Demain, quiconque entrera dans un bureau y rencontrera surtout des visages jeunes. Dans l’ascenseur, au bureau, à la cantine, partout des personnes qui sont au début de leur vie professionnelle. La plupart sont des hommes. Les femmes, en revanche, apparaîtront beaucoup plus rarement et les personnes âgées peut-être plus du tout.

Un scénario contre lequel Hung Lee, un célèbre expert britannique en ressources humaines, met en garde. «Le travail hybride conduit à une séparation des sexes et des générations», déclare le CEO de la plateforme de recrutement Workshape. Il craint que les femmes et les personnes plus âgées ne laissent le monde du présentiel aux hommes jeunes. Dans le milieu des RH, ses thèses sont loin d’être considérées comme fantasques. Mais le travail hybride fait-il vraiment revenir sur le devant de la scène l’ancienne économie, très masculine? Et comment les travailleurs à domicile peuvent-ils éviter d’être laissés pour compte?

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L'usager typique du home office est plus âgé

Il semble acquis que, à l’avenir, nous travaillerons davantage à la maison. Dans un récent sondage de Microsoft, 37% des employés suisses ont déclaré qu’ils envisageaient de travailler hors de leur lieu de travail au cours des douze prochains mois. Toutefois, un fossé se creuse entre les générations. Et ce ne sont pas les jeunes natifs du numérique qui aspirent le plus à une collaboration virtuelle. «L’usager typique du home office est plus âgé, majoritairement bien qualifié et occupe un poste moyen», explique Hartmut Schulze, professeur de psychologie appliquée à la Haute Ecole spécialisée du nord-ouest de la Suisse (FHNW).

Si les plus âgés aiment travailler chez eux, c’est pour une simple raison: ils n’ont pas besoin du bureau. Ils ne doivent pas nouer de nouveaux contacts, car ils disposent déjà d’un bon réseau. Ils sont généralement mariés et n’ont pas non plus besoin du bureau comme un lieu potentiel de rencontre (un tiers des couples se sont connus sur leur lieu de travail). De plus, les travailleurs âgés vivent souvent dans des habitations plus spacieuses. «Celui qui dispose de son propre bureau peut réguler sa sphère privée, effectuer ses tâches d’un seul tenant et même mieux dormir», relève Hartmut Schulze. En comparaison, durant la pandémie, les jeunes qui rentraient dans la vie active devaient parfois ouvrir leur ordinateur portable à la table commune de leur colocation, malgré le bruit environnant.

Il n’est donc pas étonnant que les jeunes soient attirés par l’espace mis à disposition par leur entreprise. Récemment, la plateforme d’évaluation des employeurs Glassdoor a posé cette question aux employés allemands: «Vous réjouissez-vous de retourner au bureau?» Parmi les jeunes de 18 à 24 ans, 44% ont répondu par l’affirmative, contre à peine 19% pour la tranche d’âge des 45 à 54 ans. L’enthousiasme pour le travail complet à domicile varie également selon les générations: un vieux briscard sur cinq peut s’imaginer passer à 100% au travail à distance. Chez les jeunes, ils ne sont qu’un sur dix.

Quid des mères?

Un groupe pourrait bientôt même ne plus venir au bureau: les mères. En effet, les femmes avec enfants optent plus souvent que la moyenne pour le travail à distance. Selon l’enquête mondiale «Future Forum Pulse», 57% des mères actives ne souhaitent à l’avenir se rendre au bureau que par moments, contre 48% des pères. Le fait que les femmes apprécient davantage le travail à domicile que les hommes n’est pas nouveau en soi, mais la tendance s’est accentuée avec la pandémie.

Reste qu’il n’est pas facile d’établir une équivalence entre ces deux mondes. En effet, les gens ont tendance à avoir ce que les psychologues appellent un biais de proximité: ils préfèrent les personnes qui sont physiquement proches d’eux. C’est pourquoi, par le passé, les supérieurs hiérarchiques avaient tendance à privilégier les employés de bureau lors des promotions. Pour qu’un monde du travail hybride fonctionne, il faut mettre fin à cette discrimination. Ceux qui restent à la maison ne doivent pas devenir invisibles. De nombreuses entreprises ont créé les conditions techniques pour cela, avec des plateformes comme Teams, Slack ou Beekeeper.

Il existe diverses astuces pour que les travailleurs à domicile paraissent plus présents. Les experts conseillent par exemple d’utiliser de grands écrans pour les appels vidéo et d’afficher les participants à distance non pas sous forme de petites fenêtres, mais en plein écran. Il est également important de rendre les décisions plus transparentes. Les employés de bureau ne doivent plus négocier les choses en coulisses – par exemple à la cafétéria – mais toujours impliquer tous les décideurs, où qu’ils se trouvent. En outre, toutes les décisions doivent être documentées par écrit, afin que les collègues travaillant à domicile puissent également les consulter. «Pour que le fossé entre collègues ne se creuse pas trop, il faut en outre des réunions régulières, ajoute Hartmut Schulze. Les règles à ce sujet peuvent être par exemple définies dans une charte d’équipe.»