«J’ai parlé pendant deux ans de quitter mon poste avant de finalement trouver le courage de le faire.» Anne Hemmer, 39 ans, avait perdu tout intérêt dans son travail. Un ennui diffus, une frustration et une certaine démotivation, si typiques du malaise de la mi-carrière, avaient fini par happer la Fribourgeoise. Elle a travaillé dans la communication, le journalisme et la protection de l’enfance, avant d’arriver à ce sentiment de saturation. «J’avais la sécurité de l’emploi et une bonne situation financière. Et puis partir pour faire quoi?»

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Fin 2019, elle saute le pas et démissionne. Suivant sa passion pour le sport, elle se forme comme professeure de fitness. «J’avais des économies, une situation financière saine et pas d’enfants, ce qui a facilité ce saut dans le vide.» En août dernier, elle a commencé une activité indépendante, Hemmer Coaching.

Quête de sens et envie de changement

«Ce phénomène touche habituellement les personnes âgées de 40-45 ans, mais aujourd’hui les tranches d’âge plus jeunes sont aussi concernées, notamment parce que ces générations ont globalement plus besoin de sens, constate Diane Borcard, spécialiste RH et fondatrice du cabinet de conseil Bebloom Free Yourself, à Bulle (FR). En outre, ce mouvement a été favorisé par l’introspection à laquelle les semi-confinements ont poussé de nombreuses personnes à se livrer. Les gens se sont retrouvés seuls face à eux-mêmes et parfois face à leurs insatisfactions professionnelles jusque-là reléguées au second plan par une certaine hyperactivité.»

Au tournant de la quarantaine, les travailleurs sont souvent bien installés professionnellement. Ils ont gravi les échelons, ils dirigent des équipes et bénéficient de salaires confortables. Mais il arrive alors que pointent un essoufflement et l’impression de tourner en rond dans des tâches qui perdent leur sens. La maturité et la conscience de sa propre mort venante font que ces individus sont généralement moins soumis aux regards des autres, moins dupes de la vacuité de certaines réussites professionnelles. Cette lucidité vient raviver en eux une quête de sens et des envies de changement. C’est ce que les spécialistes appellent le «malaise de la mi-carrière».

Prendre conscience de son insatisfaction est une première étape indispensable pour changer les choses. Elle n’est pour autant pas si évidente à réaliser. Dans cette phase de vie, les travailleurs ont souvent des crédits à rembourser, une famille à nourrir et des enfants à élever. «Cette pression familiale et financière n’aide évidemment pas à observer sereinement la situation puisque le seul fait d’envisager le changement réveille de nombreuses peurs chez la personne concernée», constate Diane Borcard.

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Diane Borcard, fondatrice, Bebloom Free Yourself

© vincent barras

«Ceux qui s’enfoncent dans une insatisfaction professionnelle risquent de faire un burn-out.»

 

«Il est important de s’écouter mais aussi de mûrir sa décision, conseille la spécialiste. Ceux qui s’enfoncent dans une insatisfaction professionnelle vont souvent finir par faire un burn-out.» La spécialiste estime qu’il faut prévoir financièrement et mener une réelle réflexion de fond avant de démissionner. «Mais il faut aussi identifier et dépasser ses peurs tout en développant une confiance en soi et en la vie qui va permettre de nouvelles opportunités.»

Le conseil:  Un bon moyen d’atteindre tranquillement le point de bascule consiste, selon Diane Borcard, à réduire son temps de travail pour commencer à lancer une nouvelle activité en parallèle ou pour réfléchir à un nouveau poste.

Là encore, la crise du covid, ses confinements et l’augmentation du temps disponible ont joué un rôle vertueux. «Certains employés ont ainsi profité de l’occasion pour développer un talent, entrevoir un hobby comme une source potentielle de revenu.»

Pour certains cependant, changer d’entreprise ou de métier n’est ni forcément souhaitable ni évident. De petites adaptations et une nouvelle manière d’envisager son travail peuvent parfois suffire à renouer avec l’enthousiasme. Diane Borcard l’a constaté récemment avec un de ses clients. «Au début, ce quadragénaire ne se sentait plus à sa place. A force de travail sur lui, il a pu changer sa manière de communiquer avec ses collègues, désamorcer des tensions et des divergences et retrouver ainsi un certain plaisir au point qu’il va peut-être finir par rester en poste, mais dans un tout autre état d’esprit.»

Plus de 50 ans

Eric a vécu cette situation: «Ce qui compte, ce n’est finalement pas uniquement ce que l’on fait, mais parfois plutôt la manière dont on le fait et la qualité des rapports humains que cela engendre.» Ce responsable de l’organisation des zones de ventes (visual merchandiser) vaudois de 40 ans officie dans la grande distribution depuis vingt ans. «Mon travail lui-même ne m’épanouit pas pleinement mais je fais avec, car les collègues sont sympas et je compense en m’investissant dans l’écriture et la peinture sur mon temps libre», explique ce père de famille qui ne se sent pas prêt à renoncer à sa stabilité financière «pour le moment».

Pour Whitney Johnson, coach de direction et auteure à succès sur les thématiques de RH, alors que beaucoup de gens disent, à l’instar d’Eric, que l’argent les empêche de quitter un travail insatisfaisant, ce serait plutôt la perte présumée de statut social et de prestige qui les conduirait en réalité à s’enfermer dans le statu quo.

Serge Rogivue, fondateur du cabinet SR Conseils à Montreux (VD), spécialisé dans le domaine du recrutement et du coaching, estime de son côté que les plus de 50 ans sont encore davantage touchés par le malaise de la mi-carrière une fois qu’ils ont pris des responsabilités, dirigé des équipes et multiplié les occasions de faire preuve de leurs compétences. «Ils ont souvent encore beaucoup à apporter à l’entreprise et à la société, pour peu que des postes adéquats leur soient proposés. Mais dans notre pays, il y en a peu. C’est loin d’être le cas dans d’autres, comme les Etats-Unis ou la France. Malheureusement, l’archaïque système hiérarchique pyramidal, si présent en Suisse, empêche de poursuivre son développement au-delà d’un certain âge et n’encourage pas du tout l’entrepreneuriat et la prise de risque.»

Choc générationnel

Serge Rogivue constate également l’apparition d’un choc générationnel dû à la manière dont les jeunes réenvisagent la hiérarchie et le travail. «Ce décalage obligera tôt ou tard à évoluer.» Pour Vincent Musolino, fondateur de COAPTA, société de coaching active sur l’Arc jurassien, cette évolution a déjà commencé. «Depuis une année, on constate une épidémie de départs dans les entreprises de toutes tailles et de tous secteurs. Et ce ne sont plus seulement des 40-50 ans en perte de sens. Certains démissionnent sans même avoir de plan B», s’étonne le professionnel de 52 ans.

En 2014, il a lui-même quitté un poste de cadre supérieur dans l’horlogerie pour lancer sa société. «J’avais le sentiment que mon travail ne servait à rien et je me rapprochais du burn-out. Le décalage entre mes aspirations profondes et la réalité de mon poste était devenu trop grand.» Avant de tout quitter, le Biennois recommande néanmoins de faire un bilan de compétences, voire un coaching de réorientation en amont.