En Suisse, beaucoup de patrons rencontrent des difficultés au moment de remettre leur société. Plus de 90 000 PME n’auraient pas encore réglé leur transmission, ce qui est susceptible de poser problème. Selon la récente étude «KMU Nachfolge Schweiz 2023» du cabinet Dun & Bradstreet, 15,1% des entreprises suisses risquent de rencontrer des difficultés de transmission, car leurs propriétaires ou administrateurs, souvent âgés de plus de 60 ans, ne se préoccupent pas encore suffisamment de leur succession.

Un processus de transmission peut s’étendre sur cinq ans ou plus, et de nombreux obstacles se présentent à ce moment-là. Procédures administratives conséquentes, tensions émotionnelles ou difficultés financières sont autant de défis liés à cette opération. Quatre entrepreneurs ayant récemment traversé un processus de reprise ou de rachat témoignent. Leur expérience illustre des éléments à prendre en considération afin que tout se passe au mieux.

1. Gérer les susceptibilités familiales

Entre 2020 et 2021, Grégoire Ballif et ses deux associés ont acquis les parts détenues par son père et le collègue de direction de celui-ci, respectivement actionnaire majoritaire et administrateur de Bertholet+Mathis. Diplômé en génie civil de l’EPFL, Grégoire Ballif préside désormais, aux côtés de ses deux partenaires, cette société de construction établie à Lausanne depuis 1969. Il a rejoint la structure en 2012 avec comme perspective, déjà, de reprendre les actions de son père. Initialement engagé comme conducteur de travaux, il a été graduellement promu au sein de la direction. «Il était essentiel de prouver ma compétence en tant qu’employé. En tant que fils du directeur, j’avais à cœur de gagner cette légitimité», affirme l’administrateur.

Les premiers pourparlers de reprise ont commencé en 2016. Evaluation de l’entreprise, négociations avec les vendeurs, puis structuration financière: toutes les phases de la transmission se sont déroulées à la satisfaction de Grégoire Ballif et de ses deux associés. «Les négociations n’ont pas toujours été simples, souligne l’administrateur. Mais le recours à des professionnels du domaine de la banque, de la fiscalité ainsi qu’à une fiduciaire a permis de mener à bien toutes les phases du rachat.»

Un aspect a cependant rendu le processus plus complexe pour Grégoire Ballif: la présence de trois frères et sœurs, qu’il a fallu intégrer dans la répartition financière, même s’il était le seul enfant de la famille à reprendre les rênes de la société.

Dans cette situation, la transparence est cruciale pour éviter tout sentiment d’injustice. Dans le cas de la transmission d’une entreprise familiale, l’inclusion des héritiers dans le processus est fondamentale. Il est important que les frères et sœurs du repreneur ne se sentent pas lésés. Il est nécessaire de les tenir informés des étapes de la transaction pour minimiser les malentendus. Bien qu’un pacte successoral ait été rédigé, précisant tous les éléments essentiels de la cession, Grégoire Ballif estime que la communication aurait pu être plus explicite au sein de sa famille.

Dialogue permanent

Si, comme dans le cas de Bertholet+Mathis, la transmission d’entreprise se fait au sein de la famille, plusieurs éléments ne doivent pas être négligés afin de minimiser les malentendus, comme l’équité de traitement de l’ensemble des frères et sœurs.

Quelques éléments clés:

  • Discussion en amont avec l’ensemble des parties prenantes et identification des besoins de tous les membres de la famille.
  • Signature d’un pacte successoral qui comprend les données financières, les volontés de chaque personne et qui doit être signé par l’ensemble des membres de la famille.
  • Information régulière et claire de l’avancement du projet, des changements intervenus, etc.

2. Ne pas sous-estimer la charge administrative

Depuis le 1er décembre 2023, Depping Jardins est la propriété de Kevin Aubry, qui a racheté les parts du fondateur de la société, Didier Depping. De l’avis des deux hommes, la transmission s’est déroulée de manière «idéale».

«C’est rarement aussi facile», précise le nouveau patron de cette PME qui emploie une vingtaine de jardiniers-paysagistes dans le Gros-de-Vaud. Il était convenu depuis plusieurs années que Kevin Aubry, actif depuis quatorze ans dans l’entreprise, en reprenne l’activité. La passation s’est donc faite de manière anticipée avec une intégration progressive de Kevin Aubry en tant qu’associé.

Au moment de négocier le rachat, les deux hommes sont rapidement tombés d’accord sur un prix qui puisse être amorti ensuite dans le fonctionnement de l’entreprise. Ils ont, de leur propre aveu, «tiré à la même corde», ce qui a grandement simplifié les démarches. Mais ils ont quand même été surpris par l’ampleur des documents à produire pour répondre aux exigences légales. «J’ai complètement sous-estimé l’importance de la charge administrative», reconnaît aujourd’hui Didier Depping.

Ainsi, il a fallu fournir un «effort intense» de mise à niveau de la comptabilité avec l’aide d’une fiduciaire, et créer un dossier complet sur les activités de la société. Un travail de rattrapage chronophage et coûteux s’ajoutant au travail opérationnel quotidien.

Heureusement, Kevin Aubry et Didier Depping ont pu être conseillés de manière adéquate pour mener à bien cette étape cruciale dans le processus de transmission. Afin de limiter les ennuis de ce genre, il est conseillé de systématiquement tenir à jour sa documentation et d’avoir une situation fiscale claire. La reprise d’une PME nécessite une préparation indispensable.

Kevin Aubry a racheté les parts du fondateur de la société, Didier Depping.

Kevin Aubry a racheté les parts du fondateur de la société, Didier Depping. Pour les deux hommes, la transmission de Depping Jardins s’est déroulée de manière «idéale», notamment car anticipée.

© Sébastien Anex

3. La jeunesse n’est pas un frein

Depuis quatre ans, Adrien Geinoz, âgé de 32 ans, préside aux destinées de Vielec, une entreprise d’installations électriques localisée à Villars-le-Terroir et comptant 18 employés. Le jeune dirigeant a rejoint l’entreprise en 2007 comme apprenti, animé par un désir prononcé de travailler et d’acquérir son autonomie financière.

Pour donner suite à son apprentissage, et séduit par ce métier technique du bâtiment, il a gravi les échelons au sein de l’entreprise avec la réussite du brevet fédéral de contrôleur et chef de projet. C’est en 2020 qu’il a pris la tête de Vielec, la même année que la réussite et l’obtention de sa maîtrise fédérale. «Au vu de ma position dans l’entreprise, il était plus judicieux de reprendre cette PME existante que d’en créer une autre et de repartir de zéro», confie le jeune entrepreneur.

Adrien Geinoz, âgé de 32 ans, est le patron de Vielec, l’entreprise d’installations électriques comptant aujourd’hui 18 employés dans laquelle il a fait son apprentissage.

Adrien Geinoz, âgé de 32 ans, est le patron de Vielec, l’entreprise d’installations électriques comptant aujourd’hui 18 employés dans laquelle il a fait son apprentissage.

© Sébastien Anex

Toutefois, étant donné son jeune âge, ses moyens financiers étaient limités. Une solution d’investissement a été trouvée avec les conseils de son fiduciaire et de la banque. Adrien Geinoz a investi le capital nécessaire à la création d’une holding en Sàrl (société à responsabilité limitée) qui détient désormais les parts de la société. Ce montage financier permet d’optimiser fiscalement les remontées de dividendes. Un emprunt bancaire ainsi qu’un prêt vendeur de l’ancien propriétaire en complément des fonds propres ont permis à Adrien Geinoz de rassembler le capital nécessaire à l’achat de l’entreprise.

Ce dispositif nécessite quelques exigences, telles que la réalisation d’un bénéfice net minimum pendant cinq ans (lié à la problématique de «liquidation partielle indirecte») et le remboursement du prêt vendeur après celui de la banque. «C’est un défi conséquent qui me suit sur plusieurs années, mais cela m’a donné la chance de prendre tout de suite les rênes de la société malgré un capital d’achat personnel restreint», explique Adrien Geinoz.

Désormais, tout repose sur le rendement de l’entreprise et la confiance du vendeur qui échelonne l’encaissement du capital en plusieurs étapes. Le jeune homme a également bénéficié de l’accompagnement d’Yvan Pittet, l’ancien patron, qui est resté dans l’entreprise durant trois ans et demi après la vente. Aujourd’hui, Adrien Geinoz jouit de la confiance de ses employés, dont certains l’ont connu dès son arrivée en tant qu’apprenti. Son parcours illustre que la jeunesse et un capital de départ limité ne sont pas des obstacles à la reprise d’une PME. Le succès repose sur l’ambition et les connaissances techniques ainsi que sur la confiance du vendeur, des employés et de la clientèle.

Nécessité d’anticiper

La réussite d’une transmission commence ainsi par ne pas sous-estimer l’ampleur de la charge administrative, comme l’ont relevé Didier Depping et Kevin Aubry. La mise en état de transmissibilité doit donc être effectuée en amont, bien en amont même, du processus de transmission.

Quelques points à ne pas oublier:

  • Se renseigner sur les exigences légales et les documents à fournir.
  • Anticiper la récolte des documents – certains peuvent prendre du temps et coûter.
  • Créer un dossier complet sur les activités de l’entreprise, dont une comptabilité mise à jour.
  • Avoir une situation fiscale claire.

4. Mettre de côté l’émotionnel

En 2021, l’entreprise Amstein a racheté Mosca Vins, une entreprise familiale spécialisée dans la vente de vins. Dans les années 1980, son patron avait aidé le père de Yan Amstein, actuel directeur de l’entreprise. Avant la crise du covid, les frères Mosca cherchaient à vendre leur affaire. Des contacts ont eu lieu avec Amstein, mais sans aboutir dans un premier temps, car la philosophie de cette dernière n’est pas la croissance par acquisition. Les discussions ont cependant repris en 2021 et, en l’espace de deux mois, Amstein a fait l’acquisition de Mosca Vins sur ses fonds propres. «Mon père m’a dit alors que la famille Mosca avait fait des choses pour nous par le passé, et qu’il fallait leur rendre ce service, soulignant que l’affaire serait intéressante pour notre groupe à l’avenir», raconte Yan Amstein.

Deux mois plus tard, l’affaire était conclue, avec une reprise planifiée sur deux ans et le maintien des deux anciens propriétaires, Didier et Alain Mosca, au sein de l’entreprise. Cependant, au moment de prendre la direction opérationnelle de la société, Yan Amstein s’est rendu compte qu’il aurait dû vérifier l’état opérationnel de l’entreprise. Mosca Vins subissait en effet les conséquences de la baisse de la consommation et du changement de positionnement du marché. Yan Amstein n’en avait pas conscience au moment du rachat. «L’aspect émotionnel de la transaction a pris le dessus et je n’ai pas effectué les contrôles qui s’imposaient», témoigne le dirigeant.

Pour Yan Amstein, le rachat par Amstein SA de Mosca Vins a permis au final de «gagner dix ans d’expérience sur la visibilité et la qualité de nos produits».

Pour Yan Amstein, le rachat par Amstein SA de Mosca Vins a permis au final de «gagner dix ans d’expérience sur la visibilité et la qualité de nos produits».

© SÈbastien Anex

Il a fallu corriger le tir et faire un virage à 180 degrés. «La transition a été extrêmement compliquée», confirme le dirigeant. Seule la gamme de produits historique de Mosca Vins, façonnée par 80 ans d’expérience dans la branche, a été conservée. Malgré le coût important du processus, «cette diversification est un atout pour l’avenir. Nous avons gagné dix ans d’expérience sur la visibilité et la qualité de nos produits», ajoute Yan Amstein. Aujourd’hui, cependant, le dirigeant conseille de mettre de côté l’émotionnel au moment d’une reprise. «Les émotions sont nécessaires pour se lancer dans une affaire, mais, au moment de la concrétiser, il faut être dans le factuel et garder la tête froide.».

 

Raison et sentiments

Tout passage de témoin revêt un aspect émotionnel, le préparer peut s’avérer un atout. L’expérience de Yan Amstein le révèle, un dialogue rationnel peut éviter des tensions, faciliter une transaction qui, au final, fait sens.

Au-delà des spécialistes de la transmission d’entreprise, il existe des outils d’aide à la décision pour qui veut vendre ou qui veut acheter, à l'exemple de celui de RelèvePME. Des outils qui permettent de jalonner un dialogue trop empreint d’émotion.

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