L'essentiel en 3 points:
  1. La sobriété et l’efficacité sont des mesures complémentaires permettant de réduire la consommation énergétique. Associées à la production d’énergies renouvelables, elles constituent le chemin vers la décarbonation.
  2. La frontière entre ces deux notions est perméable, mais les principaux enjeux résident plutôt dans l’impact des mesures que le débat sémantique.
  3. La sobriété ne doit pas se limiter à une démarche individuelle et volontaire : elle peut être décidée collectivement, grâce à des outils normatifs et financiers, auquel cas elle doit s’accompagner de mesures sociales.
Des solutions différentes pour poursuivre le même objectif

Pour illustrer les deux concepts, partons d’exemples simples. Dans le domaine du chauffage, l’abaissement de la température de son logement en hiver constitue une mesure de sobriété, alors que le remplacement de son chauffage électrique par une pompe à chaleur constitue une mesure d’efficacité. Concernant la mobilité, remplacer sa voiture thermique par une voiture électrique est une mesure d’efficacité, alors que limiter ses déplacements, par exemple pour faire ses courses ou partir en vacances, est une mesure de sobriété. Selon wikipedia, la sobriété énergétique est la diminution des consommations d'énergie par des changements de modes de vie et des transformations sociales alors que l'efficacité énergétique est l'état de fonctionnement d'un système pour lequel la consommation d’énergie est minimisée pour un service rendu identique.

Dans tous ces cas, des économies d’énergie sont réalisées. Ces exemples permettent cependant d’identifier deux différences importantes entre les deux concepts :

1. L’abaissement de la température et la réduction des kilomètres affectent notre confort au sens matériel du terme (à ne pas confondre avec notre bien-être !), alors que le remplacement de notre voiture ou l’achat d’une pompe à chaleur n’ont pas d’impact sur notre quotidien : la sobriété provoque une réflexion sur la manière de répondre à nos besoins et l’usage de l’énergie qui en découle, ce qui n’est pas forcément nécessaire pour l’efficacité. À première vue, une mesure d’efficacité peut ainsi paraître plus facile à adopter qu’une mesure de sobriété.

2. L’efficacité implique des prérequis plus importants : pour réduire la température (sobriété), nous n’avons qu’à descendre au garage et régler le thermostat, alors que la construction et l’installation de la pompe à chaleur (efficacité) nécessitent un investissement pour le propriétaire, ainsi que du temps et une quantité d’énergie importante pour la société. La sobriété peut donc être mise en œuvre plus rapidement et à moindres « frais énergétiques ».  Ses effets sur nos émissions sont également immédiats, car elle ne nécessite pas d’énergie grise, ce qui constitue un atout indéniable devant l’urgence climatique. 

Une frontière perméable

Avec ces exemples, la différence et les spécificités des deux notions sont bien identifiées. Mais, pour revenir au thème de la mobilité, où doit on catégoriser le remplacement de sa voiture par un véhicule plus petit et qui consomme moins ? D’un côté, nous modifions notre usage du véhicule, qui nous permet de transporter moins de personnes ou de meubles, ce qui constitue une caractéristique évidente de la sobriété. D’un autre côté, ce changement entraine un investissement financier et énergétique, surtout si nous nous séparons d’un véhicule en parfait état de marche. Une analogie peut être faite pour la chaleur avec le remplacement d’une chaudière mazout puissante par une pompe à chaleur légèrement sous-dimensionnée qui plafonne l’énergie disponible en hiver. Nous réduisons ainsi l’usage de notre chauffage, tout en investissant dans une machine plus performante.

Les mesures de monitoring et suivi des performances énergétiques peuvent également constituer, elles aussi, une combinaison de sobriété et d’efficacité, notamment lorsqu’elles concernent une modification des consignes de température. Par exemple, la fonction de détection d’ouverture des fenêtres ou de détection de présence sur les systèmes de chauffage est une mesure d’efficacité, mais l’abaissement de la température associé est une forme de sobriété.

La frontière entre sobriété et efficacité n’est donc pas si évidente et peut donc être considérée comme perméable. Cela n’impacte en rien la complémentarité entre ces deux volets des économies d’énergie, et les principaux enjeux ne résident pas dans la catégorisation de chaque mesure.

Considérer les risques de l’efficacité énergétique

Les solutions d’efficacité énergétique sont particulièrement pertinentes mais impliquent de prendre quelques précautions dans certains cas.

Comme elles nécessitent une consommation énergétique préalable, leur impact réel doit toujours être analysé finement. Imaginons un cas extrême : une mesure nécessitant plus d’énergie pour être mise en œuvre que ce qu’elle permet d’économiser sur sa durée de vie. La réflexion doit par exemple être menée lorsque l’on isole un bâtiment : il est évident qu’une isolation de qualité est nécessaire, et cela constitue un axe majeur de la décarbonation du secteur du bâtiment. Mais il arrive que chercher à atteindre la plus haute performance énergétique ne permet pas d’utiliser des isolants biosourcés et peu énergivores à la fabrication. Il peut dans ce cas être plus pertinent de mettre en œuvre une isolation un peu moins performante, et d’associer une réflexion sur d’autres aspects constructifs comme la forme du bâtiment, les ouvrants, ou le système de ventilation.

Second risque majeur, l’effet rebond est également un dommage collatéral bien connu d’une mesure d’efficacité. En reprenant l’exemple de la mobilité, acheter un véhicule qui consomme moins de carburant, ou un véhicule électrique, permet de parcourir plus de kilomètres pour le même budget et peut entraîner son utilisation plus fréquente ou un allongement des distances. La perception de rouler plus vertueusement peut également avoir le même effet, et réduire le recours à la mobilité douce. Les exemples d’effets rebonds, dans l’histoire industrielle de notre société, sont extrêmement nombreux et doivent nous conduire à la prudence. Plus surprenant, la sobriété peut également être concernée. Avoir un comportement sobre au quotidien présente par exemple le risque de « s’autoriser » un voyage en avion supplémentaire comme récompense.

La sobriété doit être décidée collectivement

La sobriété est souvent perçue comme une démarche personnelle et volontaire. Nous choisissons d’ajuster nos comportements pour réduire notre impact environnemental, et il existe alors une limite évidente à notre capacité d’action. Cependant, une sobriété plus importante peut également être décidée collectivement. Les principaux leviers pour la mettre en œuvre sont alors, entre autres, les outils financiers et normatifs.

Illustrons encore une fois le propos par quelques exemples. Pour la mobilité, la réglementation européenne prévoit l’arrêt de la vente de véhicules thermiques en 2035 ; une loi pourrait également limiter progressivement le poids des véhicules neufs. Par ailleurs, le Canton de Vaud, dans sa nouvelle loi sur l’énergie, limite très fortement les possibilités de conserver un chauffage électrique. Il s’agit ici d’outils normatifs.

Les mesures financières peuvent aussi être particulièrement efficaces, bien que moins directes. Les différentes taxes sur l’énergie, que ce soit l’électricité ou le carburant, sont des leviers d’encouragement de la sobriété. Cependant, ils présentent le défaut de s’appliquer tout aussi bien à l’énergie nécessaire pour couvrir nos besoins essentiels qu’à nos usages superflus. En revanche, un système de tarification de l’électricité qui augmenterait les prix selon la quantité consommée, un peu comme les tranches d’impôts, pourrait décourager les consommations excessives en les rendant coûteuses. En complément, on pourrait prévoir un tarif social : un prix réduit pour couvrir les besoins de base en énergie, accessible aux foyers modestes ou à tous. Ce volet social est par ailleurs souvent indispensable pour accompagner des mesures financières encourageant la sobriété, afin de ne réduire que les consommations superflues.

Lorsqu’elle est décidée collectivement, la sobriété peut être orientée efficacement. Elle doit être pensée pour encourager l’innovation et ne pas dégrader la qualité de services essentiels. Par exemple, dans le secteur de la santé, on privilégiera les mesures d’efficacité et l’approvisionnement bas carbone, même si des pratiques sobres peuvent également être mises en œuvre. Il est en effet préférable que l’énergie alimente un respirateur artificiel plutôt que des chauffages extérieurs, ou qu’elle permette à l’intelligence artificielle de servir le réseau électrique plutôt que le codage d’objets connectés sans intérêt comme des moulins à poivre, par exemple. La période Covid a montré que nous sommes capables de modifier fortement nos habitudes et réorienter nos priorités lorsque la société l’a décidé.

Et les énergies renouvelables, danger ou opportunité pour les économies d’énergies?

Le déploiement des énergies renouvelables pour limiter nos impacts sur l’environnement est absolument essentiel. Il est cependant important de le coordonner avec les mesures d’économies d’énergie, afin d’identifier et limiter les éventuels effets collatéraux. Parmi ceux-ci, l’effet rebond, présenté ci-dessus, constitue le principal risque. En effet, l’une des caractéristiques principales des énergies renouvelables réside dans l’intermittence. Des moyens pour flexibiliser et adapter la production sont disponibles et doivent être déployés, comme le stockage, ou un mix d’énergies renouvelables complémentaires, mais il en résultera de toute évidence des fluctuations sur la disponibilité de l’énergie. L’énergie est déjà limitée en hiver mais abondante en été, et cela va s’accentuer. Cette situation présente donc une opportunité pour réaliser des économies d’énergie hivernales, mais constitue un risque de « chercher à » consommer l’énergie excédentaire estivale et engendrer un effet rebond important. Il serait alors préférable de déplacer les consommations pour mieux s’adapter à cette nouvelle donne énergétique.

En conclusion, le triptyque « sobriété – efficacité – énergies renouvelables » doit absolument être mis en œuvre pour assurer la transition. Mais l’ordre a également son importance : construire un système d’approvisionnement renouvelable adapté à une consommation débridée engendrera une abondance énergétique qui aura un impact fort sur l’environnement et l’exploitation des ressources minières. Une réflexion uniquement centrée sur les émissions de carbone ne suffit pas à mesurer l’efficacité de la transition, car elle ne prend pas en considération l’ensemble des limites planétaires. La sobriété collectivement décidée permet de réduire notre pression sur les ressources et constitue une réponse nécessaire aux principaux enjeux environnementaux. Elle répond aux trois arguments principaux des détracteurs de la sobriété : « pourquoi moi et pas eux ? », « c’est un discours d’amish » ou encore « c’est un encouragement à ne rien faire et un frein à l’innovation ». Au contraire, c’est plutôt un encouragement à repenser collectivement les priorités et donner les outils pour mieux orienter les innovations : le potentiel d’économies associées à la combinaison de la sobriété et de l’efficacité sans dégrader notre bien-être est absolument considérable, et c’est une excellente nouvelle !

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Rédigé par Florent Jacqmin · Expert indépendant

 
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