«Mon directeur me parle comme mon père», voilà ce qu’a entendu l’ombudsman Heshmi Ferjani, ancien médiateur auprès des Nations unies, lors d’une médiation en entreprise. «Dans cette situation, ce chef de service a pu s’exprimer pour prendre de la distance et être plus apaisé au travail.» En Suisse, ils sont plus de 700 médiateurs reconnus par la Fédération suisse des associations de médiation (FSM). Le taux de réussite est en moyenne de 70%, tous champs de médiation confondus (entreprise, divorce, etc.), selon la dernière enquête menée par la FSM.
Créer un espace de confiance
«Le conflit, c’est une occasion ratée de se parler», résume Viktoria Aversano, médiatrice et fondatrice du cabinet Esprit d’entente à Genève. Il peut s’agir d’une chose à première vue anodine, mais qui, non exprimée, peut se transformer en conflit latent. Une remarque fuse, est prise personnellement et, au lieu d’en discuter, la personne visée prend sur elle. Jusqu’au jour où une guerre éclate. «Souvent, le conflit émerge seulement de perceptions différentes d’une situation», ajoute l’avocate de formation.
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La médiation vise à établir un terrain d’entente entre deux parties conflictuelles. Moins coûteuse qu’un recours en justice, cette méthode de management permet de fluidifier à l’amiable les rapports entre les collaborateurs et la hiérarchie. Le médiateur, ou ombudsman, ne donne pas des conseils, mais offre des options. «La solution appartient aux personnes en conflit, dit Anne Catherine Salberg, médiatrice à Genève et présidente de la Commission de reconnaissance de la Fédération suisse des associations de médiation. Si le médiateur donne un conseil tout prêt, ce ne sera pas leur solution.» C’est donc à l’employé de se responsabiliser, pour que la solution vienne de lui.
Pour qu’elle soit efficace, la médiation doit respecter un certain nombre de règles. Tout d’abord, qu’il soit interne ou externe à l’entreprise, le médiateur doit être le plus éloigné possible de la hiérarchie afin de garantir la neutralité, l’indépendance et la confidentialité. Il créera un espace de confiance où l’employé se sentira à l’écoute, à même de confier à une personne impartiale le problème qui le tourmente. Le rôle du médiateur se résume parfois à celui d’une oreille bienveillante.
Mon travail n’est pas celui du psychologue. Parfois, il s’arrête juste à la prise de conscience.
«Je suis là pour que la personne se sente écoutée et puisse mettre des mots sur ce qu’elle vit, dit l’ombudsman Heshmi Ferjani. Mais mon travail n’est pas celui du psychologue. Parfois, il s’arrête juste à la prise de conscience. Certains acceptent de chercher un terrain d’entente, mais d’autres refusent et considèrent toujours que «le problème, c’est l’autre».
Pour éviter qu’une situation ne dégénère et traiter un conflit le plus tôt possible, de plus en plus d’entreprises font le choix d’un médiateur interne, doublé d’un intervenant extérieur. C’est le cas de la Fédération luthérienne mondiale. Basée à Genève, la fédération emploie 72 personnes en Suisse et 8000 dans le monde pour parler de théologie dans près de 100 pays. Au centre œcuménique genevois, Agnès Page Livron, directrice des ressources humaines, s’est formée en médiation. Elle en utilise les outils, explique son rôle auprès des employés en conflit, avant de faire appel à un médiateur extérieur, en l’occurrence Anne Catherine Salberg.
Adapté pour les problèmes interpersonnels
Elle raconte le cas d’une femme enceinte qui éprouvait des difficultés à travailler et vivait des tensions avec sa responsable hiérarchique. «Au retour de son congé maternité, sa cheffe lui a donné de nouvelles tâches, que l’employée a perçues comme dévalorisantes. Sa supérieure estimait qu’elle n’était pas suffisamment mobilisée pour le travail, qu’elle avait d’autres priorités. L’employée a finalement quitté l’entreprise, mais la médiation a permis aux deux femmes d’exprimer leur point de vue et de partir avec un sentiment moins amer.»
Dans ce cas, la médiation permet de pacifier un départ. «Partir fâché peut être mauvais pour l’image de l’entreprise», témoigne James Wampfler, directeur de la Fondation pour l’accueil et l’hébergement des personnes âgées, qui regroupe deux EMS à Genève. «La médiation est surtout pertinente lorsqu’il s’agit d’un problème interpersonnel.» Le responsable fait appel à un médiateur lorsqu’il estime qu’une situation de conflit a pu naître d’une mauvaise interprétation. «Mais quand il n’y a rien à clarifier, que c’est par exemple ouvertement sexiste, homophobe ou irrespectueux, la médiation n’est pas l’outil adapté.» Pour l’employeur, il est important, en cas de malentendu, «que ce soit dit, compris, et que le comportement soit adapté».
Le médiateur, une boîte noire
Pour que la médiation puisse être mise en place dans de bonnes conditions, «l’entreprise doit porter la valeur du dialogue, ajoute Anne Catherine Salberg. Il faut accepter que le médiateur soit une boîte noire, et donc lâcher le contrôle, accepter de ne pas savoir.» En effet, ce qui est révélé au cours de la médiation ne peut en aucun cas être utilisé dans une procédure ultérieure. L’engagement total des participants est exigé, ainsi que le soutien des ressources humaines et de la direction.
L’instrumentalisation est un risque. Parfois, il y a un dysfonctionnement organisationnel dans l’entreprise.
La médiation se prépare individuellement en amont, puis nécessite en moyenne deux séances en présence des deux parties, pour un coût total oscillant entre 1500 et 3000 francs. «Il y a une première étape où je rencontre chaque protagoniste pour que l’on instaure un climat de confiance, pour se préparer à la rencontre, explique la médiatrice Viktoria Aversano. Cela se fait dans nos bureaux ou éventuellement en visioconférence. Il y a ensuite une première rencontre commune, où chacun exprime ses perceptions, son vécu, afin d’être entendu par l’autre. La médiation les aide à réfléchir à la façon dont ils peuvent vivre leur relation professionnelle. S’ensuit une deuxième, parfois une troisième séance où l’on réfléchit aux moyens de prévenir un potentiel retour du problème.» Ainsi, en cas de conflit, l’employeur doit évaluer si le problème peut être réglé en médiation.
«L’instrumentalisation du médiateur représente un risque, avertit Anne Catherine Salberg. Le patron qui dit: «Je ne veux pas voir le problème et je l’envoie en médiation.» Or, parfois, la difficulté ne vient pas de l’employé mais de l’entreprise. Il peut s’agir d’un dysfonctionnement organisationnel.» Avec les conséquences que l’on imagine sur la dégradation de la qualité du travail lorsque les collaborateurs se retrouvent en épuisement professionnel. Pour l’employeur, le principal enjeu reste donc d’avoir essayé et que ça n’ait pas marché. Mais comparé au coût – financier, mais aussi humain – d’un recours en justice, c’est une solution avantageuse.