«L’idée de fonder notre propre marque de rhum nous est venue suite à une soirée arrosée à Lausanne, où nous fêtions avec Arnaud ma démission de mon emploi dans une banque. Comme nous avions pas mal bu, il est venu dormir à la maison. Le lendemain, je lui ai dit que c’était désormais le premier jour du reste de ma vie et qu’il me fallait trouver un projet. Pour rire, il m’a dit de racheter une rhumerie dans les Caraïbes, histoire que cela nous revienne moins cher la prochaine fois que nous voudrions célébrer un événement!
Nous étions en 2019 et, après dix ans dans le domaine bancaire, je ne me voyais pas poursuivre dans cet univers qui ne me convenait pas. J’étais surmené et en perte de motivation. J’ai donc démissionné sans rien derrière, avec femme, enfant et hypothèque. Je me suis dit que le meilleur moyen de gagner une bataille lorsqu’on débarquait sur une île, c’était de brûler les caravelles.
Nous avions tous les deux 35 ans et du temps à disposition. Il y a bien des gens qui ont lancé des marques de gin, de whisky ou de vodka en Suisse, alors pourquoi pas du rhum? C’est vrai que ce n’est pas une évidence d’en fabriquer dans nos contrées, étant donné que cet alcool provient de la canne à sucre.
Cependant, nous avons la chance d’avoir, en Suisse, un savoir-faire ancestral en matière de distillation. Voici comment nous nous sommes réparti les rôles. J’allais m’occuper des finances, du marketing et de faire venir la mélasse, qui est le sous-produit du raffinage de la canne à sucre et la matière première du rhum, par le biais d’un négociant qui en importe depuis Cuba. Arnaud, qui est ingénieur de formation et a déjà eu quelques expériences entrepreneuriales auparavant, allait pour sa part se charger des aspects plus techniques.
Nous avons trouvé un distillateur, à Féchy (VD), qui n’avait jamais non plus produit de rhum. Nous avons appris en autodidacte, en partant de zéro grâce à des livres spécialisés. L’école fédérale de Changins, à qui nous avons présenté notre projet, l’a trouvé génial et a décidé de nous accompagner en nous fournissant des conseils sur la base de son expérience en matière de vins et de fermentation.
Au départ, nous avons produit 100 bouteilles, sous le nom de «rhum de Féchy». Nous l’avons fait goûter à nos proches et les retours ont été excellents. La marque Banqero, en référence à ma carrière passée, a été lancée il y a pile trois ans. Là aussi, nous avons voulu recueillir un maximum d’informations en mettant nos designs en ligne et en faisant voter le public.
Nous produisons aujourd’hui entre 8000 et 10 000 bouteilles par an. Cela reste une activité annexe et tous nos bénéfices sont réinvestis dans l’accumulation de fûts. C’est notre plaisir et aussi notre richesse. Nous avons accumulé à ce jour plus de 7000 litres en barriques et 4000 bouteilles stockées.
Au-delà de la difficulté de se former aux techniques liées à la production de rhum, l’un des principaux challenges concerne les normes très strictes relatives au stockage et au transport de ce produit, qui est lourdement taxé et considéré comme inflammable. Nous avons par exemple dû construire un mur en briques pour condamner une porte de notre entrepôt de stockage pour des raisons de sécurité. Je me souviens m’être dit que le grand écart avec ma vie passée, où je pianotais la plupart du temps derrière un ordinateur, était total.
Les aspects liés au commerce international et aux décalages culturels sont aussi très intéressants. La mélasse vient de Cuba, les bouteilles de France, les bouchons d’Italie et les designs des étiquettes d’Inde. Heureusement, avec internet, on peut quasiment tout faire à distance. En plus, il nous aurait été impossible de voyager durant les deux années de pandémie où nous avons lancé notre marque.
Le plus important est d’être complémentaire. Arnaud est un vieil ami d’armée. Nous nous sommes connus littéralement dans la boue; du coup, nous pouvons aujourd’hui tout nous dire sans avoir peur de nous froisser mutuellement. C’est indispensable pour avancer ensemble dans un tel projet.»