La notion de sobriété est pleinement entrée dans notre vocabulaire l’hiver passé, portée par la crainte d’une pénurie énergétique. Ainsi, limiter la température intérieure à 19°C ou opter pour une douche plutôt qu’un bain sont des gestes qui, sans péjorer notre quotidien, sont assimilés à des actes de sobriété. Mais vous en connaissez, et en pratiquez sans doute d’autres : mutualiser (des véhicules, des espaces, des services, etc.), réduire sa vitesse sur l’autoroute, échanger des habits au lieu d’en acquérir des neufs, réduire sa consommation de viande, laver son linge à 30° au lieu de 60°, ou encore trier ses déchets. Non, les gestes de sobriété ne datent pas de l’hiver passé. Nombre d’entre nous se souviennent de cette phrase, entendue enfant, alors que nous quittions une pièce : « Éteins la lumière, je ne m’appelle pas Crésus ! ». A l’époque, j’ai alors appris deux choses : qui était ce richissime Crésus et que dépenser l’électricité avait un coût. Au final, on joue sur les mots : à l’époque on évoquait le bon sens, aujourd’hui on parle de sobriété, demain ces gestes seront indispensables. L’étude prospective publiée par le Canton de Vaud à la fin du mois de juin intitulée « Transition énergétique dans le canton de Vaud à l’horizon 2050 » ne fait d’ailleurs pas mystère sur ce nécessaire besoin de frugalité. « Les solutions juridiques ou techniques seules ne devraient pas suffire (à atteindre la neutralité carbone en 2050 dans le canton, ndlr), et l’objectif ne pourra vraisemblablement être atteint qu’avec des changements de pratiques et davantage de sobriété. »

C’est quoi la sobriété ?

Pour Barbara Nicoloso, directrice de l’association Virage Energie, les domaines qu’elle touche sont nombreux. Elle les détaille dans son excellent livre « Petit traité de sobriété énergétique ». Ainsi, la sobriété peut – entre autres – être matérielle (repenser notre utilisation des biens), structurelle (impact de l’aménagement du territoire sur notre organisation et nos modes de vie), d’usage (ce n’est pas parce qu’on a une voiture qu’il faut l’utiliser tout le temps), organisationnelle (repenser nos habitudes collectives), collaborative (pratiquer ensemble une activité permettant de réduire la consommation d’énergie, comme les Repair Cafés) ou encore énergétique (consommer la juste quantité d’énergie et éviter le gaspillage). L’Office fédéral de la culture en donne une définition universelle. « Les personnes ont un mode de vie sobre quand elles orientent consciemment leur comportement en fonction de ce qui est vraiment indispensable pour bien vivre et non du maximum imaginable. Elles ménagent ainsi l’environnement et améliorent leur qualité de vie. Elles se concentrent sur l’essentiel. Cela ne veut pas dire renoncer à tout, mais faire des choix, partager ou échanger. » Marlyne Sahakian, professeure associée au Département de sociologie à l’Université de Genève, apporte une autre vision éclairante. « L’idée centrale de la sobriété énergétique (…) est d’éviter une certaine partie de la demande tout en répondant aux besoins humains. Autrement dit : il s’agit de trouver une façon de consommer moins en prétéritant aussi peu que possible notre bien-être et notre qualité de vie. »

Non, ce n’est pas un retour en arrière !

Nous devons regarder la vérité en face et agir en conséquence, sortir la tête du sable. Premièrement, nous vivons dans un monde fini aux ressources naturelles limitées, où les émissions de gaz à effet de serre et la surexploitation des ressources ont de terribles conséquences sur nos écosystèmes. Deuxièmement, la surconsommation entraîne une surproduction, qui elle-même génère des déchets et de la pollution. Et enfin, nos choix de consommation ont un impact direct sur notre santé et notre bien-être. Dans son livre, Barbara Nicoloso épingle notre addiction à l’énergie, cette richesse essentielle mais quasi invisible, et rappelle qu’en l’espace de deux siècles, l’espèce humaine est devenue une force géologique à part entière responsable d’un dérèglement climatique planétaire. Au terme sobriété, elle oppose très justement celui d’ébriété. « Les sociétés occidentales vivent depuis la fin du XIXe siècle en état d’ébriété énergétique permanent, écrit-elle. Elles fonctionnent sous perfusion énergétique et peinent à s’en sevrer. » Elle précise par ailleurs qu’au vu de l’urgence climatique, notre rapport aux biens matériels s’apparente à du gaspillage et souligne que la transition énergétique vers un modèle de société soutenable doit être une démarche collective, démocratique et souhaitable. « Quand l’individualisme propre au capitalisme moderne a plutôt tendance à encourager le repli sur soi, la sobriété, au contraire, encourage à s’ouvrir aux autres pour collaborer, à multiplier les pratiques plutôt que de se spécialiser. » Elle précise que la sobriété diffère de l’efficacité énergétique qui, elle, fait appel exclusivement à des améliorations techniques permettant de réduire les consommations d’énergie à l’échelle d’un système donné (bâtiment, véhicule, etc.).

Attention à l’effet rebond

La sobriété va de pair avec un changement de comportements. Toucher à son écosystème personnel, c’est ajouter de la conscience dans nos actes. C’est une formidable opportunité de questionner nos habitudes et d’ouvrir les possibles. Une boucle vertueuse qui touche aussi – ou plutôt ne touche pas – à notre porte-monnaie, comme le souligne Fabien Lüthi de l’Office fédéral de l’énergie (OFEN). « L’énergie, les biens et les ressources non consommées ne nous coûtent rien. Plus on est sobre, plus on économise. Nous pouvons ensuite décider d’investir par exemple dans l’achat d’un appareil plus cher, mais plus efficace sur la durée. Et faire le choix de la sobriété, c’est également participer à l’effort collectif. » Il met toutefois en garde contre l’effet rebond, comparable à un su-sucre mental qui réduit à néant les efforts, voire les contrebalancent. « Si je me passe de la voiture toute l’année, alors je peux prendre l’avion plus souvent » est par exemple un très mauvais calcul. Il est un adage qui conseille de tourner sept fois sa langue dans sa bouche avant de parler ; en matière de sobriété, questionner plusieurs fois ses besoins avant d’agir est également tout à fait pertinent.

« Moins c’est mieux »

Le Centre de compétences en durabilité de l’UNIL a lancé en début d’année, et en partenariat avec Romande Energie, le cycle « Moins c’est mieux ». La démarche a pour but d’ouvrir les discussions et d’apporter des éléments de cadrage sur la question de sobriété énergétique, ainsi que des manières concrètes de la mettre en œuvre. Le programme durera jusqu’à la fin de l’année 2023 et est ouvert au public. Il inclut conférences, films, tables rondes, théâtres d’improvisation et diverses autres opportunités de réfléchir ensemble aux futurs possibles pour nos sociétés et notre planète. Lors de la conférence du 9 mars dernier intitulé « La sobriété énergétique de la théorie à la pratique », Sascha Nick, chercheur en transformation sociétale à l’EPFL, a évoqué le potentiel évident de la sobriété en Suisse. « Si les approches basées sur l’efficacité permettent au mieux de réduire les besoins énergétiques de moitié, la sobriété permettrait de la diviser par six et c’est en combinant les deux que nous pourrons la diminuer par douze. » Le chercheur s’est par ailleurs demandé pourquoi la sobriété n’est pas déjà partout dans nos sociétés, si elle présente autant d’avantages ? Sa réponse est limpide : la sobriété est incompatible avec l’économie néo-classique et les structures de pouvoir existantes que nous avons créées. Il avance alors la nécessité de réinventer les institutions permettant l’engagement de la population autour de ces grandes questions sociétales, par exemple, avec les assemblées citoyennes.

En matière de sobriété, les changements doivent certes venir de l’individu. Mais si seul on va plus vite, à plusieurs on va plus loin : la sobriété doit véritablement être une démarche démocratique et solidaire. De plus, changer de comportement nécessite des conditions favorables au passage à l’acte et à son maintien. La mise en œuvre de la sobriété est donc avant tout collective, et donc politique. C’est à nos gouvernements de créer ces conditions favorables au changement de comportement, à travers une stratégie concertée et ambitieuse.

Sources utiles :

WWF sobriété

Moins c’est mieux

Barbara Nicoloso

Association Virage Energie

Livre « Petit traité de sobriété énergétique »

Joëlle Loretan

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Rédactrice

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