En Suisse, les tarifs de l’électricité des ménages et petits consommateurs dépendent de la commune de résidence. Cette singularité s’explique par le fait que le marché, contrairement au marché européen, n’est pas libéralisé pour tous ceux qui ont une consommation inférieure à 100 MWh/an, soit 99% des utilisateurs du réseau. Par conséquent, la majorité des consommateurs sont ce qu’on appelle des « clients captifs », ils consomment l’électricité de leur fournisseur d’électricité local, qui a également la charge de la gestion du réseau. Ces fournisseurs, en charge de l’approvisionnement énergétique suisse, sont plus de 600 répartis sur le territoire, dont près de 80% sont la propriété des pouvoirs publics (i.e., cantons et communes) et 70% ne produisent pas d’électricité. On trouve donc parmi ceux-ci de petites structures dont ce n’est pas forcément le cœur de métier d’anticiper les grandes évolutions du marché. Quels qu’ils soient, ces fournisseurs ont deux options pour se procurer l’énergie qui sera ensuite vendue : produire l’électricité eux-mêmes et/ou l’acheter sur le marché de gros.
En ces temps de crise, la production propre offre aux fournisseurs une certaine sérénité vis-à-vis des fluctuations des prix du marché. Historiquement ce sont les grands fournisseurs (i.e., Axpo, Alpiq et BKW) qui se partageaient les grandes centrales hydrauliques et nucléaires suisses. Aujourd’hui l’essor des énergies renouvelables, particulièrement décentralisées et de plus petite puissance, offre à l’ensemble des fournisseurs la possibilité de produire leur propre électricité. Ainsi le groupe bernois BKW dispose d’une centaine de centrales de production et plus de 120 petites installations principalement photovoltaïques et thermiques, réparties dans cinq pays, qui lui permettent de répondre à l’ensemble de ses besoins sur sa zone de desserte. Le prix de l’énergie n’a ainsi pas augmenté pour ses clients en 2023, seul le prix final de l’électricité a légèrement augmenté car il intègre d’autres composants que le prix de l’énergie. Similairement la ville de Lausanne (SiL) et celle de Zurich (EWZ) produisent également respectivement la moitié et deux tiers de leur besoins grâce à leur plan solaire et des partenariats privilégiés avec des producteurs d’énergie (e.g., usine hydraulique de Lavey, collaboration avec Tridel). Leurs clients, comme tous ceux disposant d’un fournisseur également producteur, sont donc peu ou moins impactés par les fluctuations du marché. De son côté, Romande Energie assure environ 40% de ses besoins avec sa production propre, constituée principalement de centrales au fil de l’eau. L’efficacité de ces dernières a été mise à mal ces derniers temps en raison de la sècheresse, mais l’entreprise diversifie ses productions avec une centaine de parcs solaires, deux centrales biomasse et deux parcs éoliens.
Pour garantir l’approvisionnement énergétique et ainsi compléter la production propre, l’électricité peut être achetée sur des marchés de gros. Ces marchés rassemblent des producteurs, des fournisseurs, des grands consommateurs industriels ou des négociants en énergie. Comme son nom l’indique, les transactions s’y font à grande échelle avec des volumes importants d’énergie au niveau européen. Au sein de ces bourses européennes de l’électricité, les prix sont déterminés par l’offre et la demande, en fonction de différents facteurs tels que les conditions météorologiques, les niveaux de production et de consommation d’électricité, et les contraintes de transmission du réseau. Le prix est in fine fixé en fonction du dernier MWh nécessaire pour équilibrer consommation et production, selon le principe du « merit order ». Selon ce principe, les unités de production sont sollicitées par ordre de coûts croissants jusqu’à ce que la production et la consommation s’équilibrent. Lors de périodes de forte demande, ce sont donc les unités aux coûts marginaux les plus élevés, typiquement les énergies fossiles comme le gaz, qui déterminent le prix de l’électricité.
Ces marchés se distinguent par le type de produit qu’on y vend ou achète (e.g., un approvisionnement de base qui concerne tous les heures et jours de la semaine, ou de pointe, qui concerne les périodes de 8h à 20h du lundi au vendredi) et la temporalité. Ainsi pour du long terme, on visera plutôt la bourse EEX, il s’agit alors de contrats annuels, trimestriels ou mensuels. Pour du court terme, la bourse EPEX permet de négocier des contrats day-ahead (pour le lendemain) ou intra-day (en cours de journée). En général, les fournisseurs d’énergie en Suisse sécurisent une partie de leur approvisionnement en achetant des contrats de fourniture à long terme et puis ajustent en fonction des besoins réels. Cette stratégie d’achat, laissée au libre choix du fournisseur, explique également les différences de tarif d’une commune à l’autre.
Aujourd’hui, l’approvisionnement énergétique national dépend de ces échanges avec les pays européens. Les 41 lignes transfrontalières à haute tension permettent ainsi d’exporter l’électricité excédentaire en été et d’en importer en hiver lorsque la production indigène est insuffisante. Cependant, la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne et la libéralisation complète du marché de l’électricité n’est plus à l’ordre du jour. La crise énergétique traversée l’année dernière a définitivement enterré ce projet. Cela complique les relations et les échanges avec les pays européens. Par conséquent, l’objectif pour sécuriser cet approvisionnement énergétique est d’assurer à l’avenir une production indigène sûre reposant sur les énergies renouvelables, été comme hiver. En ce sens, la Commission de l’environnement, de l’aménagement du territoire et de l’énergie du Conseil des États (CEATE-E) a mis en place un paquet de mesures visant un développement rapide des énergies renouvelables en leur donnant priorité sur d’autres intérêts, telles que les prescriptions environnementales. Par exemple, en soutenant la construction de grandes installations photovoltaïques dans les Alpes en subventionnant 60% des coûts d’investissement. En agissant de la sorte, les politiques souhaitent d’une part garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique en hiver, mais aussi disposer d’une production électrique indigène qui permet de mieux contrôler les prix.
La météo clémente de cet hiver a légèrement détendu les marchés de l’électricité, mais les prix de gros au niveau européen, privés de gaz russe, restent élevés et la Commission fédérale de l’électricité (Elcom) s’attend à une nouvelle hausse des prix en 2024. Tant que la Suisse dépend de ses voisins pour son approvisionnement énergétique et que seule une partie des fournisseurs disposent d’une production propre, des différences subsisteront entre les communes, dépendants ou non des prix de gros européens. De plus, le pays s’expose à un risque de pénurie hivernale en raison de son isolement sur la scène européenne. Garantir un approvisionnement 100% indigène et renouvelable est le grand défi de ces prochaines années.
Marine Cauz
Experte externe
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