Sur toutes les lèvres aujourd’hui, la transition énergétique n’est pas un processus aisé à mettre en œuvre pour une PME. Pas facile de se repérer dans la jungle des solutions disponibles. Si les gros consommateurs d’énergie (qui utilisent plus de 500 MWh d’électricité par an) sont contraints par la loi de faire certaines adaptations, ce n’est pas le cas des quelque 80 000 PME de taille moyenne dont la consommation annuelle varie entre 100 et 500 MWh. Pour ces dernières, qui représentent pourtant 30% de la consommation d’énergie de l’industrie et des services, la transition énergétique repose encore sur une base volontaire. «Beaucoup de PME de taille moyenne doutent de leur potentiel d’économie d’énergie. C’est, la plupart du temps, une idée erronée. En effet, grâce à des mesures simples à mettre en place et peu coûteuses, une PME est en mesure d’économiser en moyenne 10% d’énergie par an», constate Julien Egger, responsable du secrétariat de PEIK, le programme d’audit énergétique créé par SuisseEnergie pour les PME.
Audit essentiel
Concrètement, pour une PME, il est pertinent de réaliser un audit PEIK si les coûts d’énergie annuels dépassent 20 000 francs. A noter que la Confédération participe aux frais d’audit jusqu’à 2500 francs. Pour les PME de taille moyenne entrant dans ce groupe cible, réaliser un bilan de leur consommation énergétique est souvent la première étape essentielle avant d’entamer une transition. Les conseillers PEIK peuvent également aider à se repérer dans la jungle des subventions disponibles dans le cadre de ce processus.
La transition énergétique nécessite une approche globale. Avant de se lancer, une PME doit explorer toutes les pistes d’optimisation énergétique, ainsi que les possibilités de synergies avec les propriétaires des parcelles contiguës (susceptibles d’accroître le taux d’autoconsommation). Il faut également profiter des travaux de rénovation et de construction de nouvelles infrastructures pour étudier ce qu’il est possible de faire en matière d’efficacité énergétique. Il s’agit souvent d’étapes propices aux investissements en vue de cette transition.
Parmi les mesures d’économie immédiatement applicables, et qui impliquent peu ou pas d’investissements, se trouve le réglage des installations. La ventilation, par exemple, dont le débit est souvent trop élevé. Les bâtiments d’entreprise sont aussi régulièrement sur- chauffés. «Le réglage des courbes de chauffe est un élément important pour réaliser des économies d’énergie, souligne Julien Egger. Dans une pièce, un degré en trop équivaut à un surcoût énergétique de 5 à 7%.» L’éclairage est également un aspect central à prendre en compte. Choisir un éclairage LED, par exemple, divise généralement la facture d’électricité par deux. «Si tout l’éclairage de Suisse fonctionnait avec du LED, il serait possible de se passer de la production d’une centrale nucléaire», assure Julien Egger.
A Villars-sur-Ollon, à la suite d’un audit énergétique, la boulangerie-chocolaterie Heiz a entrepris des travaux, notamment sur l’outil de production.
«Une chambre froide et une chambre de congélation (–30°C) ont été construites. Ces deux outils produisent beaucoup de chaleur. Nous récupérons désormais celle-ci pour chauffer l’eau du bâtiment et produire du chauffage. Nous avons constaté une grande économie d’eau, car les moteurs de nos anciens frigos et congélateurs étaient refroidis avec de l’eau», témoigne Frédéric Heiz, directeur et administrateur de la boulangerie.
De fait, les économies d’énergie les plus importantes sont liées à l’optimisation des infrastructures, de l’outil de production ou des parcs de machines. Par exemple, plus de 160 000 entreprises en Suisse se servent de compresseurs, qui dégagent une chaleur considérable. Cette énergie n’est pas toujours récupérée ou l’est seulement en partie. L’exemple des moteurs de convoyeurs à bande, comme les tapis roulants utilisés dans la production industrielle, est lui aussi parlant. Leur achat constitue seulement 5% des coûts totaux, le reste provenant de l’énergie qu’il faut pour les faire fonctionner.
«Si tout l’éclairage de la Suisse fonctionnait avec du LED, il serait possible de se passer d’une centrale nucléaire»
Les entreprises actives dans les métiers liés à l’enveloppe du bâtiment et aux toitures doivent intégrer dans leur équation stratégique le solaire photovoltaïque. Elles devraient également former leurs employés dans ce sens. La façade photovoltaïque, par exemple, représente un potentiel énorme pour favoriser la production en hiver. Les tuiles solaires ont également le vent en poupe. Dans ce contexte, certaines filières professionnelles devront sans doute reconvertir une partie de leurs activités pour être en phase avec l’émergence des nouvelles technologies de la transition énergétique.
La rénovation ou la construction d’un bâtiment est souvent une belle opportunité pour adopter des mesures de substitution énergétiques et/ou utiliser du courant renouvelable local. C’est ce qu’a choisi de faire Landi Gros-de-Vaud. En raison de la grande quantité de denrées alimentaires qui transitent par ses entrepôts, la coopérative agricole indépendante joue un rôle central en matière d’approvisionnement pour la population. Afin d'assurer son bon fonctionnement, il lui est vital d’accéder à des sources d’énergie sûres. Raison pour laquelle elle vise à diversifier au maximum ses apports, surtout dans le contexte actuel de tension du marché. La coopérative agricole, qui est propriétaire de ses bâtiments et terrains, a entamé des réflexions sur l’énergie solaire il y a une dizaine d’années. A l’époque, cependant, la technologie n’était pas forcément très attractive.
Autonomie accrue
Récemment, la rénovation de la toiture de sa halle agricole d’Echallens a été l’occasion de remettre le projet au goût du jour et d’installer 2000 m2 de panneaux photovoltaïques. «Grâce à cet investissement, nous devrions produire chaque année environ 350 MWh, ce qui représente plus de la moitié de notre consommation énergétique», se félicite Olivier Sonderegger, son directeur. Trois bâtiments de la coopérative bénéficieront de cette production, permettant d’augmenter le taux d’autoconsommation de l’entreprise. La coopérative a pu relier trois de ses bâtiments au réseau ainsi créé. Pour des raisons techniques et de marché, cependant, il a été impossible d’alimenter son centre collecteur, qui n’est pas sur une parcelle contiguë, ou son magasin situé à Assens.
Demande en forte hausse
Le solaire photovoltaïque et ses produits dérivés sont devenus le cœur de métier d’Electro-Sol. Depuis 2010, cette PME vaudoise active dans le marché B2B auprès des électriciens a investi ce secteur d’avenir et en plein essor, alors que son activité traditionnelle – le câble chauffant – était en perte de vitesse. Avec succès, puisque l’entreprise a triplé son chiffre d’affaires en dix ans et est passée de 10 à 39 collaborateurs. La transition, cependant, ne s’est pas faite sans adaptations structurelles. Les clients principaux de l’entreprise, les électriciens, n’étaient souvent pas formés dans ce domaine. «Il a donc fallu embaucher des monteurs à l’interne pour la pose des panneaux solaires», explique Kilian Thonney, directeur d’Electro-Sol.
Depuis six mois, le directeur constate une forte augmentation de la demande pour des solutions énergétiques alternatives. «En octobre dernier, le discours du conseiller fédéral Guy Parmelin à propos d’une potentielle pénurie, les différents rapports du GIEC et l’éclatement de la guerre en Ukraine sont autant d’éléments ayant sensibilisé un grand nombre de professionnels à la nécessité d’amorcer une transition énergétique», analyse Kilian Thonney. Pour lui, le manque de main-d’œuvre formée reste aujourd’hui encore un problème central sur le marché. «Redynamiser la filière CFC, actuellement en perte de vitesse, est un enjeu essentiel pour accompagner la transition énergétique», glisse-t-il.
En matière de mobilité, la transition écologique doit être entreprise avec précaution. Les solutions les plus en vogue – reposant en particulier sur l’électrique – ne sont pas toujours les plus adéquates. Selon leur utilisation, le bilan énergétique est loin d’être satisfaisant. Mais d’autres technologies existent et sont déjà utilisées en Suisse. Pour une PME, il est donc conseillé de ne pas foncer tête baissée en choisissant des solutions à la mode. Il faut plutôt adopter une approche réfléchie et s’entourer de professionnels compétents.
La transition énergétique est susceptible de prendre de multiples formes selon les domaines d’activité. Le groupe Kolly a ainsi récemment inauguré un nouveau garage à Aigle pour encourager ses clients à se lancer dans la transition énergétique. Créée en 1979 à Fribourg, cette entreprise familiale compte une centaine de collaborateurs, répartis sur quatre sites (FR, VD, BL, ZG). Active dans le domaine des technologies de l’environnement et de la location-vente de véhicules professionnels, la durabilité est depuis longtemps au cœur de ses préoccupations.
Retard à combler
L’entreprise possède une flotte de 80 utilitaires légers et lourds de location. Plusieurs d’entre eux sont électriques, chose encore rare en Suisse. «La mobilité professionnelle a deux ou trois ans de retard sur les voitures individuelles», note Dominique Kolly. Le directeur est cependant convaincu que l’avenir de la mobilité ne repose pas uniquement sur l’électromobilité, mais sur un mixte technologique (carburants synthétiques, hydrogène, biogaz, électrique, diesel, etc.). C’est pourquoi l’entreprise a investi à Aigle.
Infrastructure nécessaire
A cette occasion, l’entreprise a monté un atelier ATEX (pour atmosphère explosive), dans lequel il est possible de réparer des véhicules fonctionnant à l’électrique, à l’hydrogène et au à gaz liquide ou compressé. Le groupe a également installé sur son site une station des énergies du futur. «Nous avons voulu être avant-gardistes en proposant à notre clientèle des solutions pour les encourager à acquérir des véhicules alternatifs. Tout le monde parle de transition énergétique en matière de mobilité professionnelle, mais encore faut-il en avoir les moyens en matière d’infrastructure», glisse Dominique Kolly, directeur du groupe Kolly.
Dans le domaine alimentaire aussi, de nombreuses initiatives voient le jour pour répondre aux besoins de la transition énergétique. A Molondin, l’Agropôle est devenu un centre d’expertise dédié à la nourriture durable de demain. Des sociétés innovantes comme CleanGreens ou ecoRobotix en sont membres. Le centre a lancé il y a peu la construction d’un nouveau bâtiment destiné à loger des sociétés.
Mené par Losinger Marazzi, le projet se veut un modèle en matière d’efficience énergétique et de durabilité. Il s’insère notamment dans une démarche d’économie circulaire puisqu’il emploie des matériaux issus de la rénovation d’un immeuble genevois. «De plus, tous les éléments seront référencés afin de pouvoir être réutilisés lors de la déconstruction du bâtiment de l’Agropôle, dans plusieurs dizaines d’années», note Xavier Blanc, chef de projet chez Losinger Marazzi.
Cette initiative s’inscrit dans une dynamique d’avenir pour le secteur de l’immobilier et de la construction. Ce dernier représente en effet un enjeu de taille en matière de durabilité. Vieillissant, il génère environ un quart des émissions de CO2 de la Suisse et absorbe près de la moitié de ses besoins énergétiques. Aujourd’hui, on estime qu’environ 1,5 million de bâtiments du pays sont inefficients énergétiquement et nécessiteraient un assainissement.
Lors d’un projet de construction, être bien accompagné est indispensable. Chaque PME a des contraintes et des enjeux spécifiques en lien avec ses besoins de construction ou de rénovation (budget, planning, surface, localisation, type de matériaux, architecture audacieuse, etc.). Etre capable de lister ces éléments et de les prioriser est important pour bâtir le projet et préparer les arbitrages si le cas idéal n’est pas atteignable. La qualité de l’écoute et de l’échange avec les professionnels du secteur (architectes, etc.) doit être optimale. Ces derniers doivent être capables de comprendre l’entreprise, de se mettre à sa place et de proposer des solutions. A contrario, la PME doit être capable d’entendre les contraintes et de décider.