En 2017, un tournant décisif a marqué le paysage énergétique suisse : la population s’est prononcée contre la construction de nouvelles centrales nucléaires, tout en plébiscitant un investissement accru dans les énergies renouvelables. Cette décision s’inscrit aujourd’hui dans notre quotidien, influençant des aspects aussi concrets que nos factures d’électricité. Désormais, nos fournisseurs d’énergie sont tenus de garantir et de communiquer la provenance de l’électricité fournie. Pour y parvenir, ils disposent d’un concept souvent mal compris : les garanties d’origine.
Les Garanties d’Origine (GO) sont des certificats électroniques qui attestent de l’origine de l’électricité consommée. Leur objectif est d’offrir de la transparence vis-à-vis des consommateurs, en permettant un marquage de l’électricité, notamment par technologie (solaire, gaz, nucléaire, etc.) et lieu de production. Ainsi, lorsque des fournisseurs comme Romande Energie distribuent de l’électricité « verte », ils utilisent ces GO pour certifier son origine renouvelable. Cependant, la réalité derrière ce concept est plus nuancée qu’il n’y paraît.
Le réseau électrique peut être comparé à un lac dans lequel les producteurs versent de l’électricité, tandis que les consommateurs la prélèvent. Les fournisseurs d’énergie, tels des caisses enregistreuses sophistiquées, assurent l’équilibre entre les entrées et les sorties. Dans ce système, il est complexe de tracer précisément l’origine de chaque « goutte » d’électricité. D’ailleurs, les GO n’y prétendent pas. Elles ne tracent pas directement chaque kilowattheure, puisque ce n’est pas possible, mais à la place elles certifient la quantité d’électricité de chaque technologie injectée dans le lac. De la sorte, elles fournissent une information sur la quantité d’électricité disponible pour la consommation par type de production.
Quand un producteur génère de l’électricité, il reçoit un certificat qui atteste qu’il a bien injecté cette énergie dans le réseau. Le producteur revend ensuite ce certificat sur un marché spécifique des GO, où des fournisseurs, tels que Romande Energie, les achètent pour certifier l’origine de l’électricité qu’ils distribuent. Cependant, ces certificats sont actuellement comptabilisés sur une base annuelle. Ainsi, il est possible qu’un certificat émis pour une production solaire durant l’été soit utilisé pour valider la consommation d’électricité en hiver de la même année. Les GO attestent donc de la quantité globale d’électricité par technologie produite sur une année, mais elles ne garantissent pas que l’électricité consommée à un instant précis provienne d’une source de production spécifique. Cette dissonance souligne les limites du système actuel des GO et invite à une réflexion sur son évolution pour une meilleure correspondance temporelle entre la consommation et la production d’énergie.
Depuis le 1er janvier 2018, la Suisse fait partie des pionniers en matière de marquage de l’électricité : elle impose à l’ensemble de ses fournisseurs d’énergie de fournir une GO pour chaque kilowattheure vendu. Dans ce contexte, Clarisse Martin, en charge du marquage de l’électricité chez Romande Energie, orchestre une danse délicate avec ces GO. Sa mission principale est de s’assurer que chaque kilowattheure d’électricité consommé par les clients de l’entreprise soit certifié par une GO. Prenons l’exemple d’un foyer moyen consommant 4 MWh par an : Romande Energie s’engage à fournir 4 MWh d’énergie suisse et renouvelable pour couvrir cette consommation annuelle. Ainsi, le rôle de Clarisse Martin ne concerne pas l’achat d’électricité, mais plutôt l’acquisition des certificats sur le marché parallèle des GO.
Dans les coulisses de ce marché, une évolution s’est dessinée. Autrefois stable et modeste en termes de coûts, s’échangeant pour 1 ou 2 CHF/MWh, les prix des GO ont connu des sommets inédits, atteignant jusqu’à 15 CHF/MWh. Les raisons ? Les défis climatiques et des phénomènes comme la grande sécheresse de 2022, qui ont mis à rude épreuve la production hydraulique, socle de l’énergie renouvelable suisse.
Clarisse Martin souligne que la gestion des GO ne s’articule pas autour d’un marché unique, mais plutôt d’un ensemble de marchés, subdivisés selon la technologie (solaire, hydraulique, nucléaire, etc.), l’année de production, car les certificats sont émis et comptabilisés sur une base annuelle, la localisation (Suisse, Europe, etc.) et des labels spécifiques.
Pour ses clients captifs, c’est-à-dire l’ensemble des ménages et des petits consommateurs, Romande Energie propose en 2024 deux offres. La première, Énergie Suisse, est la version standard, garantissant une électricité 100% hydraulique produite en Suisse. La seconde, Énergie Romande, est un mélange d’énergie hydraulique et solaire originaire de Romandie, pour ceux qui souhaitent soutenir le développement des énergies renouvelables dans leur région.
Ces offres, explique Julie Blumberger, Business Line Manager, reflètent les aspirations du marché. D’une part, elles visent à soutenir la Stratégie énergétique suisse via une consommation exclusivement renouvelable et, d’autre part, à encourager une production énergétique locale. Choisir l’hydraulique comme offre standard vise à éviter d’imposer les coûts de la transition énergétique aux ménages à budget limité. En effet, l’énergie hydraulique, en tant que première source d’énergie renouvelable en Suisse, est abondante et économique, influençant peu la facture énergétique des consommateurs. En contraste, l’énergie solaire, plus coûteuse en raison de sa rareté relative en Suisse, est proposée comme une option supplémentaire. Cependant, souligne Julie Blumberger, la tendance s’inverse grâce à l’augmentation des installations solaires qui rendent cette énergie progressivement plus abordable.
Ainsi, Romande Energie fournit à tous ses clients captifs une électricité 100% durable et suisse. Cependant, une interrogation persiste pour les plus attentifs : comment garantir une telle promesse alors qu’en 2022, les chiffres montrent que « seule » 91% de l’énergie était renouvelable et seulement 85% d’origine suisse ? La réponse réside dans la distinction entre les clients dits « captifs » et ceux dits « libres ». Ces derniers sont de gros consommateurs d’électricité avec des besoins spécifiques et ont accès au marché libéralisé. C’est pourquoi, ils ont plus de choix et peuvent opter pour de l’électricité renouvelable européenne ou du nucléaire, légèrement moins coûteuse.
Dans une quête de transparence accrue et de meilleure corrélation entre la production et la consommation d’énergie renouvelable, le marché des GO va évoluer. À partir du 1er janvier 2027, le rythme annuel de ce marché cédera la place à un cycle trimestriel. Les producteurs d’énergie se verront donc attribuer des GO comptabilisées par trimestre, éliminant ainsi la possibilité de vendre des GO solaires estivales en plein hiver. Cette évolution est un pas vers plus de transparence pour les consommateurs, affirme Clarisse Martin. Elle soulève toutefois davantage de défis logistiques : le marché des GO se divisera non seulement par technologie, origine et label, mais désormais aussi par trimestre. Cette évolution entraînera des répercussions directes sur les offres énergétiques pour les consommateurs. L’hiver, période où la consommation dépasse la production helvétique, ne permettra plus de garantir un approvisionnement constamment vert et local. En conséquence, la solution sera d’élargir les offres pour inclure des GO renouvelables européennes.
Si cette mutation trimestrielle met en évidence des vérités inconfortables de notre système énergétique, une évolution encore plus ambitieuse serait la correspondance horaire. Un tel niveau de transparence garantirait que l’électricité utilisée soit produite dans l’heure même de sa consommation. Mais une telle prouesse serait ingérable avec le système actuel. Elle anticipe que les GO connaîtront encore d’importantes évolutions après 2027. Pour atteindre une correspondance horaire, une transformation radicale du marché est nécessaire. L’introduction d’une forme d’automatisation, couplée au concept de « trading intelligent » grâce à des algorithmes toujours plus performants pourrait, par exemple, révolutionner la manière dont les GO sont sélectionnées et échangées, en naviguant habilement à travers la complexité de ce marché en évolution.
Au-delà des besoins de transparence vis-à-vis du consommateur, l’évolution du système des GO est également liée à l’évolution de notre système énergétique. Les attentes des consommateurs évoluent, certes, mais c’est toute la structure de production et de distribution d’énergie qui se métamorphose. L’émergence de nouveaux acteurs, tels que les véhicules électriques bidirectionnels, capables de se charger et de se décharger sur le réseau, offrent de nouvelles perspectives au sein de ce paysage en mutation. Le jour où l’ensemble de nos véhicules disposera de cette fonctionnalité, la tâche sera d’autant plus ardue de garantir la traçabilité de l’énergie transportée. C’est pourquoi le système des GO n’est qu’un outil parmi d’autres pour répondre à nos impératifs énergétiques. Dans cette dynamique de changement, chaque consommateur, par sa compréhension et ses choix, devient un acteur actif de la transition renouvelable de notre société.
- Les Garanties d’Origine (GO) sont des certificats électroniques qui attestent de la quantité globale d’électricité produite sur une année, détaillée notamment par technologie et lieu de production.
- Romande Energie utilise ces GO pour fournir actuellement à ces clients captifs de l’énergie 100% renouvelable et 100% suisse.
- Dès 2027, les GO seront comptabilisées par trimestre, affectant les offres énergétiques, surtout en hiver où la consommation excède la production helvétique, rendant difficile la promesse d’un approvisionnement toujours renouvelable et suisse.
Marine Cauz
Experte externe
A PROPOS DE CE BLOG
Energéticien de référence et premier fournisseur d'électricité en Suisse romande, Romande Energie propose de nombreuses solutions durables dans des domaines aussi variés que la distribution d’électricité, la production d’énergies renouvelables, les services énergétiques, l’efficience énergétique, ainsi que la mobilité électrique.