L'essentiel en 3 points :
  1. Le comportement des occupants a un impact significatif sur la consommation d'énergie d’un bâtiment, tout comme sa forme et la manière dont il est utilisé. L’un ne va pas sans l’autre ;
  2. La diversité des comportements des occupants doit être prise en compte pour améliorer la précision des simulations énergétiques ;
  3. La collecte des données doit tenir compte des différences individuelles, culturelles et situationnelles. Pour cerner au mieux cette diversité, les chercheurs utilisent des technologies de collecte de données et de modélisation des occupants et réalise des enquêtes sur le terrain.

Il est encore utile de le rappeler : les bâtiments sont gourmands en énergie. Selon les chiffres de l’OFEN, le parc immobilier suisse consomme près de 90 TWh, soit environ 40% de la consommation finale d'énergie. Le potentiel d’économie est énorme. Si la Stratégie énergétique demande – entre autres – d’intervenir sur la forme (les rénovations), les chercheurs du groupe ETHOS y ajoutent le fond (l’usage des occupants). Comment concevoir plus efficacement les bâtiments – ou agir sur l'existant – pour soutenir l'efficience énergétique ? Comment l'aménagement spatial du bâtiment influence nos expériences ? Ou encore, quels outils de détection permettent de mieux comprendre la dynamique sociale dans les bâtiments ? 

L'importance du facteur humain

Sans surprise, nous sommes une pièce maîtresse du puzzle. « Le comportement humain est le facteur le plus important en termes de consommation d'énergie dans les bâtiments » explique Andrew Sonta (interview bas de page). Nous passons quasiment 90% de notre temps à l’intérieur et les bâtiments, et par leur design et leur utilisation, ils influencent fortement nos expériences et nos comportements. Parallèlement, la présence et les actions des utilisateurs impactent le fonctionnement et la performance énergétique des bâtiments. L’un ne va pas sans l’autre : « Les bâtiments se situent à une intersection importante entre nos expériences subjectives et l’utilisation responsable des ressources naturelles pour l’énergie », précise Andrew Sonta. « Il s’agit donc d’améliorer notre compréhension du comportement humain dans les bâtiments pour en améliorer la conception et l’exploitation ». La forme du bâti et des espaces compte aussi, ajoute le chercheur. Ainsi, tenter d’aligner comportements des occupants et systèmes du bâtiment permet également un fonctionnement plus efficace. « En ce qui concerne l'énergie, nous avons par exemple constaté que modifier la disposition du bâtiment afin que les personnes ayant des horaires d'occupation similaires soient assises les unes à côté des autres peut conduire à des économies d'énergie. Les systèmes de construction à forte intensité énergétique, tels que le chauffage ou le refroidissement, peuvent ainsi être plus efficaces, en fournissant l’énergie uniquement où et quand cela est nécessaire. » Les chercheurs estiment que le simple changement de la disposition des occupants (par simulation) permettrait d'économiser 5 à 6 % de l'énergie d'éclairage totale.

Des études subjectives et des données objectives

Développer des modèles de comportement des occupants qui prennent en compte les différences individuelles, sociétales, culturelles et situationnelles, reste un défi pour l’équipe du laboratoire ETHOS. La perception des stimuli sensoriels peut être consciente ou inconsciente et varie selon l'état interne et les conditions externes des individus. Pour cerner au mieux cette diversité et cibler les actions à entreprendre, les chercheurs utilisent des technologies de collecte de données et de modélisation des occupants pour détecter la présence d’individus : capteurs infrarouges, mesures de concentration de dioxyde de carbone, connexions Wi-Fi, niveaux sonores, sont quelques-unes des approches. « Les thermostats peuvent également enregistrer lorsque les occupants effectuent des ajustements et les capteurs de fenêtre peuvent enregistrer lorsqu’on les ouvre ou on les ferme » ajoute Andrew Sonta. Les enquêtes et études menées sur le terrain permettent par ailleurs un meilleur degré de précision. Les données récoltées permettent ensuite d’affiner les modèles et les simulations de la performance énergétique des bâtiments et de mieux comprendre les actions des occupants dans différentes conditions environnementales, ce qui contribue à améliorer les estimations de consommation des bâtiments pour les nouveaux projets et les rénovations.

Ainsi, si humain et technique sont indissociables, il s’agit tout de même pour le bâtiment de s’adapter aux comportements de ses hôtes, et non l’inverse, comme le relèvent les chercheurs et journalistes de The Conversation dans cet article. « L’objectif n’est pas de persuader les utilisateurs d’avoir tel ou tel comportement, mais de concevoir des habitats et des équipements compatibles avec les résidents, pour rendre possible la réalisation des performances énergétiques escomptées, et permettre des attitudes réellement sobres ». Il ne suffit donc pas de considérer l’habitat comme un système technique plus ou moins énergétiquement efficace, mais comme un système qui ne peut être énergétiquement efficace qu’avec ses habitants.

* Le laboratoire « Civil Engineering and Technology for Human Oriented Sustainability » ETHOS au Smart Living Lab de Fribourg bénéficie du soutien financier du Fonds national suisse et du Domaine des EPF. Il s'inscrit dans une collaboration nationale (avec d’autres groupes du Smart Living Lab et le projet collaboratif Once, des chercheurs de l'EPFL, EMPA, Eawag, les Universités de Lausanne, Zurich et Saint-Gall) et internationale.

Quelques questions à Andrew Sonta, directeur du laboratoire « Civil Engineering and Technology for Human Oriented Sustainability » (ETHOS) au Smart Living Lab, Fribourg.

Andrew Sonta
Quelles sont les bonnes questions que devrait se poser un concepteur, afin d’intégrer le comportement des utilisateurs dans la conception et la gestion efficace des bâtiments ?

Il est important de penser à la manière dont les occupants vont interagir avec l’espace. Cela signifie qu'ils doivent intégrer les comportements dans les outils de simulation énergétique et tenir compte des expériences quotidiennes. Par exemple, des capteurs placés aux mauvais endroits peuvent conduire les utilisateurs à des gestes inefficaces, comme les recouvrir pour éviter que les lumières ne s’éteignent. Une bonne intention pour économiser de l’énergie engendre ici un résultat pire que si le système n’avait pas été installé du tout. Par ailleurs, les opérateurs de réseau et les gestionnaires de portefeuilles immobiliers doivent réfléchir à la manière dont la demande énergétique des bâtiments peut être ajustée pour mieux correspondre à l'offre énergétique, à mesure que nous introduisons davantage d'énergies renouvelables dans le réseau. Comprendre les niveaux d'occupation dans un bâtiment, un quartier ou une ville aide à concevoir des mesures de flexibilité de la demande davantage centrées sur les occupants.

Qu’est-ce qui vous intéresse particulièrement dans ces recherches ?

Ce qui est passionnant, c’est que la relation humaine avec l’environnement bâti est en constante évolution. Il y aura toujours à apprendre, car nos habitudes, nos besoins et nos comportements évoluent. Par exemple, après la pandémie de COVID-19, l’utilisation des espaces de bureau et la valeur que nous leur attribuons ont radicalement changé. Ces locaux désormais sous-utilisés posent des défis en termes de gestion durable et efficace des espaces.

La pandémie de COVID-19 a eu un fort impact sur l’exploitation des bâtiments ?

Effectivement, elle a profondément modifié notre rapport aux bâtiments. La demande pour les immeubles commerciaux a diminué, les taux d’occupation des bureaux ont chuté – jusqu’à la moitié dans certaines grandes villes – et le travail hybride est devenu courant. De nombreuses questions restent en suspens quant à la manière d’aborder ces nouveaux modèles de comportement : faut-il réduire le nombre de bureaux, en convertir en logements ? Des indices montrent que cela pourrait améliorer les résultats environnementaux et sociaux, mais des obstacles à la réalisation comme le cadre normatif et légal existent. Bien réfléchir aux expériences dans les bâtiments peut aider à créer des espaces plus efficaces, et centrés sur l’humain.

Comment les occupants peuvent-ils contribuer à améliorer l'efficacité énergétique de leur bâtiment ?

Le comportement humain est crucial en matière de consommation d’énergie. Considérons la forme de comportement la plus élémentaire, à savoir la présence dans le bâtiment : moins de présence signifie moins d’énergie consommée. La variation de l'occupation joue également un rôle important, puisque des horaires de travail flexibles permettent une utilisation plus efficiente de l’espace. Les actions comme ajuster le thermostat, ouvrir les fenêtres, prendre des douches ou encore gérer l’éclairage ont ainsi un impact direct. Bien que l'efficacité des systèmes de chauffage soit importante, les consignes et les horaires de fonctionnement le sont tout autant. Beaucoup de gens se soucient de l'impact environnemental de leurs actions, mais ne savent pas toujours comment leurs comportements influencent la consommation d'énergie. Un défi est donc de fournir des retours sur l'impact des actions, pour sensibiliser les occupants et les encourager à adopter des comportements plus économes en énergie.

Disclaimer

En tant que source d'information, le blog de Romande Energie offre une diversité d'opinions sur des thèmes énergétiques variés. Rédigés en partie par des indépendants, les articles publiés ne représentent pas nécessairement la position de l'entreprise. Notre objectif consiste à diffuser des informations de natures différentes pour encourager une réflexion approfondie et promouvoir un dialogue ouvert au sein de notre communauté.

 
Joëlle Loretan

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