«Durant toute cette année, je vis en République dominicaine avec mon épouse et nos deux filles de 9 et 1 an. En même temps, je continue à travailler pour mon entreprise qui crée des formations e-learning pour les entreprises. C’est une expérience formidable qui repose sur une discipline personnelle et une relation de confiance avec l’employeur. Le reste, c’est surtout de la technique et de l’organisation.»

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Collaborateur de l’entreprise genevoise eSkills, à Genève, Bastien* se félicite de pouvoir vivre le break dont il avait besoin après la pandémie. Directrice de la PME de huit collaborateurs, Annick Monnier Rivkine complète: «Bastien travaille avec nous depuis sept ans et j’avais très envie que nous puissions poursuivre l’aventure ensemble. La dynamique fonctionne super bien! Pour les réunions hebdomadaires par exemple, Bastien est au petit-déjeuner en visioconférence, tandis que nous prenons le lunch tous ensemble au bureau.»

Le travail à distance gagne du terrain

Aujourd’hui, l’aventure de Bastien n’a plus rien d’une exception. Car travailler à distance sur une plage paradisiaque est une opportunité qui ne cesse de gagner du terrain en Suisse. Les grandes entreprises s’y sont mises, comme AXA Winterthur. «Depuis 2020, nous offrons à notre personnel la possibilité de travailler une trentaine de jours par an depuis l’étranger. Cette délocalisation est décidée en concertation avec l’équipe et les supérieurs hiérarchiques, bien sûr», expose Joëlle Jeitler. Porte-parole de l’assureur, elle souligne: «Selon une enquête interne réalisée ce printemps, 90% de nos effectifs se disent contents de notre modèle «Smart Working» qui permet aux collaborateurs de travailler à quelque 60% de la semaine depuis leur domicile.» 

Changement d’époque. Si la flexibilité était encore récemment l’apanage des start-up, la pandémie a amené des secteurs aussi traditionnels que celui de l’assurance à moderniser leurs pratiques. Fin 2021, le géant français de la communication Publicis Groupe donnait un signal en lançant le programme «Work Your World». Ce règlement autorise les collaborateurs à travailler pendant six semaines, chaque année, depuis n’importe quelle région ou n’importe quel pays dans lequel le groupe est présent.

La flexibilité est devenue un impératif, comme le montre la dernière étude internationale sur le marché du travail «Global Talent Study» (Boston Consulting Group, The Network et JobCloud). Ainsi, l’écrasante majorité des salariés demande davantage de souplesse. Pour l’avenir, plus de la moitié des personnes interrogées en Suisse souhaitent avoir la possibilité de travailler deux ou trois jours «à distance» avec la possibilité de travailler dans un espace de coworking, dans une maison de vacances ou dans un café tranquille. «Cette adaptation augmente considérablement la motivation des collaborateurs», explique Daniel Kessler, responsable pour la Suisse du Boston Consulting Group. 

Sur le terrain, les agences de recrutement sont confrontées au quotidien à ces nouvelles exigences. «Lorsqu’une entreprise cliente vous dit qu’elle veut pourvoir un poste on-site, soit sans possibilité de télétravail, on sait que ça va être compliqué», témoigne Anthony Caffon, directeur exécutif chez Michael Page Genève. Country Manager de ManpowerGroup Suisse, Jan Jacob renchérit: «Quand on propose un poste à un candidat, la question du travail à distance pèse presque autant que le salaire. Les travailleurs d’aujourd’hui ont fait de l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée une priorité. C’est valable pour les générations Y et Z comme pour les quinquagénaires.» 

Grande souplesse de l'employeur

Dans le monde des start-up, le travail à distance s’impose comme la norme. CEO et cofondateur de la jeune pousse informatique HuggyStudio, à Berne, Daniel Abebe rapporte: «La possibilité de travailler en remote, soit uniquement à distance, est une condition fondamentale pour recruter dans notre industrie. Sur notre équipe de dix personnes, sept sont basées en Suisse et trois à l’étranger. Nous essayons de nous réunir chaque lundi au bureau, sans que ce soit coercitif. L’un d’entre nous s’est basé dans les Caraïbes durant deux mois tout en continuant à travailler.» Cet arrangement repose sur une grande souplesse de la firme. Daniel Abebe précise: «La personne garde ses papiers en Suisse, où elle reste imposée. Le séjour à l’étranger est considéré comme des vacances.»

Anthony Caffon rebondit: «Dans les grands groupes, la gestion des effectifs est bien plus complexe que dans les start-up, ce qui restreint les possibilités.» Les casse-têtes administratifs s’illustrent dans les restrictions du travail à distance pour les frontaliers français travaillant en Suisse. Leurs employeurs disposent encore d’un bref répit puisque l’accord réglant l’imposition a été reconduit jusqu’à ce mois octobre. Au chapitre des obstacles, Jan Jacob ajoute: «Le principe de l’équité de traitement entre collaborateurs fait que, du moment que les travailleurs de la production doivent se rendre sur le site, il serait injuste que le personnel de bureau soit totalement dispensé du travail en présentiel. Il faut trouver un juste milieu.» 

Mouchards informatiques 

A l’échelle nationale, un consensus se dessine autour de deux ou trois jours de télétravail par semaine, soit le modèle hybride. «Deux ans de pandémie ont rendu le modèle de la présence au bureau de 8h à midi et de 14h à 18h questionnable», décrypte Jan Jacob. Les grandes entreprises délèguent le plus souvent la gestion du télétravail à l’échelon des managers. L’ambiance de travail dépend énormément de la personnalité des cadres. Il y a ceux qui laissent la plus grande liberté possible pour ne s’intéresser qu’aux résultats et à la réalisation des projets. D’autres se disent très ouverts mais vérifient par-derrière les horaires d’activité grâce à des mouchards informatiques. Sans oublier les chefs obsédés par le micromanagement, déstabilisés dès qu’ils n’ont plus sous les yeux les collaborateurs derrière leur écran d’ordinateur. 

Le travail uniquement à distance s’impose comme un choix de vie pour ceux que l’on appelle les «digital nomads». Actifs dans la programmation informatique et les métiers créatifs, ces indépendants effectuent des mandats pour des sociétés tierces et sont payés à la prestation. Ils gèrent eux-mêmes leurs permis de séjour et leur fiscalité. Le phénomène est en plein essor. Créée en 2015 par un programmateur néerlandais, la plateforme Remoteok.com recense actuellement quelque 50 000 jobs offerts à des candidats qui vont effectuer la tâche depuis n’importe où dans le monde. 

Un entrepreneur connu de la rédaction tire les leçons de cette évolution. «Aujourd’hui, lorsqu’un collaborateur vient au bureau, c’est par choix et non par obligation. L’employé ne veut pas seulement y effectuer ses heures de travail mais vivre une expérience. Il peut s’agir d’une rencontre conviviale avec ses collègues, d’une nouvelle spécialité à la cantine ou encore d’un événement organisé par l’entreprise.» Sur un marché du travail dominé par les candidats en raison de la pénurie accrue de main-d’œuvre, c’est au tour des employeurs de séduire. Pour rester compétitif, fournir un environnement professionnel stimulant est en passe de devenir aussi important qu’autoriser le télétravail.

* Nom connu de la rédaction

Les collaborateurs refusent de revenir au bureau

A Cupertino, le CEO d’Apple Tim Cook a essuyé une levée de boucliers lorsqu’il a ordonné aux collaborateurs de revenir travailler au bureau au minimum trois jours par semaine au mois de septembre. La presse internationale relate que l’association de collaborateurs Apple Together s’oppose à cette obligation par voie de pétition. Sur la plateforme de messagerie interne utilisée par Apple, plus de 10 000 employés ont ainsi rejoint le groupe «Remote Work Advocacy». En mai dernier, Ian Goodfellow, un as de l’apprentissage automatique, a quitté Apple pour une société du groupe Google, DeepMind. Il a justifié son départ par la politique de retour au bureau d’Apple.

Quant au patron de Tesla, Elon Musk, a écrit ce printemps un e-mail musclé à ses employés: «Le travail à distance n’est plus acceptable. Ceux qui ne se présentent pas en personne ont démissionné.» A l’opposé, le service de streaming audio suédois Spotify a introduit l’année dernière une politique «Work from anywhere» favorisant la conciliation de la vie professionnelle et de la vie privée.