C’est l’histoire d’une PME comme tant d’autres. Elle est aujourd’hui dirigée par Patrick, qui l’a héritée de son père, qui lui-même l’a reçue de son père. Et Thibault, le fils de Patrick qui y a fait son apprentissage, en héritera--t-il à son tour?

Le cas de Patrick est symptomatique. Nous rencontrons bien souvent des patrons d’entreprise qui ont dédié à leur société tout leur temps et leur argent. Oubliant, au fil des ans, d’établir une frontière entre le patrimoine de l’entreprise et le leur, à titre privé. Cette situation les rend financièrement vulnérables à l’approche de la retraite et au moment de transmettre leur entreprise. Les propriétaires de PME, comme Patrick, se doivent d’anticiper leurs besoins financiers, que ce soit pour l’entreprise comme pour eux-mêmes, et ce, bien en amont de tout passage de témoin. Dans ce cadre, un outil permet de visualiser la situation de l’entrepreneur: la planification financière. Dresser un état des lieux de sa situation financière actuelle – privée et commerciale – rend possible une modélisation des besoins pour les dix à quinze prochaines années. Les différents scénarios de revenus qui en découlent constituent un outil précieux d’aide à la décision.

Check-up privé et commercial?

Spécialisée dans les installations électriques, organisée en société anonyme (SA), la PME de Patrick arrive à un tournant: non seulement son patron et propriétaire sera à la retraite dans moins d’une dizaine d’années, mais elle doit aussi se développer pour pérenniser son activité dans un marché en transition et en consolidation.

Lors de nos premières discussions, Patrick nous confie qu’il pense avoir réglé ce qui doit l’être au sein de sa famille. Pas besoin de testament, car tout le monde s’entend bien. Sa retraite? Il cotise à un deuxième pilier, mais, il l’avoue, il n’a jamais étudié le contenu de son certificat LPP. De plus, il ne s’en est jamais caché, il a toujours considéré son entreprise comme son troisième pilier. Dans les faits, il réalise qu’il ignore si sa retraite couvrira son train de vie et s’il pourra concrétiser son projet: donner ses actions à son fils aîné, comme son père l’avait fait pour lui.

Les aspects fiscaux

La vente d’une société peut engendrer de nombreuses conséquences fiscales. Un aspect à ne pas négliger à chaque décision. Un exemple? Le gain de la vente d’actions n’est pas toujours neutre fiscalement. Autre élément à considérer: la notion de juste prix. Elle peut aussi engendrer des conséquences fiscales pour les personnes qui acquièrent une société. Ainsi, un prix jugé trop avantageux pour un membre de la famille pourrait s’apparenter à de la donation. Une telle proposition à un employé ou une employée pourrait être considérée comme du salaire imposable.

Quels risques?

Patrick possède la totalité des parts de l’entreprise. Côté opérationnel, ils sont deux dans l’entreprise, Patrick et Luc, un cadre de longue date, à disposer d’une autorisation fédérale d’installation. En l’absence de Patrick, tout départ de Luc pourrait peser sur l’avenir de la société. A-t-il pensé à renforcer sa fidélité, via un plan d’intéressement au capital, par exemple?

Lorsqu’on l'interroge sur sa principale qualité et sur son principal défaut, Patrick répond immanquablement qu’il aime avoir le contrôle sur ce qui l’entoure. Un atout quand on est patron. Mais a-t-il pensé à déléguer son management au fil du temps? Il a la signature individuelle au Registre du commerce. Conséquence: en cas de décès ou d’incapacité temporaire, certaines décisions urgentes ne pourraient être prises pour la société. La solution aurait pu être double: inscrire une signature collective à deux entre Myriam, son épouse, et son fils Thibault, et rédiger un mandat pour cause d’inaptitude, nommant son fils comme mandataire légal.

Autre blocage potentiel: la signature que Patrick tient à apposer sur tous les paiements sortants. Aucun salaire ni règlement de fournisseurs ne pourrait être effectué en son absence. Là encore, une signature collective à deux, entre Thibault et Luc par exemple, aurait résolu ce point critique pour la société et ses parties prenantes.

Au fil de la discussion relative à la marche des affaires de l’entreprise, il convient qu’une partie de son matériel est vieillissante, alors même qu’il doit se développer et croître. Se pose aussi la question du bien-fondé de posséder dans la société l’immobilier d’exploitation et les terrains adjacents – par ailleurs constructibles – dans lequel il a passablement investi ces dernières années. De plus, il s’aperçoit que, s’il veut maintenir son train de vie à la retraite, il va devoir renflouer sa prévoyance via la mise en place d’un plan-cadre pour le deuxième pilier. Autre source de dépenses.

Entreprise familiale depuis 3 générations
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Le résultat de la planification financière est sans appel: Patrick ne possède pas les fonds nécessaires pour donner l’entreprise à Thibault et dédommager son autre fils, Eric, dont l’avenir se dessine bien loin de cette activité. Il va devoir vendre. Mais à qui? Sous quelle forme? Avec quelles incidences pour lui, pour sa famille, pour son entreprise? Et que vaut son entreprise? La réponse peut différer en fonction du type d’acquéreur – s’il vend à son fils, le prix ne sera probablement pas le même que s’il cède à une personne tierce, un concurrent par exemple. Elle peut aussi varier selon la structure de la société. L’immeuble, par exemple, alourdit le bilan de l’entreprise et n’intéressera pas forcément un investisseur. Patrick tient par-dessus tout à la pérennité de son entreprise et à la protection du patrimoine familial. Il veut ainsi pouvoir amener des liquidités dans la société afin d’investir dans sa croissance. Mais il tient également à une équité de traitement entre les membres de la famille.

Le rôle de l’immobilier

En ce qui concerne la question du patrimoine familial, il est envisagé de créer une société immobilière, dont il serait l’actionnaire majoritaire à 70% et dont chacun de ses enfants détiendrait 15%. Cette société achèterait l’immobilier détenu par sa société d’exploitation. Il pourrait construire un projet sur une partie du terrain adjacent, ce qui profiterait à l’ensemble de sa famille. Le financement de cette acquisition se fait par le biais d’un prêt hypothécaire ainsi que d’un prêt des parents. Ce dernier a pu être possible grâce à la distribution des liquidités non nécessaires à l’exploitation effectuée sous une forme optimisée entre salaire et dividende.

La planification financière a, en outre, permis de rassurer Patrick. Il peut se permettre d’attendre le remboursement de sa créance, d’autant plus que cet apport de liquidités ne sera pas imposé fiscalement. Bémol cependant de cette solution, des impôts, tels que les droits de mutation, seront à payer. Toutefois, pour Patrick, la protection du patrimoine familial prime sur le coût fiscal. Conséquence sur le patrimoine de l’entreprise: elle encaissera le montant de la vente. Les investissements dans des projets de développement pourront ainsi être financés. Elle versera dorénavant un loyer à la société immobilière (SI), réduisant d’autant les bénéfices futurs, mais aussi ses dépenses fiscales. Elle verra en outre sa valeur baisser, ce qui pourrait faciliter la recherche d’acquéreurs potentiels.

La création d’une holding

Le financement d’acquisition mis en place par la banque est octroyé directement à la holding et s’amortit sur une durée de cinq à sept ans. Le versement de dividende vers la holding n’est a priori pas soumis à l’impôt sur le revenu alors qu’il le serait à titre privé. A noter que, très souvent, il faut s’assurer que seuls les résultats futurs de la société financent le remboursement des charges de crédit et non les liquidités au bilan par exemple, ceci pour des raisons fiscales.

Les fruits d’une réflexion

Quelques années plus tard, Patrick va enfin pouvoir prendre sa retraite. Le plan mis en place a permis à chacun de réfléchir, de trouver sa place. Finalement, Thibault et Luc reprennent conjointement la société et optent pour la création d’une holding détenue à 70%-30%. Le prix a été validé par tout le monde et mis noir sur blanc dans un pacte successoral signé par tous les membres de la famille.

Afin de financer la transaction, les futurs propriétaires engagent quelques fonds propres, s’y ajoutent un financement bancaire octroyé directement à la holding, sur la base de la capacité de remontée de dividendes futurs de la société, ainsi qu’un prêt vendeur de Patrick. En d’autres termes, cette partie du prix de vente est différée et subordonnée au remboursement de la dette bancaire.

Cette solution permet également de répondre aux besoins de financement de la retraite de Patrick et Myriam. Elle permet encore d’assurer l’équité entre les enfants lors de la succession. Grâce à cette vente, Patrick aura une entrée de cash immédiate et le remboursement du prêt vendeur pourra intervenir bien plus tard. Les modalités de remboursement de ce prêt vendeur ont également été précisées dans le pacte successoral protégeant ainsi les repreneurs.

Reste à prendre ses distances par rapport à ce qui a constitué l’ossature de son quotidien pendant plus de quarante ans. La préparation patrimoniale de ce changement évite d’ajouter des soucis à l’émotion.

 

En cas de décès

Si le propriétaire décède, l’ensemble de ses biens privés et commerciaux se retrouvent dans une hoirie. Il s’agit d’une communauté dans laquelle toute décision doit se prendre à l’unanimité jusqu’au partage effectif. Peu importe à ce moment- là le pourcentage d’actions que chaque personne devrait recevoir selon le droit légal ou les souhaits du défunt. Même la séparation de biens n’a aucun effet. Le risque de blocage est ainsi très élevé si la famille n’arrive pas à s’entendre.

Pour éviter une telle situation, il est souvent conseillé de rédiger un testament ou un pacte successoral avec les dernières volontés du défunt, notamment en matière de partage des biens.

Préserver son patrimoine privé et professionnel

Parmi les risques qui pourraient entraver le bon fonctionnement de votre entreprise, avez-vous pensé à ceux liés à votre situation financière personnelle? Témoignages et conseils pour mieux gérer l’imbrication entre ces deux sphères patrimoniales.