«J’aimerais encore réduire les collections.» David Sanchez a pris la direction de Bomberg (Neuchâtel) en 2018 et n’a cessé depuis de retracer le périmètre de la marque. Côté cour: centrage sans compromis sur les produits les plus polarisants. Côté jardin: l’entreprise a (re)trouvé son équilibre financier. Avec effet immédiat: «Des bases saines pour envisager la croissance.» Une croissance sans excès, précise David Sanchez: «Nous avons du potentiel et nous allons nous développer, pas à pas, de manière organique et contrôlée.»
Reprenons depuis le début. Bomberg est créé en 2012 par Rick de La Croix. Ce dernier est une figure de la distribution horlogère en Amérique du Sud, où il a - entre autres - accompagné toute la reconstruction d’Hublot, avec Jean-Claude Biver. La créativité démange Rick de La Croix, il a envie d’une marque à lui, il mise sur une approche talking pieces, messages provocateurs et stratégie pistolero. Au plus fort, la production dépasse 20’000 pièces par an. Puis le vent retombe.
Sortie du mainstream
En 2018, David Sanchez est appelé pour une mission second souffle. Il a alors 41 ans et plus de quinze ans d’horlogerie, dont dix chez Perrelet et quatre chez Maurice Lacroix. Il connaît Bomberg, il y avait déjà fait un court passage. Il voit le problème, il agit, sans à-coups, car il ne croit pas aux révolutions, il en a fait son mantra: «Travailler de manière constante. Garder le même niveau d’effort. Ne jamais lâcher. On ne peut réussir qu’en étant déterminé, mais ça prend du temps. En horlogerie, de toute façon, tout prend du temps.»
Le temps a joué en sa faveur. Deux années Covid lui ont même permis d’accélérer la transformation. Il resserre son réseau de distribution (entre 300 et 350 points de vente dans le monde), ferme quelques marchés et relève son centre de gravité en abandonnant le segment 500-1000 francs pour ne garder que le 1000-2000 (les prix d’entrée sont à quartz, les autres mécaniques), en éliminant les produits les plus «mainstream» et en se focalisant sur les références les plus décalées. Ambiance tattoos, crânes, catcheurs mexicains, vikings zombies et CBD. Rien qui ne fasse pas mâle. La collection est ainsi passée de 150 références à une cinquantaine, et David Sanchez «aimerait encore réduire» pour arriver à une trentaine de références.
Rationalisation en cascade
Pour enfoncer le message, David Sanchez s’offre même une petite diversification dans le bijou pour mecs, crânes, vipères, revolvers, chic, choc, en argent, produits en Italie, même un kit de rasage façon catacombes, plutôt haut de gamme sur cette typologie d’accessoires (de 300 à 1500 francs). Une sorte de rationalisation dans la déraison. La version Rock de l’horlogerie suisse sur un segment de prix dominé par la montre classique. Une offre binaire «j’aime/j’aime pas», assumée et revendiquée: «Être niche à fond!»
Avec des effets positifs en cascade. Le premier effet était bien visible pendant les salons de Genève, claire et limpide: chaque montre est une signature, encore renforcée par les bijoux, et le langage de marque se comprend en un éclair. Normal, tout tient sur six plateaux, bijoux compris. L’univers est graphique, créatif, vif. On ne cherche pas la nouveauté, les motifs sont trop typés et trop pointus - tous les designs sont réalisés par une agence externe - pour que la mode puisse y planter ses griffes.
Ce souffle, inhabituellement débridé dans le Swiss made à ce niveau de prix, peut sembler radical et risqué, il est en réalité très rationnel: Bomberg ne vit que de sa capacité à se différencier, mais pour y parvenir sans quitter son segment de prix cela exige une approche très stricte de la production. Tout est donc pensé pour libérer la créativité juste là où la marque en a besoin, soit l’animation des cadrans et des boîtes. Tout tient sur trois types de boîtes (contre plus de sept auparavant), ce qui a permis de réduire les coûts de production et de renforcer la réactivité, en limitant la durée de vie des produits et en concentrant les séries entre 100 et 200 exemplaires maximum par motif.
Cette dynamique créative, couplée à la réduction du nombre de références, a permis de dégager plus de marge, de maintenir l’effort marketing - allégé lui aussi par la concentration du catalogue -, d’assurer une bonne différenciation sur les points de vente, et de soutenir les ventes, ce qui tombe très bien, David Sanchez se dit «obsédé par le sell-out». La gestion du stock n’en reste pas moins de l’épicerie fine où l’improvisation n’a pas sa place: «S’il est insuffisant, c’est une perte de chiffres. S’il est trop important, l’impact est aussi négatif.»
À quoi s’ajoutent les bijoux, qui s’avèrent un très bon complément, en termes d’assortiment chez les détaillants et de sell-out: l’activité, lancée fin 2021, représente déjà près de 20% des ventes.
Hausse du prix moyen
L’entreprise Bomberg a ainsi réussi à retrouver son seuil de rentabilité, sur une progression construite de manière organique, en réduisant le volume - la production actuelle se situe vers 6000 montres par an, quartz et automatique - et en augmentant naturellement le prix moyen en relevant l’entrée.
L’équipe (sept personnes à l’interne à Neuchâtel et huit à la filiale du Mexique) «n’est pas encore au bout de l’effort», mais «les fondations sont en place». La distribution a d’ailleurs démontré son intérêt pendant les salons de Genève, indique David Sanchez. Le Mexique, marché historique et toujours premier débouché de Bomberg - troisième marque sur son segment de prix au Mexique, derrière Mido et Rado, selon la direction - continue de se développer. Quelques nouveaux marchés devraient s’ouvrir cette année. La marque devrait en particulier reprendre pied au Japon, où elle n’est plus distribuée depuis quelques années, et aux États-Unis.
La vraie priorité, conclut David Sanchez, ce ne sont toutefois pas les ouvertures de marchés ni les fièvres de la création: «Des idées, nous en avons beaucoup. Mais je suis uniquement intéressé par l’exécution.»