Qu’est-ce que la résilience énergétique ? Elle se réfère à notre capacité à réagir et nous adapter aux perturbations, qu’elles soient d’ordre naturel (comme les catastrophes naturelles), technologique (comme un blackout), économique (comme les fluctuations des prix de l’énergie) ou géopolitiques (lorsqu’on évoque les guerres et conflits). Pour garantir cette résilience face aux perturbations externes, les chercheurs ont donc modélisé un système énergétique indépendant, dont les investissements financiers valorisent nos ressources durables.
Neutralité carbone et indépendance énergétique :
L’étude explore la possibilité de rendre notre système énergétique neutre en carbone et indépendant, via les sources d’énergie renouvelable locales, afin de réduire les émissions de carbone du secteur de l’énergie et de limiter notre dépendance aux importations. Toutefois, si l’indépendance énergétique est théoriquement possible, ce n’est pas un objectif en soi, comme l’explique Jonas Schnidrig, doctorant à l’EPFL et à la HES-SO Valais et auteur principal de cette étude. « L’indépendance énergétique est plutôt une manière de concevoir un système qui garantit la sécurité de l’approvisionnement. Ce qui importe, c’est de parvenir à une combinaison équilibrée d’autosuffisance et de dépendance judicieuse vis-à-vis de nos partenaires, ce qui assure une plus grande résilience dans notre système énergétique. Il s’agit non seulement d’optimiser l’utilisation de nos propres ressources énergétiques, mais aussi de stimuler l’innovation et de créer des emplois dans le secteur de l’énergie. »
En une phrase : exploiter les sources d’énergie durables locales et limiter notre dépendance aux importations, pour réduire les émissions de carbone du secteur et assurer une plus grande résilience de notre système énergétique.
Utilisation des ressources locales :
L’étude met en évidence le potentiel inexploité de l’énergie solaire photovoltaïque et éolienne en Suisse. En optimisant les investissements dans ces sources d’énergie, notamment en couvrant une partie des toits du pays avec des panneaux solaires, il serait possible de produire localement une grande partie de l’électricité nécessaire. Les chercheuses et chercheurs du groupe Industrial Process and Energy Systems Engineering (IPESE) de la Faculté des Sciences et Techniques de l’Ingénieur de l’EPFL ont constaté que, pour atteindre ces objectifs, la Suisse devrait augmenter la production d’électricité photovoltaïque (PV) et éolienne. L’optimum économique pourrait ainsi être atteint en couvrant 60% de la surface des toits de la Suisse avec des systèmes photovoltaïques. « La prochaine étape consiste à déterminer quels sont les toits les plus appropriés », ajoute Jonas Schnidrig, principal auteur de l’étude.
En une phrase : atteindre un optimum économique en couvrant de panneaux photovoltaïques le 60% de la surface des toits de la Suisse.
Équilibrer production et stockage saisonnier :
Pour être en mesure de répondre à la demande tout au long de l’année, l’étude souligne par ailleurs l’importance de trouver un équilibre entre les différentes sources, compte tenu des variations saisonnières. « Étant donné que le soleil brille plus intensément en été et que le vent souffle plus intensément en hiver, il est essentiel de trouver le bon équilibre et de développer des capacités de stockage saisonnier » précise un communiqué de l’EPFL. Les chercheurs suggèrent ainsi d’équilibrer la production solaire estivale par un déploiement de capacité éolienne, combiné à l’utilisation de l’hydroélectricité et de la biomasse.
En une phrase : combiner les énergies issues du soleil (photovoltaïque), du vent (éolien), de l’eau (hydroélectrique) et des déchets organiques (bois et biomasse).
Transiter vers des investissements locaux :
Le modèle proposé par l’étude encourage des investissements locaux dans les énergies renouvelables, afin de s’affranchir des fluctuations des prix sur les marchés internationaux et de renforcer la sécurité énergétique à long terme. Les scientifiques concluent que « la principale différence réside dans la nature des coûts : le système énergétique suisse actuel repose principalement sur des importations (bon marché) plutôt que sur des investissements. Le consommateur paie donc et dépend de l’utilisation de ressources et de technologies qui sont effectivement investies et exploitées en dehors de la Suisse », explique François Maréchal. « En revanche, le futur système que nous avons modélisé est basé sur l’investissement local, l’utilisation de nos propres ressources, et semble être le choix le plus économique et le plus résilient à long terme. »
En une phrase : investir en Suisse dans les énergies renouvelables pour s’affranchir des fluctuations de prix et renforcer notre sécurité énergétique.
Source : communiqué EPFL
Dans notre étude, nous avons modélisé un système énergétique idéal pour 2050, en supposant que les acteurs énergétiques suisses aient pris collectivement les décisions d’investissement sur base du coût minimum pour notre pays. Cette hypothèse se justifie, puisque d’ici là et à part pour les barrages et les infrastructures réseaux, toutes les technologies concernées auront atteint leur fin de vie et auront dû être remplacées. Cette approche vise dès lors à modéliser le processus de prise de décision et peut, de ce fait, ne pas représenter la réalité du comportement des acteurs confrontés au jour le jour à leur perception du marché. Cela permet d’expliquer l’écart possible entre un monde simulé et sa mise en œuvre.
Notre étude révèle un changement majeur dans la structure des dépenses énergétiques en Suisse. Aujourd’hui, selon nos calculs, les dépenses énergétiques annuelles correspondent à 16.2 milliards (dont 12.6 pour l’achat d’énergie à l’étranger). Le système envisagé pour 2050 est non seulement 30% moins coûteux, mais structuré différemment, avec le rapatriement des dépenses en Suisse. Le défi est ainsi de réorienter le budget actuellement consacré à l’achat de ressources énergétiques traditionnelles telles que le pétrole, vers des investissements nationaux dans les énergies propres. Cette transition implique une décentralisation qui ouvre la voie à une nouvelle génération d’acteurs, les prosumers, à la fois producteurs et consommateurs d’énergie. Il s’agit donc de développer de nouveaux modèles d’affaires. Ainsi, plutôt que de concentrer nos efforts sur la construction de grandes centrales électriques, nous envisageons une multiplication d’installations de petite taille, telles que les batteries et les piles à combustible. C’est un véritable changement de paradigme : il s’agit de mobiliser des investissements pour la gestion de l’énergie et la collecte d’énergie renouvelable, plutôt que de faire des achats sur les marchés et permettre à d’autres d’en tirer profit. Notre étude met également en évidence la nécessité de disposer d’une main-d’œuvre qualifiée pour implémenter la transition, ce qui implique un soutien à la formation continue. Nous avons besoin de politiques qui encouragent le développement des prosumers et des communautés d’autoconsommateurs, la formation et le développement des compétences, ainsi qu’une approche de l’investissement qui favorise la mobilisation de capitaux plutôt que l’achat d’énergie. C’est une transformation profonde nécessaire à une transition énergétique réussie.
Nous avons identifié plusieurs domaines nécessitant des recherches approfondies. Il s’agit par exemple d’avoir une meilleure compréhension du rôle des acteurs dans un système décentralisé, et d’étudier l’impact de l’efficacité, de la rénovation et du rôle des batteries des véhicules. Nous explorerons également la manière dont les gouvernements, les entreprises, les consommateurs, les chercheurs et les ONG contribuent à la transition énergétique, pour tenter de comprendre leurs intérêts et leurs motivations, tout comme les défis auxquels ils sont confrontés, les opportunités qui s’offrent à eux et les éventuelles collaborations. Nous allons également étudier les possibilités et les impacts d’une récupération et d’une distribution de la chaleur résiduelle dans les installations traditionnelles, les conséquences du réchauffement climatique sur l’énergie hydraulique dans le mix énergétique suisse, l’importance de la production future des données et l’adaptation du système énergétique à ces nouvelles demandes. L’impact de la décarbonisation de l’industrie sera par ailleurs intégrée à notre approche, alors que nous analyserons également comment la Suisse interagit avec les marchés de l’énergie des pays voisins, comment elle participe à la politique énergétique de l’UE et comment elle influence les tendances et les évolutions énergétiques régionales. Nous travaillons également sur le développement d’algorithmes de transfert de connaissance, en proposant par exemple la plateforme Energyscope, un système de réponse aux questions grâce aux modèles où nous explorons, en collaboration avec les autorités, le développement d’outils de « targeting-monitoring » (processus de surveillance et de suivi des objectifs fixés, ndlr) de la transition.
Joëlle Loretan
Rédactrice
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