L'essentiel en trois points :  

  • La production de panneaux solaires est largement dominée par la Chine qui, pour maintenir son hégémonie, bénéficie d'une politique de soutien incisive se traduisant notamment par des investissements massifs du gouvernement.

  • Les filières européennes ont toujours une belle carte à jouer dans les dispositifs plus pointus et technologiques, tels que les modules intégrés au bâtiment.

  • L'Europe semble s'organiser, notamment par l'intermédiaire de son plan Net-Zero Industry Act, pour réindustrialiser ses filières énergétiques durables. Une politique plus favorable au sein de l'UE s'avère fondamentale pour augmenter la résilience énergétique du continent, tant face à l'hégémonie chinoise que pour s'aligner sur le Inflation Reduction Act américain attirant aussi les groupes européens.

 

C'est l'énergie phare de la transition. Le solaire, vecteur central dans le contre-la-montre environnemental, nécessite de produire des panneaux dans de très larges proportions. Sous nos latitudes, le marché du solaire a connu une forte croissance, en augmentant de 40% en 2023, comme l'indiquait Swissolar. L'association suisse des professionnels de l'énergie solaire indiquait d'ailleurs que, cette année, un dixième de notre électricité devrait être issue de la filière photovoltaïque. Des perspectives de croissance également observées au niveau mondial. En effet, l’Agence internationale de l’énergie indiquait que les ajouts d'énergie solaire photovoltaïque et éolienne devraient plus que doubler d'ici 2028 par rapport à 2022, battant continuellement des records au cours de la période de prévision pour atteindre près de 710 GW.

Seulement, alors que tout le monde installe du solaire, la Chine inonde le marché de panneaux aux prix défiant toute concurrence. Une donne complexe, qui rend la compétition économique extrêmement difficile pour le reste des acteurs, dont les filières implantées en Europe. Le problème risque en outre d'être exacerbé par la période d’inflation que l'on connait actuellement. Pour les producteurs de panneaux, cette conjoncture difficile impacte négativement leurs affaires, malgré une forte demande. À cela s'ajoute la situation de surcapacité de la Chine qui, en tant que pays dans lequel se trouve presque toute la production, brade ses stocks.

Effet collatéral helvétique

Cette situation difficile s'avère par ailleurs palpable en Suisse, notamment suite à l’annonce en début d'année de la fermeture du site allemand du fabricant bernois de panneaux photovoltaïques Meyer Burger. Un signal économique inquiétant, aussi bien pour l’Union européenne que pour la Suisse. La situation reflète frontalement la difficulté de faire face à la politique interventionniste chinoise et à sa capacité de produire nettement meilleur marché que sur le Vieux Continent.

« Cela est particulièrement valable pour la fabrication de panneaux destinés aux grandes centrales de production », précise Christophe Ballif, professeur à l’EPFL et directeur du Centre énergies renouvelables du CSEM. « Sur ces marchés de masse, sans la mise en place d'un soutien étatique sérieux, il devient impossible d'espérer lutter contre l'hégémonie chinoise en Europe. Il semble essentiel, pour des raisons de résilience et d'indépendance stratégique en cas de conflit ou de cession d’approvisionnement, de mettre en place un mécanisme de soutien qui permette à l’Europe de produire au moins 20% de ce qu’elle installe annuellement. »

Dispositifs intégrables, le positionnement porteur en Europe

En matière de production de panneaux solaires, la question du positionnement industriel européen se pose. Plus innovants, performants et modulables, par exemple avec des solutions intégrables en façade telles que les dispositifs BIPV (n.d.l.r. pour Building Integrated Photovoltaics, soit des modules photovoltaïques intégrés au bâtiment), les produits issus des filières de fabrication européennes continuent à se développer et à occuper une place de choix dans ce segment du marché. « En témoigne, par exemple, le développement de l'entreprise helvétique 3S, spécialisée dans les solutions photovoltaïques intégrées au bâtiment, qui continue à ouvrir de nouveaux sites de production en Suisse », évoque Christophe Ballif.

Les filières européennes ont donc toujours une belle carte à jouer dans ce marché de niche, qui représente moins de 10% de tous les systèmes installés. Innover dans le développement de solutions performantes, modulables, attractives pour les architectes en quête de produits intégrables dans l'esthétique de leurs projets ; voilà le créneau à exploiter en Europe. Sans parler du fait qu'un nombre croissant de parties prenantes impliquées dans le secteur de la construction se montrent attentives aux bénéfices durables inhérents à la sollicitation de filières de production locales.

Levier politique manquant

Reste aussi à doper l'économie locale en activant les leviers politiques et réglementaires. Dans ce sens, inutile de préciser que la force de frappe chinoise a de quoi intimider. Pour donner un ordre de grandeur, durant la période du COVID, la Chine a massivement investi dans ses outils de production. Et les chiffres sont vertigineux. L'équivalent de plus de 100 milliards de francs ont ainsi été injectés dans la filière de production solaire chinoise. Comme évoqué plus haut, cette politique de soutien massif s'est soldée par un phénomène de surcapacité, influençant encore davantage les prix à la baisse suite à la compétition économique engendrée entre les fabricants chinois eux-mêmes pour écouler leurs stocks. Au final, la différence de prix est brutale : le module photovoltaïque chinois coûte 12 centimes, contre 32 pour l'européen.

« En Chine, toutes les conditions sont réunies pour parvenir à offrir les prix les plus bas du marché », poursuit Christophe Ballif. « Un soutien étatique fort, des investissements colossaux, une technologie efficiente et une capacité à produire des volumes énormes. En parallèle, des règles absurdes sont encore d'actualité en Europe, où des taxes sont en vigueur sur l'importation de certains composants entrant en compte dans la production de modules photovoltaïques, alors qu'il n'y a pas de taxes sur les modules chinois qui incluent ces composants. »

Inspiration internationale

Face au positionnement chinois, les États-Unis ont adopté une mesure protectrice des plus pertinentes. Les industries locales bénéficient de généreuses subventions octroyées par le fameux Inflation Reduction Act (IRA) de Joe Biden. « Ce qui explique d'ailleurs que certaines entreprises européennes se tournent vers les États-Unis pour y implanter des sites de production », souligne le directeur du Centre énergies renouvelables du CSEM.

Si l'on peut se poser la question de la portée de cette mesure dans le temps, en particulier si Donald Trump venait à être réélu lors des prochaines élections américaines, elle indique cependant un signal fort, dont les effets en termes de réindustrialisation s'avèrent plus que palpables.

À Bruxelles, l'adoption du Net-Zero Industry Act doit permettre d'européaniser les chaînes d’approvisionnement et d'accélérer la production de technologies vertes au sein de l’UE. Et l'objectif avancé est ambitieux : s’assurer que l’UE sera capable de produire au moins 40 % de ses besoins en matière de technologies vertes d’ici à 2030. Plusieurs filières industrielles devraient bénéficier de mesures de financement. Au total, quinze secteurs stratégiques sont visés, dont les technologies solaires, éoliennes, les batteries ou encore les pompes à chaleur. Après les négociations européennes, qui ont abouti en début d'année à un cadre pour doper les investissements dans les technologies de la transition énergétique, l'heure est à la planification de l'entrée en vigueur de la loi sur l’industrie net zero. Nouveau tremplin pour l'industrie verte en Europe ? Affaire à suivre.

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 Thomas Pfefferlé, Journaliste indépendant

Thomas Pfefferlé, Journaliste indépendant

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