Les dernières années l’ont douloureusement montré: l’Europe doit parfois se débrouiller seule. La politique «America First» de Donald Trump, la pandémie de covid ou encore l’attaque russe contre l’Ukraine ont ébranlé la croyance d’une mondialisation grandissante.

Pas de surprise donc à ce que l’UE, les Etats-Unis et la Chine cherchent à renforcer leur propre sécurité économique. Chez les trois plus grandes puissances économiques mondiales, le terme «de-risking» s’est imposé. Pourtant, sa définition diffère fortement de l’une à l’autre, comme le montre un rapport de la Chambre de commerce de l’UE en Chine, en collaboration avec le China Macro Group (CMG).

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«Le gouvernement suisse n’a pas de stratégie officielle de de-risking, même en ce qui concerne la Chine.»

 

Le de-risking de l’Union européenne joue un rôle déterminant pour les entreprises suisses. «Les entrepreneurs commencent à ressentir certaines distorsions de marché, liées à la politique industrielle européenne», explique Markus Herrmann, fondateur et directeur du CMG.

«Le gouvernement suisse n’a pas de stratégie officielle de de-risking, même en ce qui concerne la Chine, poursuit-il. Mais, ces derniers mois, l’administration fédérale a fait certaines analyses en matière de de-risking: examen des dépendances commerciales, participation à des initiatives internationales et impact de la politique industrielle étrangère.»

Un terme utilisé pour la première fois en 2022

Mettre en place une stratégie de de-risking au sein de l’UE est une idée relativement récente: le chancelier allemand Olaf Scholz a utilisé ce terme pour la première fois en novembre 2022.

Quelques mois plus tard, un discours de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a amplifié la tendance. Selon ses dires, un découplage avec la Chine n’est «ni faisable, ni dans l’intérêt de l’Europe». Toutefois, les relations doivent être «rééquilibrées» afin de réduire la dépendance dans les «domaines critiques».

La Chine et la Suisse

La Chine est le principal partenaire commercial de la Suisse en Asie et le troisième partenaire commercial en général, derrière l’UE et les Etats-Unis. L’accord de libre-échange sino-suisse est entré en vigueur le 1er juillet 2014. Depuis lors, le commerce bilatéral a fortement augmenté. Selon le Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco), les entreprises suisses ont exporté pour 41 milliards de francs de marchandises vers la République populaire de Chine en 2023 et les importations se sont élevées à 18 milliards de francs. L’économie suisse ressent toutefois l’affaiblissement de la conjoncture chinoise. L’industrie horlogère a subi au premier semestre une diminution de ses ventes de 20% par rapport à l’année précédente.

Avec l’invasion russe en Ukraine, il est devenu évident que le continent européen dans son ensemble avait trop misé sur le gaz russe pour son approvisionnement énergétique. Lorsque les livraisons ont cessé, les prix de l’énergie ont massivement augmenté, en Allemagne notamment.

«ordre mondial multipolaire»

Quant à la Chine, elle partage les objectifs géopolitiques de la Russie. Les deux Etats veulent affaiblir la suprématie mondiale des Etats-Unis et aspirent à ce que l’on appelle un «ordre mondial multipolaire».

«La Chine utilise sa puissance économique de manière ciblée pour réaliser ses objectifs politiques», écrit ainsi le gouvernement fédéral allemand dans sa stratégie vis-à-vis de la Chine. Dans ce domaine sensible, les Etats européens tentent d’agir prudemment. Pour autant, la Chine n’a pas apprécié le discours d’Ursula von der Leyen. Un de ses fonctionnaires a ainsi mis en garde contre le fait de «lier le commerce à l’idéologie et à la sécurité nationale».

Alors quand le terme de-risking est apparu dans le communiqué commun du G7 à la suite du sommet de mai 2023 au Japon, les médias d’Etat chinois ont tout de suite réagi en affirmant que cette stratégie n’était autre qu’un prétexte de Washington pour contenir la Chine.

L’outil dissuasif de Xi Jinping

Cela dit, la critique chinoise manque de nuance: le de-risking américain se distingue nettement de celui de l’UE. Aux Etats-Unis, on a d’abord surtout parlé de «de-coupling», c’est-à-dire de découplage. Les efforts en vue d’une indépendance dans les industries critiques y sont plus étendus qu’en Europe, précise l’étude du CMG. A cela s’ajoute «la suppression active des flux de technologie vers la Chine», explique Markus Herrmann.

De même, la stratégie chinoise pour renforcer sa sécurité économique va bien au-delà de celle de l’UE. Depuis le milieu des années 2000 déjà, la Chine tente d’imposer son hégémonie sur certaines technologies. Parfois avec succès: elle domine désormais le marché mondial des installations solaires et une évolution similaire se dessine pour les voitures électriques.

En 2020, le président chinois Xi Jinping a même exigé que son pays construise «des chaînes d’approvisionnement indépendantes» et, dans un même temps, qu’il «augmente les dépendances internationales vis-à-vis de la Chine. Ceci afin d’obtenir un outil de dissuasion puissant contre les tentatives d’autres pays de rompre les chaînes d’approvisionnement chinoises.»

«Riskful Thinking»

Le rapport intitulé «Riskful Thinking: Navigating the Politics of Economic Security» de la Chambre de commerce de l’UE en Chine, en collaboration avec le China Macro Group (CMG), a été publié le 20 mars 2024. Le rapport décrit les différentes approches de l’UE, de la Chine et des Etats-Unis pour faire face aux menaces perçues sur leurs économies respectives et les mesures prises par les entreprises européennes pour rendre leurs activités en Chine plus résistantes. L’étude peut être téléchargée sur le site web de la Chambre de commerce.

Une chose est sûre: «Les trois stratégies actuellement suivies par l’UE, la Chine et les Etats-Unis représentent toutes un retrait plus ou moins important de la mondialisation», indique l’étude. Un mauvais signe pour la Suisse qui, avec son économie ouverte, profite justement de cette mondialisation.

Et pour les entreprises suisses?

D’un autre côté, les entreprises suisses pourraient aussi profiter de la diversification des chaînes d’approvisionnement et de la promotion de partenaires commerciaux plus proches sur le plan idéologique et géographique, explique Markus Herrmann. «En principe, la politique industrielle européenne est donc aussi considérée comme une chance par les groupes suisses.»

Au-delà de ça, les effets du de-risking européen sont encore peu clairs, selon Markus Herrmann. «Le volume d’échanges commerciaux entre l’Europe et la Chine continue de croître, alors qu’il a diminué entre les Etats-Unis et la Chine.» Et même là, on ne sait pas si les chaînes de création de valeur ont réellement été brisées ou si elles ont simplement été prolongées par d’autres Etats comme le Mexique et le Vietnam.