L’essentiel en 3 points :
- Le stockage et réserve d’eau sont dans la moyenne haute des 5 dernières années
- Néanmoins, une pression politique croissante s’exerce sur le marché de la production d’électricité
- Une sobriété énergétique reste de mise au sein de la population et des entreprises
Pour arriver à la salle de dispatching, il faut passer par un dédale de couloirs aux grandes baies vitrées. Plusieurs virages plus tard, on atterrit dans une salle où un autre labyrinthe est à l’honneur : celui du réseau électrique.
Dans cette grande pièce clé de Romande Energie, une vingtaine de dispatchers, ingénieurs d’exploitation et assistantes administratives tiennent les manettes de l’exploitation du réseau électrique régional. Leur territoire d’opération s’étend de La Côte, au Gros-de-Vaud, en passant par le Nord-vaudois, La Riviera ou encore le Bas-Valais. Sur leurs écrans, les ramifications électriques se superposent à la géographie régionale. Les lignes sont codées selon un système de couleurs ; du rouge, du vert ou du bleu pour indiquer les différents niveaux de tension. Ces valeurs varient au fil du temps.
« Avec la décision d’arrêter les centrales nucléaires en Suisse, la raréfaction de certaines ressources et les variations météorologiques, nous nous retrouverons à l’avenir face à un nouveau défi d’approvisionnement », souligne Stéphane Dätwyler Duarte, qui note néanmoins que la situation reste gérable pour l’heure.
« Cet hiver, le stockage et réserve d’eau en Suisse sont dans la moyenne haute des 5 dernières années. Un répit que nous devons essentiellement aux températures clémentes en 2022 et en 2023, tout comme à la bonne disponibilité des parcs de production en Suisse et dans les pays voisins. »
L’optimisme du spécialiste n’enlève rien à la pression politique qui s’exerce sur le marché de la production d’électricité. L’approvisionnement se fragilise. La guerre en Ukraine a interrompu pour une durée indéterminée le flux de gaz russe vers l’Allemagne, un des pays qui exporte vers la Suisse pendant la saison froide. La négociation des accords sur l’électricité entre la Suisse et l’Union européenne (2007-2018), actuellement au point mort, empêche notre pays de bénéficier d’une sécurité énergétique en hiver. Enfin, l’entrée en vigueur de la loi sur le climat va de pair avec une désaffection des installations nucléaires de la Confédération, augmentant son besoin de s’appuyer sur les pays voisins.
« Le mot d’ordre dès l’automne est de préserver les réserves hydrauliques du pays, en anticipation d’une éventuelle vague de froid tardive », détaille l’ingénieur.
Aux mesures d’économie nationales s’ajoutent d’importantes importations d’énergie depuis les pays voisins en hiver – notamment la France et l’Allemagne :
« Seuls, nous ne produisons pas suffisamment d’énergie pour subvenir aux besoins de toute la population durant les périodes critiques. Avec la décision de sortir des énergies fossiles d’ici 2050, la fin de la production d’énergie nucléaire en Suisse et l’absence d’accord sur l’énergie avec l’Europe, nous devrons augmenter notre production d’électricité, avec une part drastiquement plus importante du marché accordée aux énergies renouvelables. »
En plus du risque de pénurie, le risque d’un blackout reste toujours d’actualité. La principale raison ? Les réseaux électriques des pays européens sont interconnectés.
« La coupure de 2003 en Italie – pays qui compte largement sur ses voisins pour ses provisions en électricité – est un exemple qui démontre bien la co-dépendance entre les pays, raconte Stéphane Dätwyler Duarte. L’embrasement d’un arbre en Suisse a privé une partie de l’Italie de courant durant plusieurs heures. »
Il précise :
« Généralement, les incidents ne sont pas graves, mais nous ne sommes jamais à l’abri d’une cascade d’évènements pouvant générer une coupure locale ou généralisée. Nous sommes dépendants les uns des autres. »
De nature climatiques ou géopolitiques, les risques d’une éventuelle crise énergétique sont multiples. En cas de pénurie généralisée, le plan OSTRAL serait alors enclenché.
« Ce protocole a été conçu pour anticiper un risque de pénurie, précise le spécialiste. En situation de crise, la première mesure contraignante serait un contingentement. Concrètement, cela signifierait que tous les consommateurs de plus de 100’000 kilowattheures par année ou qui se trouvent sur le marché libre pour l’achat de l’énergie devraient se limiter à des quantités d’électricité beaucoup plus modestes. Puis, en dernier recours des délestages pourraient être imposés à la population, soit des coupures de courant plusieurs heures par jour sur une durée déterminée. »
Avant les mesures de contingentements et de délestage, les autorités compétentes peuvent également demander une série de mesures à la population sur une base facultative ou contraignante. Une sobriété énergétique est donc préconisée par le spécialiste à tous les niveaux et pour une durée indéterminée :
« Cela passe par une multitude de gestes au quotidien, conseille Stéphane Dätwyler Duarte. Par exemple, on peut baisser le chauffage à 19°C, moins ouvrir la fenêtre si on a le chauffage allumé ou encore limiter l’utilisation de l’eau chaude. Une certaine autonomie énergétique peut aussi être atteinte à l’échelle individuelle grâce à l’installation de pompes à chaleur et de panneaux solaires. »
Et de conclure :
« À plus grande échelle, on pourra aussi augmenter l’autonomie énergétique de la Suisse, par exemple en isolant mieux les bâtiments—Et donc réduire nos besoins en énergie. La Suisse devra aussi augmenter ses sources d’approvisionnement en énergies solaire, éolienne et hydraulique et nouer un partenariat solide avec l’Europe. » À bon entendeur.
« Un réseau électrique est comme une autoroute pour le transport d’énergie, explique Stéphane Dätwyler Duarte. Il est assorti de routes secondaires pour alimenter les consommateurs raccordés au réseau régional. Parfois, il peut y avoir des embouteillages, par exemple quand il y a trop d’électricité à un endroit. »
La fluidité des flux électrique repose sur les épaules du personnel de dispatching, dont les rôles sont notamment de :
- distribuer et de suivre l’électricité en temps réel.
- planifier les travaux de manière cohérente pour la sécurité du réseau
- prévoir les congestions
- prendre des mesures de sauvegarde du réseau en temps réel si besoin, en étroite collaboration avec les autres partenaires du réseau
- dévier le flux par des manipulations à distance, en cas de problème sur le réseau
Sarah Zeines
Journaliste indépendante
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