«Je me sens en forme, je veux continuer à exister sur le plan professionnel. Aujourd’hui, on n’est plus un vieillard à 65 ans, comme lors de la création de l’AVS, en 1948. Quand on a travaillé dans les services, qu’on a vécu une vie plus facile sur le plan physique, avec plus de confort, on peut encore être utile au monde du travail!» Marc-Antoine Surer, 65 ans, a quitté la direction commerciale des Services industriels de Lausanne en décembre 2021. Il aurait aimé rester dans ce service municipal de 650 collaborateurs.

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Toutefois, comme plusieurs administrations publiques en Suisse, la ville de Lausanne ne permet pas de garder ses employés au-delà de l’âge légal de la retraite. «J’ai donc créé un statut d’indépendant et proposé mes services comme administrateur professionnel, notamment à la ville de Lausanne. Je siège aujourd’hui dans six conseils d’administration, dont deux que je préside. Cela occupe 30 à 40% de mon temps. Même si je ne suis plus dans l’opérationnel, cela me permet d’aider les entreprises en question à réfléchir sur leur stratégie et leur pérennité.»

Un Suisse sur dix

Le cas de Marc-Antoine Surer n’est pas isolé. Selon l’OFS, plus d’un Suisse sur six (17,8%) âgé de 65 à 74 ans est actif professionnellement. Daniel Schmid, spécialiste en ressources humaines et lui-même actif à 67 ans au travers de son entreprise Pulsions Management, confirme le phénomène. «J’observe trois orientations principales chez les personnes de mon réseau qui continuent à travailler au-delà de l’âge légal. Une partie d’entre elles continuent leur métier parce qu’elles l’aiment, qu’il a toujours occupé une place importante dans leur vie sociale et privée. Elles le font par intérêt et plaisir.»

Le Genevois cite une deuxième catégorie souhaitant profiter de la retraite pour développer une nouvelle affaire, un projet entrepreneurial, qu’elles avaient mis en stand-by jusque-là. «C’est par exemple mon cas avec mon entreprise Pulsions, lancée en 2003 déjà, mais que je peux pleinement développer seulement maintenant.» Enfin, certaines personnes restent actives pour des motivations financières, car leur retraite est trop petite.

D’après cet ancien codirecteur de l’entreprise genevoise RH Conseils, un marché spécifique pour ces seniors actifs se développe. «Des gens très compétents, qui ont baigné dans le système et sont à jour, constituent des ressources complexes à trouver. De plus, cela peut se révéler économiquement intéressant pour les entreprises, puisqu’elles paient moins de cotisations sociales quand la personne est salariée (pas d’assurance chômage et rarement de 2e pilier, notamment), voire aucune si elle est indépendante.»

Pénurie de main d'oeuvre

La pénurie de main-d’œuvre dans certains domaines, comme l’architecture ou l’informatique, encourage les entreprises à garder les collaborateurs qui le souhaitent plus longtemps que l’âge fatidique de 64 ans pour les femmes ou 65 ans pour les hommes. C’est le cas de CSD Ingénieurs, un groupe de 900 collaborateurs. Au siège, à Givisiez (FR), Jana Gervai a atteint l’âge de la retraite il y a deux ans, mais travaille toujours pour le service marketing et communication.

«Administratrice de la base de données clients depuis plusieurs années, j’étais bien placée pour chapeauter sa migration vers un nouveau système ERP. Etant active dans l’entreprise depuis douze ans dans différentes fonctions, je dispose d’une très bonne connaissance des structures internes, des personnes en place, de l’historique des dossiers.» De manière générale, la collaboratrice se sent plus sereine qu’avant la retraite. «Avec l’expérience, sans la peur de perdre son emploi ou d’être mise en préretraite, on prend plus facilement du recul. J’apprécie aussi de transmettre ce que je sais aux plus jeunes générations. C’est également un défi intéressant sur le plan intellectuel.»

A la Haute Ecole de gestion Fribourg (HEG-FR) aussi, on n’hésite pas à faire appel à des collaborateurs seniors. Le responsable de la formation continue, Eric Décosterd, qui gère une quinzaine de programmes postgrades au sein de l’école, est âgé de 77 ans. «J’ai travaillé pour la branche pharmaceutique à travers le monde, notamment chez Novartis Consumer Health, au comité de direction mondial.» Il y a vingt ans, ce cadre a décidé de préparer sa seconde vie professionnelle et a trouvé dans l’enseignement une activité qui le passionne.

De nombreux avantages

«J’ai la chance d’avoir la santé et de faire partie de ceux qui continuent à travailler après l’âge de la retraite par passion. L’activité d’enseignement représente aussi beaucoup moins de pression que des fonctions dirigeantes dans le privé.» La collaboration avec la HEG-FR se fait sous la forme d’un mandat permanent. «J’ai une Sàrl, dont je suis salarié. Je touche l’AVS, pour laquelle je continue aussi de cotiser. Mon taux d’activité correspond à un 40% environ, réparti sur l’année.»

Le directeur de la HEG-FR, Rico Baldegger, apprécie la collaboration avec Eric Décosterd, mais aussi avec les autres seniors qui interviennent dans les formations continues de l’école. «Employer des seniors présente de nombreux avantages. Des personnes comme Eric Décosterd partagent leur expérience riche et pratique dans le leadership et la responsabilité d’entreprises. Leurs contacts comptent aussi énormément: une personne jeune mettra beaucoup plus de temps à constituer un tel réseau. Enfin, la connaissance du système est cruciale. Dans le cas d’Eric Décosterd, il connaît les implications politiques de telle ou telle décision, l’importance des relations avec la société, les entreprises ou les médias par exemple.»

Pour le directeur, intégrer ou continuer à employer des seniors ne peut toutefois fonctionner qu’à certaines conditions. 

Le conseil «Les personnes concernées doivent avoir un état d’esprit tourné vers la modernité et le futur. Il faut qu’elles se tiennent au courant des avancées technologiques, en informatique par exemple. Elles doivent aussi respecter les jeunes générations, les considérer d’égal à égal pour qu’un vrai échange soit possible.» 

En Suisse romande, le programme de Pro Senectute AvantAge propose, notamment, des séminaires pour les 45 ans et plus (soit pour des bilans à mi-carrière ou pour la planification financière de la retraite, soit à environ cinq ans de l’âge de la retraite). «Nous estimons qu’environ 5% des personnes qui participent à nos séminaires souhaiteraient continuer à travailler comme indépendants, explique le responsable romand d’AvantAge, Costantino Serafini. Nous traitons ces situations de manière indirecte pour l’instant, mais nous surveillons l’évolution des demandes et il est probable que nous proposerons dans le futur un produit spécifique pour ces personnes, dont la proportion semble augmenter, notamment dans le secteur des services.»


Les conseils

Costantino Serafini, responsable du programme de Pro Senectute AvantAge, livre ses neuf conseils pour ceux qui voudraient lancer leur entreprise à l’approche de la retraite

  • Définir un premier projet le plus précisément possible.
  • Faire une première analyse SWOT: avantages/inconvénients, risques/opportunités, afin d’évaluer les premières motivations/convictions concernant le projet.
  • Décortiquer le projet dans les différents thèmes, par exemple ses aspects légaux (forme juridique, permis, clauses contractuelles actuelles, etc.).
  • Classifier les compétences personnelles nécessaires, disponibles et à acquérir.
  • Commencer le travail de recherche d’informations, via internet, réseau, etc.
  • Affiner le projet, trouver une niche.
  • Etablir un premier business plan, budget, etc.
  • Proposer éventuellement le projet à l’employeur actuel, en amenant les avantages, mais aussi à l’extérieur pour récolter un premier feed-back.
  • Faire valider le tout par une agence spécialisée.