Tout au long de leur carrière, les chefs et cheffes d’entreprise doivent naviguer dans un environnement économique et réglementaire qui évolue. Autant d’opportunités pour développer leur modèle d’affaires, mais qui comprennent aussi des menaces susceptibles d’affecter non seulement le patrimoine de leur entreprise, mais aussi leur patrimoine personnel. Pourtant, ils n’ont pas toujours conscience de l’étroite imbrication de ces deux dimensions et de la façon dont les risques pesant sur l’une peuvent aussi menacer l’autre. Explications de Didier Muller et de Laurent Müller, respectivement responsable du département PME et responsable Executives & Entrepreneurs à la BCV.
De façon générale, les patrons de PME ont-ils conscience des risques qui pèsent sur leur entreprise?
Didier Muller (D. M.): Souvent, ils ont davantage conscience des risques qui pèsent sur leur entreprise que de ceux qui pèsent sur leur patrimoine personnel. Les cycles économiques et l’actualité jouent aussi un rôle clé. Actuellement, l’inflation, les taux d’intérêt, les problématiques de change ou la cybercriminalité sont au cœur de nos échanges avec les PME.
Laurent Müller (L. M.): Il y a également de grandes tendances, avec des questions de fond que les patrons de PME se posent de façon récurrente. On le voit notamment à travers les enquêtes sur leurs préoccupations menées par la BCV ou la CVCI: certaines thématiques reviennent souvent, comme la situation économique générale, les difficultés à recruter et la recherche d'une nouvelle clientèle. On observe également que certains risques sont plus difficiles à aborder pour les PME.
De quels risques s’agit-il? Et pourquoi sont-ils plus difficiles à aborder pour une PME?
D. M.: Au-delà de l’actualité et du temps court, je songe à la digitalisation, qui doit pousser les entreprises à réfléchir aux moyens d’adapter leurs produits et services. Ou encore aux problématiques de RSE (responsabilité sociale d’entreprise) et de transition écologique, des tendances à moyen et à long terme. Quel que soit le problème, c’est parfois plus difficile pour une PME que pour une grande entreprise d’aborder ces sujets et de trouver les bons partenaires pour les conseiller sur une solution adaptée à leur situation.
L. M.: Aborder un risque suppose souvent de s’ouvrir sur le côté privé pour avoir une vision complète de la situation, et c’est là que certaines réflexions peuvent se révéler sensibles. Or il faut que le patron soit très transparent, car l’enjeu est justement de bien voir l’articulation des risques non seulement pour l’entreprise, mais aussi pour l’entrepreneur et sa famille. Nous veillons à offrir un regard extérieur, avec une confidentialité totale. Les choix entrepreneuriaux peuvent être décisifs sur le long terme, car ils auront des répercussions du côté commercial, mais également sur la situation privée du patron.
«Les choix entrepreneuriaux peuvent être décisifs sur le long terme, car ils auront des répercus- sions commerciales et privées.»
Selon vous, les chefs d’entreprise ne prendraient pas assez en compte leur patrimoine privé dans leurs choix entrepreneuriaux?
D.M.: En faisant souvent passer leur entreprise avant eux, certains pourraient se retrouver dans des situations personnelles difficiles, affectant aussi leurs proches. Certains entrepreneurs imaginent qu’ils se rattraperont à la retraite, quand le fruit de la vente de leur entreprise fera en quelque sorte office de caisse de pension. C’est un calcul vraiment risqué! Un patron de PME devrait lui aussi penser à sa retraite très en amont et diversifier ses investissements. Ces précautions peuvent même faciliter la cession de l’entreprise le temps venu.
L. M.: Au-delà des questions de retraite, les patrons de PME ne sont pas assez conscients des risques qui pèsent sur leur patrimoine privé. Or ne pas se préparer à toutes les éventualités sur un plan privé peut aussi mettre en danger la pérennité de l’entreprise!
En quoi mieux anticiper sur le plan privé permet-il de mieux protéger son entreprise contre certains risques?
L. M.: Que se passe-t-il si un patron n’a plus la capacité de diriger son entreprise, en raison d’une maladie grave ou d’un accident, ou s’il disparaît? Quelles sont les conséquences d’un éventuel divorce sur son patrimoine professionnel et familial? C’est toute l’entreprise et sa pérennité qui peuvent être en péril si l’on n’a rien prévu dans ces cas de figure. C’est bien en amont qu’un entrepreneur doit envisager les questions de testament, de convention d’actionnaires, etc. Et ce, pour protéger aussi son patrimoine privé et celui de sa famille. Encore une fois, c’est une médaille à deux faces. De même, les questions relatives à la transmission d’entreprise arrivent parfois trop tard, ce qui peut impacter lourdement le prix de vente. Cette réflexion anticipée est également valable dans une optique de transmission familiale.
D. M.: J’ajouterais que le fait de bien anticiper ces risques peut aussi, par exemple, rassurer les cadres clés d’une PME sur la pérennité de l’entreprise et faciliter ainsi leur embauche ou leur fidélisation, avec un intéressement au capital, par exemple. On voit bien là comment le risque lié à la difficulté de recruter peut également être abordé depuis le côté privé. Quel que soit l’angle d’attaque, notre rôle est de rendre les entrepreneurs attentifs à leurs besoins et aux conditions favorables à développer pour y répondre, notamment en faisant des liens entre le privé et le professionnel.
Comment rendez-vous les chefs d’entreprise attentifs à cette imbrication des risques?
D. M.: L’entrepreneur vient souvent vers nous avec une question précise, liée par exemple à un projet d’investissement ou à un risque de change pour son développement à l’export. En partant de là, nous faisons un pas de côté afin de mener avec lui une réflexion plus globale sur la chaîne de valeur de son entreprise et sa situation personnelle d’actionnaire et de patron. On observe également que le partage d’expériences les rend attentifs aux risques auxquels ils peuvent être exposés.
L. M.: On leur demande en effet quelles sont leurs préoccupations, puis on éveille davantage leur sensibilité en soulevant des points clés relatifs à leur situation patrimoniale. De fil en aiguille, on met en avant des risques auxquels ils n’avaient pas pensé. Une fois qu’ils en ont conscience, c’est plus facile d’envisager avec eux des solutions pour s’en prémunir et des stratégies pour les atténuer.
D. M.: Nous nous efforçons toujours d’aborder les choses de façon pratique. Cela permet de mettre en place des actions simples. Avez-vous désigné une personne pour gérer les affaires courantes s’il vous arrivait quoi que ce soit? Avez-vous envisagé ce qui se passerait si votre collaboratrice ou collaborateur clé démissionnait? Avez-vous réfléchi à une check-list des mesures à prendre si votre système informatique était piraté? Savez-vous quelles sont les incidences de votre régime matrimonial sur votre entreprise?
Un patron de PME fait beaucoup de choses dans son entreprise, mais il n’est pas expert en tout; une fois les risques identifiés, vers qui peut-il se tourner pour trouver des solutions?
D. M.: On observe qu’il est souvent compliqué pour un patron de PME de trouver les bonnes personnes pour s’entourer. Une entreprise sur deux est cliente de la BCV dans le canton de Vaud; nous avons ainsi accès à de nombreuses compétences à travers ce réseau d’entrepreneurs, et nous les mettons volontiers en contact les uns avec les autres, par exemple lors de nos «Rendez-vous des entrepreneurs» organisés dans les différentes régions du canton. Nous collaborons par ailleurs avec de grands acteurs qui peuvent eux aussi apporter leur expertise. En partenariat avec Swisscom, nous leur offrons la possibilité d’évaluer leurs risques dans le domaine de la cybercriminalité. Idem avec Romande Energie et PEIK (Suisse Energie) sur les questions énergétiques. Nous nous appuyons évidemment aussi sur notre propre expertise dans le domaine de la gestion de patrimoine professionnel et privé. Offrir cet ensemble de compétences à notre clientèle PME est l’une de nos forces.
Le thème arrive bien après les problèmes conjoncturels mondiaux dans les préoccupations des responsables d’entreprise, mais les risques liés au système informatique prennent une place toujours plus importante dans le quotidien des directions de PME. Nombreuses sont désormais celles qui acceptent de témoigner pour éviter à d’autres ce qu’elles ont traversé.
La cybersécurité n’est pas un souci d’un jour, mais une attention de tous les jours dans le fonctionnement d’une entreprise. Les portes d’entrée sont nombreuses, les failles peuvent être tant techniques qu’humaines. Si le risque zéro n’existe pas, la préparation à toute éventualité est un obstacle supplémentaire imposé aux cyberattaquants. Et l'arrivée de l'intelligence artificielle ne fait qu’augmenter la nécessité de bonnes pratiques.
Votre PME est-elle suffisamment protégée contre les cyberrisques? Des outils existent pour contrôler le niveau de sécurité de votre système IT.
Parmi les risques qui pourraient entraver le bon fonctionnement de votre entreprise, avez-vous pensé à ceux liés à votre situation financière personnelle? Témoignages et conseils pour mieux gérer l’imbrication entre ces deux sphères patrimoniales.
- Prévoir pour bien gérer (l'édito)
- «Les choix entrepreneuriaux ont des répercussions sur le patrimoine privé et vice versa»
- Comment sécuriser son patrimoine global avant de partir à la retraite?
- «Avec l’IA, il ne faut ni faire l’autruche ni foncer tête baissée»
- Reprise d'entreprise: conseils d’entrepreneurs pour éviter les pièges