Réduire drastiquement nos émissions de gaz à effet de serre s’avère aussi urgent qu’essentiel pour parvenir à prendre le virage de la transition. Parmi les leviers les plus décisifs à actionner, la production d’électricité s’avère prioritaire, restant l’un des secteurs énergétiques les plus polluants à l’échelle globale. Si la transition est souvent présentée comme étant un tremplin économique vers la création de nouveaux métiers et l’apparition d’opportunités porteuses en termes d’investissements, il s’agit aussi de considérer attentivement les domaines pouvant être lésés.
À l’heure actuelle, notre système économique et social repose massivement sur une production d’électricité non exemplaire d’un point de vue durable. Chômage prononcé, inflation ou encore envol non maîtrisé des coûts de l’énergie représentent autant de risques potentiels, plus ou moins conséquents selon les régions concernées, liés à la décarbonisation des filières énergétiques.
Pour en savoir plus, l’Université de Genève a mené un travail des plus pertinents en cartographiant précisément les conséquences socio-économiques et environnementales positives et négatives de la décarbonisation de l’électricité pour 296 régions d’Europe d’ici à 2035. Une étude inédite, qui révèle que les régions du Sud et du Sud-Est du continent pourraient être les plus fragilisées.
Si le déploiement d’infrastructures durables progresse, l’électricité consommée à l’heure actuelle en Europe s’avère encore largement génératrice de CO2. Pour donner un ordre d’idée, les filières de production électrique qui reposent sur l’exploitation de centrales à énergies fossiles telles que le gaz ou le charbon représentent un quart des émissions de gaz à effet de serre du continent.
Face à l’urgence climatique, il est évidemment essentiel de parvenir à décarboner notre paradigme énergétique. Seulement, en considérant l’ampleur du secteur de la production électrique, le processus de décarbonisation n’est pas sans comporter des risques socio-économiques importants. Pour le schématiser, imaginons une région comprenant une centrale de production à charbon. Sur place, les emplois et les recettes fiscales qui en émanent s’avèrent importants, portant économiquement la zone. La fermeture de cette centrale, si en plus les environs ne comptent pas de surfaces disponibles pour déployer des installations fonctionnant aux énergies renouvelables, sera synonyme d’une double pénalité économique pour la région et ses habitants. D’un autre côté, il y aurait bien sûr des gains en termes de réduction de la pollution atmosphérique.
Dans le cadre de son étude, l’équipe de l’Université de Genève a considéré l’impact de 248 scénarios de transition sur 296 régions d’Europe. Un vaste panel de possibilités conçu et pris en compte par les chercheurs puisque les données quant aux conséquences locales de la décarbonisation font forcément défaut pour l’instant.
Pour modéliser ces différents scénarios, chacune des régions a été minutieusement étudiée en intégrant ses moyens de production d’électricité disponibles, comme le nucléaire, l’hydraulique, le photovoltaïque, l’éolien ou encore les énergies fossiles. Il en va de même pour ses capacités et infrastructures en matière de transport et de stockage d’électricité.
En parallèle, pour chaque région, des critères de vulnérabilité ont été définis. Pollution de l’air, prix du courant, type d’emplois mais aussi surfaces et investissements disponibles pour doper la transition en sont autant d’exemples. Des informations-clés quant au volume d’électricité consommé, produit, importé et exporté ont également été incluses dans la modélisation des différents scénarios. Au final, on obtient une image de ce qui pourrait se produire en 2035, avec l’objectif de parvenir au zéro net de gaz à effet de serre en 2050.
« Nos résultats indiquent que les régions du nord de l’Europe sont favorisées par la transition énergétique », précise Evelina Trutnevyte, cheffe du groupe Systèmes d’énergies renouvelables de l’Institut des sciences de l’environnement (ISE) et professeure associée à la Section des sciences de la Terre et de l’environnement de la Faculté des sciences de l’UNIGE, co-auteure de l’étude.
« Ce clivage Nord-Sud repose sur plusieurs facteurs, tels que la transparence politique des gouvernements, le PIB des régions ou encore les contraintes géographiques propres à une zone. Tous ces facteurs reflètent finalement la capacité d’adaptation d’une région dans le cadre de la transition. Nos scénarios proposent une vision fixée à 2035 dans le cadre de l’objectif zéro émission en 2050. À moyen et long terme, il est donc tout à fait possible que les choses évoluent et que certaines tendances différentes se concrétisent. »
Parmi les pays avantagés par la politique zéro émission en 2050, on trouve par exemple le Danemark, où certaines régions bénéficieront d’investissements supplémentaires – et donc d’emplois – liés aux installations éoliennes en mer. En revanche, certaines régions d’Italie, comme la Sicile et la Campanie, subiraient une augmentation des prix de l’électricité de par leur situation géographique et du fait de contraintes qui limitent leur importation d’électricité par rapport à d’autres régions européennes, où celle-ci est moins chère. L’Italie a aussi grandement augmenté sa production d’électricité à partir du gaz, rendant à l’avenir la tâche de réduction des émissions de gaz à effet de serre plus ardue.
Dans sa cartographie, l’équipe de chercheurs insiste par ailleurs sur la fine balance qui se joue entre facteurs de vulnérabilité et avantages. « En Suisse par exemple, l’impact de cette transition serait pratiquement neutre parce que le pays n’abrite pas de centrales à combustibles fossiles à fermer, et que les autres vulnérabilités et avantages sont équilibrés », souligne Evelina Trutnevyte. « Il en va de même dans d’autres pays comme la Pologne, l’Espagne ou le Portugal, où différents domaines d’activités en bonne santé, voire en plein boom comme dans le secteur IT ou des nouvelles technologies, permettent d’absorber les dommages économiques temporaires liés à la fermeture de centrales à énergies fossiles. »
Pensée comme un cadre de réflexion politique, la cartographie de l’étude doit ainsi permettre aux autorités de prendre les bonnes décisions en matière de stratégie énergétique, voire d’orienter les subsides accordés par certains gouvernements ou au sein de l’UE dans le cadre de la transition. « S’il est évident que la réduction des gaz à effet de serre est une priorité, il faut cependant avoir conscience des dynamiques socio-économiques que cela engendre. Dans ce sens, notre étude doit pouvoir rendre les autorités attentives sur ces points, en leur permettant d’adapter leur politique, tant en matière d’énergie que de diversification économique. »
Thomas Pfefferlé
Journaliste innovation
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