- Les études en biomimétisme améliorent le fonctionnement d’éoliennes, de panneaux solaires, d’installations hydroélectriques ou encore des matériaux de construction.
- La Suisse est devenue un hub pour ces recherches bio-inspirées, tandis que les USA ou la Grande-Bretagne sont davantage propices à la création de startups.
- De nouveaux dispositifs révolutionnaires voient le jour, à l'instar de batteries en cellulose fabriquées à partir des fibres d’un arbre.
Des panneaux solaires transparents à l’image des ailes reflétantes du Greta Otto, un papillon qui navigue entre le Texas et le Chili. Des hélices silencieuses inspirées des ailes de l’Effraie des clochers, un rapace nocturne auteur d’un vol plané unique. Ou encore, des matériaux de construction fabriqués comme des termitières pour une ventilation amplifiée.
À l’heure où le lien aux écosystèmes naturels n’a jamais semblé aussi compromis, le « biomimétisme » entretient un rapport grandissant à l’énergie renouvelable. Le terme né en 1997 avec Janine Benyus dans son livre référence « Biomimicry : Innovation Inspired by Nature » s’appuie sur un postulat simple : on peut imiter des processus biologiques à des fins d’innovation durable.
« Janine Benyus, magnifique auteure que j'ai eu la chance de côtoyer, a relancé une idée initiée par les grands penseurs de notre temps, notamment Leonardo Da Vinci », explique Jacques Chirazi, expert en biomimétisme. « Les peuples autochtones ont aussi incorporé la connexion avec la nature dans leur vie de tous les jours depuis des millénaires. Au fil du temps, la relation directe de l’Homme avec la nature s’est perdue, rompant notre compréhension du monde du vivant. Elle peut pourtant générer du bien-être, tout comme de la stratégie technologique. »
Dans ce cosmos académique en pleine effervescence, Jacques Chirazi est devenu une référence. Il emploie allègrement des termes comme « circularité », « adaptation », « symbiose » ou encore « vision holistique », qui font partie intégrante du champ lexical de mise au sein de la branche. Avec des allers-retours entre San Diego, où il enseigne et co-pilote Biomimicry San Diego, et Genève, où il œuvre pour Biomimicry Switzerland, ou encore à l'Université de l'État d'Arizona - School of Global Future, où il est professeur associé, l’homme est ultra-demandé pour ses connaissances hors pair. La suite logique d’une carrière bâtie sur le développement durable puisque par le passé, le Pr Chirazi a notamment œuvré dans le domaine du clean tech et du smart city, se focalisant sur les énergies renouvelables et les infrastructures pour les véhicules électriques, ainsi que les biocarburants.
Les itinérances intercontinentales du Pr Chirazi sont justifiées. À l’image d’un petit mollusque qui prendrait appui sur un rocher, les Etats-Unis comptent sur les études menées en Suisse, pays devenu un haut lieu pour cette approche holistique de la technologie. Dans le domaine de l’énergie, plus précisément, le Laboratoire de biomimétique pour l’énergie et l’environnement (BEE) développe des technologies durables grâce à de petites bactéries capables de photosynthèse ou de production de méthane. L’EPFL mène diverses recherches biomimétiques dans le secteur de la construction, souvent sur mandat de l’Office fédéral de l’énergie. À l’EPFZ, des chercheurs étudient les structures spinodales ou encore la bave de myxine, matériaux qui pourraient aussi améliorer la durabilité et l'efficacité énergétique des bâtiments à terme.
« Notre travail principal consiste aujourd’hui à apporter des outils permettant aux éducateurs d'enseigner le biomimétisme en Suisse », souligne Jacques Chirazi. « Depuis quelques années, nous mettons l’accent sur l’écosystème alpin. Il y a une opportunité énorme autour de la compréhension de cette écologie. Non seulement pour le bien-être de l'homme et des générations futures, mais aussi pour y détecter des éléments d'opportunité de recherche ou le développement de nouvelles stratégies, de nouveaux matériaux ou même de nouvelles manières de créer de l’énergie. »
Quand il s’agit de passer de la théorie à l’entreprise, en revanche, les choses se corsent. « En Suisse, le biomimétisme reste généralement cantonné au monde de la recherche », détaille Jacques Chirazi. « Nos grands instituts en sont très friands ; les investisseurs, moins. Par conséquent, un grand nombre de spécialistes s’exportent aux États-Unis ou en Grande-Bretagne, au moment de lancer des entreprises. Dans ces pays, il y a une attitude un peu différente envers le monde du startup. »
Sur ce marché grandissant, n’est pas pertinent qui veut. Important pour la compréhension du sujet : le biomimétisme se différencie d’autres processus industriels s’appuyant sur des recherches biologiques. « Le biomimétisme introduit une ère basée non pas sur ce que nous pouvons extraire des organismes et de leurs écosystèmes, mais sur ce que nous pouvons en apprendre. Cette approche diffère grandement de la bio-utilisation, qui consiste à récolter un produit ou à en produire, par exemple couper du bois pour fabriquer le parquet. Elle est également très différente des technologies bio-assistées, qui impliquent la domestication d'un organisme pour accomplir une fonction, par exemple la purification bactérienne de l'eau ou les vaches élevées pour produire du lait. »
Au lieu donc, de cueillir ou de domestiquer les organismes, les biomimétistes les consultent : « Ils sont inspirés par une idée, qu'il s'agisse d'un plan physique, d'une étape de processus dans une réaction chimique ou d'un principe écosystémique tel que le cycle des nutriments », continue Jacques Chirazi. « Emprunter une idée, c'est comme copier une image : l’originale inspire les autres. Le biomimétisme offre une compréhension empathique et interconnectée du fonctionnement de la vie et, en fin de compte, de notre place dans le monde. C'est une pratique qui apprend et imite les stratégies utilisées par les espèces vivantes aujourd’hui. »
Branding naturel oblige, le biomimétisme bénéficie également d’une aura verte très en vogue. Est-ce éthique ? La question du greenwashing se pose. « Nous inspirer de la nature peut nous amener à mieux l’habiter, sans pour autant garantir un effet bénéfique sur les écosystèmes », estime Jacques Chirazi. « Un principe fondateur de notre mouvement doit guider toutes les recherches dans ce domaine : le système se renouvelle. Tout ce que l’environnement créée est en majeure partie carboné, comme vous et moi. Toutes les matières naturelles se décomposent pour retourner à un état brut, qui permettra à son tour de créer à nouveau des nutriments utilisables à l’infini. »
Il ajoute : « Après des milliards d’années de recherche et de développement, les échecs sont les énergies fossiles. L'objectif est aujourd’hui de créer des produits, des processus, des systèmes ou de nouveaux modes de vie qui résolvent durablement nos plus grands défis de conception. »
Avant de révolutionner le système, il faut d’abord trouver les ressources nécessaires aux révolutions technologiques envisagées : « J'ai parfois l'impression qu'on est en train de déplacer le problème. Pour mieux produire de l’énergie, on va parfois utiliser des métaux très rares qu’il faut extraire. » Un piège évitable, comme le prouve par exemple le développement de batteries à base de cellulose tirée des fibres d’un arbre (depuis 2021). « Dans ce cas, l’utilisation de matériaux fournis par la nature réduira l'impact global de la fabrication des batteries sur notre environnement », conclut le Pr Chirazi, plein d’optimisme.
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