouble de la personnalité anankastique (ou obsessionnelle-compulsive) qui pousse au perfectionnisme et à la rigueur, au détriment de l’ouverture et de l’efficacité.