«Je suis arrivée dans le métier un peu par hasard. Après une maturité gymnasiale artistique, j’ai commencé des études universitaires en histoire et histoire de l’art. Mais j’ai arrêté après une année. J’avais envie d’un métier plus concret, quelque chose de manuel. Comme j’ai toujours bien aimé les chaussures, je me suis dit: «Pourquoi pas la cordonnerie?» C’est un métier permettant de travailler des matières nobles, qui se pratique à l’intérieur, un peu physique mais tout à fait accessible. A l’époque, un de mes amis était coursier et il faisait régulièrement des livraisons à la cordonnerie Seror, aux Eaux-Vives (GE). Il m’a aidé à y dégoter une place d’apprentissage.

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Deux ans après l’obtention de mon CFC, un de mes collègues, qui cherchait à ouvrir sa propre boutique, m’a proposé de me lancer avec lui. J’avais très envie de gérer mon emploi du temps, ma façon de travailler, la relation clients. En revanche, le rôle de cheffe d’entreprise et le travail administratif que cela demande m’effrayaient. Mon père, banquier, m’a beaucoup encouragée, promettant de m’aider pour les aspects de gestion du magasin. Alors je me suis lancée.

Avec mon associé, nous avons appris le décès d’un cordonnier qui tenait boutique au boulevard du Pont-d’Arve, en plein centre-ville de Genève. Nous y sommes allés au culot, écrivant une lettre à sa veuve, qui cherchait à remettre l’arcade. Nous n’étions de loin pas les seuls à postuler. La dame nous a dit que cela lui faisait plaisir que des jeunes reprennent la boutique. C’était en 2016. J’avais 27 ans et mon associé, 22. Aujourd’hui, je suis la seule gérante. J’ai eu deux employés successifs. Celui avec qui je travaille aujourd’hui, Charles, est aussi mon meilleur ami. Il est employé sur le papier, mais en réalité, il s’investit autant que moi.

Le covid a représenté une période compliquée, mais, depuis quelques mois, les clients reviennent. Nous avons aujourd’hui une affluence régulière, pour des réparations plutôt fonctionnelles. Et puis, nous recevons de plus en plus de jeunes, intéressés par le travail de la matière et qui cherchent à comprendre ce qu’il y a derrière une chaussure. Ils souhaitent donner une durée de vie plus longue à leurs objets, conscients de la limite des ressources planétaires. Je dirais que cordonnier est un métier d’avenir, même s’il s’agit d’un art très ancien.

Notre magasin s’appelle la Nouvelle Cordonnerie du Pont-d’Arve. Nous restons toutefois passablement attachés à l’aspect traditionnel du métier. Je pense que notre clientèle aime notre côté jeune, qui se révèle dans notre accueil dynamique et dans la transparence dont nous faisons preuve. Nous essayons d’expliquer ce que nous faisons, de prévenir le client avec honnêteté que sa chaussure est bas de gamme et qu’on ne peut rien faire. Parfois, les clients repartent sans réparation, mais en étant contents d’avoir appris quelque chose.»


  • C’est le nombre d’apprentis formés à la cordonnerie en même temps que Joséphine Bailat en Suisse. Les cours théoriques avaient lieu à Lausanne et la partie pratique, deux fois par an, était en Suisse alémanique.
  • 50 à 100 Le nombre de paires de chaussures réparées par semaine avec un pic d’activité en juin et septembre-octobre.
  • 170 francs Le prix d’un ressemelage complet sur une paire de chaussures en cuir cousu à la Nouvelle Cordonnerie du Pont-d’Arve. «Avec patins de protection ou fer encastré offerts.»