Monsieur Thomsen, vous avez fondé Future Matters il y a plus de vingt ans, un think tank qui s’intéresse au futur et notamment aux technologies disruptives. Selon vous, comment la mobilité dans les villes pourrait-elle évoluer à l’avenir?

Nous partons du principe que ce sont les grandes villes qui contribueront à façonner la mobilité du futur. Il ne s’agit pas seulement de la place qu’auront les voitures, les piétons ou les vélos, mais d’innovations qui améliorent la qualité de vie et la durabilité. Il existe une concurrence entre les grandes métropoles pour le développement de concepts de mobilité intelligents. Outre la conduite autonome sur nos routes, les villes réfléchissent également à de nouveaux systèmes de tunnels afin de réduire considérablement les embouteillages sur les routes. L’utilisation de la «troisième dimension», soit dans les airs ou sous terre, permet aussi de repenser la mobilité individuelle et commerciale.

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Lars Thomsen est le fondateur et propriétaire de Future Matters

Lars Thomsen est le fondateur et propriétaire de Future Matters, un think tank fondé en 2001 et spécialisé dans la prospective d’entreprise, basé à Erlenbach (ZH). Ce futurologue et son équipe se penchent depuis plus de vingt ans sur les questions d’avenir autour des thèmes de la mobilité, de l’énergie, du travail et de l’intelligence artificielle.

© Jorma Mueller/Escenic

Dans les airs?

Oui, avec des taxis volants électriques, appelés eVTOLs. Le président français, Emmanuel Macron, avait annoncé qu’il se rendrait au stade avec un Volocopter lors de l’ouverture des Jeux olympiques en juillet. Avec ces engins, il est possible de décoller et d’atterrir à la verticale, par exemple sur des aires d’atterrissage situées sur des immeubles ou sur des places correspondantes dans une commune.

N’est-ce pas juste une coûteuse plaisanterie?

Les coûts d’exploitation sont environ 80% moins élevés que ceux d’un hélicoptère. Si ces drones avec passagers deviennent ensuite autonomes, il s’agira d’une toute nouvelle forme de mobilité, surtout pour les zones rurales. Il faudra certes encore quelques années avant qu’ils ne soient autorisés, mais il sera alors possible de se rendre à l’aéroport de Zurich en quinze minutes depuis le canton d’Uri par exemple, et ceci de manière totalement neutre en termes de carbone. Cela augmentera l’attractivité des régions peu peuplées. En Suisse aussi, un certain nombre d’entreprises travaillent sur de tels concepts.

Mais un drone avec des passagers est complètement différent d’un petit drone traditionnel.

C’est une question d’échelle. Bien sûr, un drone capable de transporter 300 kilos a besoin de batteries et de rotors plus grands. Par ailleurs, les exigences en matière de sécurité sont proportionnellement plus élevées, de sorte qu’un atterrissage sûr soit toujours garanti, même en cas de panne d’un système. Les premiers taxis volants autonomes transportant des passagers payants ont déjà vu le jour à Guangzhou, en Chine. Plus d’une centaine d’entreprises travaillent sur des drones avec passagers, qui pourraient être disponibles assez rapidement comme alternative aux taxis.

Quelles ont été les percées technologiques de ces dernières années dans ce domaine?

L’un des principaux moteurs de progrès est l’intelligence artificielle: ces dernières années, l’IA a fait des avancées en matière de mobilité autonome que nous avions jusqu’ici considérées comme impossibles. Il faut surtout mentionner ici les systèmes d’auto-apprentissage qui rendent désormais possibles des percées dans les véhicules autonomes.

Avec quelles conséquences pour la mobilité?

L’IA permet aux machines d’apprendre en reconnaissant et en traitant leurs propres modèles. Jusqu’à présent, cet apprentissage faisait défaut dans les tentatives de construction de voitures auto-pilotées. Avec l’IA, cela devient soudain possible, car cet apprentissage est très similaire à celui des humains, mais beaucoup plus rapide. C’est pourquoi nous sommes convaincus que les véhicules autonomes deviendront une réalité sur nos routes bien plus rapidement que beaucoup ne le pensent.

A quoi ressemblera la mobilité dans dix ans?

Dans la deuxième moitié des années 2020, la propulsion électrique pour les voitures sera la chose la plus normale du monde. Elle n’aura plus rien d’exotique, car elle nécessite moins d’entretien, est moins chère et plus performante que les moteurs à combustion.

Les voitures électriques sont-elles vraiment moins chères?

Au cours des dix dernières années, les voitures électriques ont souvent été plus chères à l’achat que des voitures comparables équipées d’un moteur à combustion. Mais à l’usage, elles sont bien plus avantageuses si l’on tient compte de la consommation totale, de l’entretien et de l’usure. Le coût de l’élément le plus cher, les batteries, a énormément diminué. C’est le paramètre qui va accélérer le développement futur. Nous en sommes déjà au stade où, en termes de rapport qualité-prix, une voiture électrique est moins chère qu’un véhicule thermique équivalent.

Les structures de recharge sont un autre sujet.

Il y a suffisamment de possibilités de chargement le long des autoroutes pour pouvoir parcourir pratiquement aussi rapidement avec une voiture électrique des distances de plus de 1000 kilomètres par jour. Ce n’est plus un problème. Le système énergétique a lui aussi suffisamment de capacité pour mettre de l’électricité à disposition des voitures électriques. Nous aurions besoin d’environ 10% d’électricité en plus si tous les véhicules en Suisse étaient électrifiés. Et si les batteries sont utilisées comme des accumulateurs intelligents, la capacité de stockage augmente énormément. Une partie des voitures peut être rechargée lorsque l’électricité est particulièrement bon marché et réinjecter l’électricité dans le réseau lorsqu’elle est chère. C’est ce que font déjà avec succès nos centrales de pompage-turbinage dans les Alpes sur le réseau électrique européen. On entend encore souvent dire que les voitures électriques sont beaucoup trop chères ou que les moteurs à combustion sont plus écologiques. Mais cela ne correspond pas à la réalité.

Quelle est la réalité?

Chaque ancienne technologie est un jour remplacée par une meilleure. Il en a toujours été ainsi. De tels points de bascule sont toujours une chance pour les nouvelles entreprises et les régions où la R&D est valorisée, qui imposent des innovations plus rapidement que les anciens chefs de file. Une bataille est en cours entre la Chine et l’Europe à cet égard. La Chine mise beaucoup sur la voiture électrique et dispose d’énormes capacités de production de batteries. Elle est aujourd’hui en mesure de proposer des voitures électriques plus petites et moins chères que les constructeurs européens.

Que peuvent faire les PME pour être encore présentes dans dix ans, compte tenu des derniers développements?

Je suis souvent choqué de voir à quel point les directions d’entreprise sont peu au courant des technologies et de leurs opportunités. Les changements dans le travail, la mobilité, l’énergie et l’intelligence artificielle sont vraiment énormes. Je conseillerais à chacun de consacrer un certain temps par semaine à se former, se rendre à des congrès ou à des réunions d’information, essayer de nouvelles choses, apprendre, découvrir, être curieux. Ce qui est dangereux, c’est de passer à côté d’une tendance. Cela peut mettre les entreprises dans d’énormes difficultés si d’autres peuvent innover à moindre coût et plus rapidement.

Vous est-il déjà arrivé de vous tromper dans vos prévisions?

Il y a dix-neuf ans, j’ai pensé que l’hydrogène s’imposerait comme le successeur des moteurs à essence et diesel. Je me suis trompé. Nous avions sous-estimé la dynamique de développement et le potentiel de la technologie moderne des batteries.

Voyez-vous d’autres développements dans la mobilité? On constate qu’aujourd’hui les transports publics sont déjà à la limite.

Les goulets d’étranglement des CFF sont principalement dus aux heures de pointe et à l’augmentation du nombre de pendulaires. Si l’on parvient à exploiter le réseau de manière plus efficace, de nombreux problèmes seront résolus, comme nous pouvons déjà le constater avec l’augmentation de la part du travail à domicile. Mais compte tenu de l’évolution démographique, la population européenne va plutôt diminuer et vieillir. C’est pourquoi la mobilité autonome aura un rôle important à jouer.

Lequel?

Il s’agira notamment de savoir combien de temps les personnes âgées pourront rester mobiles. C’est là que rentre en jeu le nouveau domaine de la robotique de service. Les robots ne seront pas seulement capables de passer l’aspirateur, mais aussi de nous assister afin que nous ne soyons pas constamment dépendants des personnes qui s’occupent de nous. Que ce soit en confiant au robot de nombreuses tâches ménagères, d’assistance et de soins personnels. Nous pensons que le marché de la robotique aura un plus grand potentiel que le marché automobile actuel. Des milliards y sont déjà investis. Aux Etats-Unis, il règne actuellement une atmosphère de ruée vers l’or. En Suisse aussi, les instituts et les start-up font beaucoup de recherche et d’investissements. A juste titre!