L'essentiel en 3 points :
  1. Le solaire et l’éolien sont complémentaires, avec des profils de production qui se complètent à l’échelle saisonnière et journalière.
  2. L’analyse des données de production solaire et éolienne offre de nouvelles perspectives pour repenser l’utilisation du réseau en fonction des caractéristiques des énergies renouvelables, afin d’en optimiser les usages tout en réduisant les pertes.
  3. Diversifier nos systèmes d’énergies renouvelables est important pour renforcer notre autosuffisance énergétique et construire un système électrique durable et résilient.

Dans le cadre d’une étude que j’ai menée à l’EPFL, les données horaires de production solaire et éolienne ont été analysées de 2020 à 2023. Pour comparer ces deux sources de manière équitable, ces productions ont été normalisées, c’est-à-dire ajustées pour permettre la comparaison entre une unité d’énergie solaire et une unité d’énergie éolienne, indépendamment du nombre d’installations présentes en Suisse. Cette étude statistique des données a mis en lumière trois avantages-clés d’un système hybride combinant photovoltaïque et éolien.

Comparaison entre les productions moyennes photovoltaïque et éolienne en Suisse entre 2020 et 2024

Comparaison entre les productions moyennes photovoltaïque et éolienne en Suisse entre 2020 et 2024.
(Source : Embracing wind power in the solar PV-dominated Swiss landscape, Cauz M., Wyrsch N., Perret L., Ballif C., et Pena Bello A., 2024.)

Tout d’abord, une complémentarité saisonnière. Il est connu que les installations solaires produisent plus d’énergie pendant les mois d’été, lorsque les journées sont longues et ensoleillées, que pendant l’hiver, où l'ensoleillement est plus rare. Ce qui est moins connu, c'est que l'éolien suit une tendance inverse : environ les deux tiers de sa production se concentrent durant les mois d’hiver, lorsque les conditions sont plus venteuses. Par conséquent, un système énergétique hybride composé à parts égales de solaire et d’éolien offre une production plus stable tout au long de l’année, comme illustré sur l’image. En Suisse, où la production énergétique indigène est insuffisante en hiver, renforcer notre capacité éolienne améliorerait notre autonomie énergétique hivernale.

À la complémentarité entre photovoltaïque et éolien à l'échelle d'une année s'ajoute une complémentarité à l'échelle d'une journée.  L’analyse des données heure par heure sur les quatre années étudiées montre que les périodes de forte production éolienne coïncident souvent avec des périodes de faible production solaire, et inversement. L’étude révèle deux tendances marquantes : une grande partie de la production solaire se fait lorsque l'éolien fonctionne à moins de 20 % de ses capacités, et similairement la majorité de la production éolienne se produit lorsque le solaire est à moins de 20 % de sa capacité. Intuitivement, cette tendance se comprend bien : lorsqu'il fait grand soleil, il y a souvent peu de vent, et lorsqu'il fait gris, le temps est souvent venteux. Cette complémentarité horaire permet d’assurer une production énergétique plus stable dans un système hybride et donc d’optimiser l’utilisation des réseaux électriques. 

Réseaux électriques.
© Valentin Flauraud pour Romande Energie – Tous droits de reproduction réservés

Parlons enfin de ces réseaux, car ces complémentarités ouvrent de nouvelles perspectives pour l'optimisation de notre infrastructure électrique. En Suisse, le dimensionnement des raccordements au réseau se base généralement sur la puissance nominale des installations. Or, l’analyse des données de production solaire et éolienne montre que, la plupart du temps, ces installations fonctionnent largement en-dessous de leur capacité maximale. L’étude révèle que, grâce à la complémentarité temporelle de ces deux sources d’énergie, un système hybride composé à 50 % de solaire et 50 % d’éolien n’a jamais dépassé 70 % de sa puissance nominale au cours des quatre dernières années. En acceptant de réduire légèrement la production (appelée ajustement d’injection ou écrêtage) pendant quelques heures par an, principalement lors des pics de production, il serait possible de dimensionner les raccordements à des puissances nominales encore inférieures. Cela offrirait des économies significatives qui seraient répercutées sur les taxes d'acheminement de l'électricité, tout en engendrant très peu de pertes d’énergie pour les producteurs.

Pour évaluer l'impact de ce changement sur le réseau, l’étude propose une nouvelle définition du facteur de charge. Habituellement, le facteur de charge exprime le ratio entre l’énergie réellement produite par une installation et l’énergie qu’elle aurait pu produire en fonctionnant à pleine puissance sur une période donnée. Dans cette étude, on le redéfinit en tenant compte du réseau : le facteur de charge représente désormais le ratio entre l’énergie réellement produite par l’installation et la quantité maximale d’énergie injectable dans le réseau, qui est fixée par la puissance de raccordement.
Cette approche se concentre sur ce que le réseau peut absorber, plutôt que sur la production potentielle maximale des installations, un critère souvent peu pertinent pour les énergies renouvelables. Par exemple, les installations solaires ne produisent à pleine capacité que pendant quelques heures en été. Dimensionner la puissance de raccordement pour ces rares moments semble peu justifié. Une alternative serait de calibrer le raccordement pour absorber la majorité de la production, quitte à limiter légèrement les pics de pleine capacité, afin d’optimiser les investissements dans le réseau.

Cette nouvelle approche permet aussi de comparer différentes configurations de systèmes énergétiques (par exemple, une installation solaire seule versus un système solaire couplé à une batterie). Les sources d'énergie renouvelable, en raison de leur variabilité, ont généralement des facteurs de charge faibles si l’on se base sur leur puissance nominale : environ 10 % pour le solaire et 20 % pour l’éolien. Cependant, l’étude montre que dans un système hybride avec 66 % de solaire et 33 % d’éolien (des pourcentages réalistes à l’échelle suisse), ce nouveau facteur de charge peut atteindre une valeur de 41 %, en réduisant la puissance de raccordement de 30 %, avec seulement 5,6 % de pertes de production.

L’étude va plus loin en comparant la production nucléaire suisse (22,3 TWh) à un système énergétique combinant une production photovoltaïque (13,28 GW ou 11,186 TWh) et éolienne (6,38 GW ou 11,186 TWh) avec un stockage d’environ 90 GWh. Les résultats montrent qu'un tel système renouvelable peut atteindre un facteur de charge de plus de 80 %, en utilisant 5,8 % de la capacité de pompage hydroélectrique disponible aujourd'hui. Ce facteur de charge est comparable à celui d'autres technologies, ce qui montre que la complémentarité et le stockage peuvent répondre aux défis de l’intermittence des énergies renouvelables, tout en optimisant l’utilisation de nos infrastructures électriques.

En conclusion, cette étude met en lumière l’importance et la nécessité d’une transition énergétique basée sur la complémentarité des technologies plutôt que sur une source unique. En diversifiant notre mix énergétique avec des solutions combinant solaire, éolien, hydraulique et différentes formes de stockage, la Suisse pourrait non seulement améliorer son autosuffisance tout au long de l’année, mais aussi optimiser ses infrastructures électriques. Notre avenir énergétique réside donc dans une approche hybride et adaptable, où chaque technologie trouve sa place pour garantir un approvisionnement fiable, durable et économiquement viable. La complémentarité entre le solaire et l’éolien en est un exemple concret, qui, en exploitant pleinement ces opportunités, peut nous mener vers une transition énergétique plus flexible et résiliente.

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Rédigé par Marine Cauz · Experte indépendante

 

Marine Cauz

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