Des services de streaming comme Netflix ou Spotify jusqu’au panier de légumes, en passant par les données mobiles ou l’accès à la salle de fitness, le consommateur multiplie bien souvent les abonnements. Cumulées, ces souscriptions peuvent représenter un budget important. «Tous les secteurs s’adaptent à ce modèle, de l’alimentation aux divertissements, de la mode aux animaux de compagnie», remarque Marie-Lou Veillon, fondatrice à Genève de BeyondFood, un service – par abonnement – de livraison de «plats prêts à cuisiner». Ainsi, de plus en plus d’entreprises s’intéressent au marché de l’abonnement, qui pourrait atteindre 220 milliards de dollars dans le monde d’ici à 2022 selon la banque d’affaires anglaise GP Bullhound.
«Le modèle de l’abonnement offre aux entreprises une agilité et une flexibilité intéressantes, quel que soit leur domaine d’activité», note Léa Miggiano, cofondatrice de Carvolution. Fondée en 2018 à Berne, cette start-up de 40 employés a développé l’abonnement de voiture. Le client choisit une durée d’engagement (de minimum six mois), durant lequel tous les frais du véhicule sont compris dans un paiement mensuel.
Gain de temps pour le client
Une série d’avantages dynamise le développement de l’abonnement dans l’économie: lisser le flux de trésorerie, limiter les risques d’impayés ou encore créer une base de données. Il peut reposer sur le modèle «freemium», soit l’accès limité gratuit, ou le forfait «premium» payant, qui offre plus de choix et évite les publicités. Ces modèles cohabitent avec le «pay-as-you-go», soit le fait de payer en fonction de la consommation réelle.
Il existe un point commun à la plupart des abonnements, qui explique leur succès: le gain de temps. Grâce aux données recueillies, ces services permettent aux utilisateurs d’obtenir des propositions personnalisées, sur la prochaine musique qu’ils vont écouter ou la nouvelle série qu’ils devraient aimer. Le même processus existe aussi pour les abonnements de produits, explique Marie-Lou Veillon de BeyondFood. «Nos clients perdent moins de temps, se créent une routine en planifiant leur repas à domicile.» La start-up créée en 2016 livre des paniers comprenant des recettes, ainsi que tous les ingrédients pour les réaliser.
Peut-on pour autant comparer BeyondFood et Spotify? «Il faut séparer les abonnements digitaux et ceux qui concernent la vente de produits, explique Thomas Straub, professeur de management à la Geneva School of Economics and Management (GSEM) de l’Université de Genève. Ce sont deux modèles différents. Les premiers permettent de mieux connaître les clients en recueillant et en analysant les informations sur leurs habitudes de consommation. Ces données peuvent ensuite être vendues sans l’avis des utilisateurs, voire être utilisées pour influencer son comportement d’achat.» La vente de produits, quant à elle, s’apparente plus à un service de livraison.
Les fournisseurs de ces services digitaux tirent un autre avantage de cette formule: une importante barrière à la sortie. Quitter un abonnement, c’est prendre le risque de perdre un algorithme qui connaît les goûts de l’utilisateur. «Un client qui veut changer d’offre va recommencer à zéro pour que le nouvel algorithme le connaisse et lui propose, par exemple, les hôtels qui correspondent à ses critères, ajoute Thomas Straub. C’est une façon de garder le client et parfois de l’influencer, de le diriger vers des consommations qu’il n’aurait pas forcément faites sans y être poussé.» De plus, étant donné que les abonnements représentent de petites sommes par mois, le client peut rapidement devenir captif et inconscient d’une dépense prélevée directement sur son compte.
L’heure est à la mise en commun
Aujourd’hui, il n’est plus nécessaire d’acheter des DVD et des CD en pagaille, ou même de s’équiper en matériel sportif. L’heure est à la mise en commun sur des sites de streaming ou dans des salles de musculation. «Le client ne possède pas ce pour quoi il paie, résume le professeur Thomas Straub. La propriété reste dans les mains de l’organisation qui vend l’abonnement ou d’un tiers, avec lequel elle a conclu un contrat pour obtenir des droits.»
Des limites que certaines entreprises souhaitent repousser. Apple a même fait de l’abonnement un des axes majeurs de son développement. Avec 16% de croissance en une année, les services Apple ont permis d’importants bénéfices pour l’entreprise américaine. En septembre 2020, elle a même présenté une nouvelle offre d’abonnement: Apple One. Pour un montant de 15 à 30 dollars par mois, cette formule réunit plusieurs services, de la musique à la télévision, en passant par la presse et le fitness.
La société de l’abonnement supplantera-t-elle la consommation au détail? C’est en tout cas une tendance dans l’air du temps, selon Léa Miggiano, la cofondatrice de Carvolution: «Les nouvelles générations sont moins attachées à la propriété, mais apprécient la flexibilité et la transparence des coûts, particulièrement en ces temps incertains. Deux aspects que l’on retrouve avec l’abonnement.» Le professeur Thomas Straub nuance néanmoins: «Il existe encore des domaines dans lesquels il sera difficile pour l’abonnement de percer, comme la restauration. C’est un secteur où les clients aiment avoir le choix, décider ce qu’ils consomment, et l’offre dans ce domaine sera éventuellement trop restreinte.»