Qui ne s’est jamais laissé aller à rêver de créer une entreprise avec un ami, le soir, autour d’un verre? A l’image des fondateurs de Starbucks ou de Nike, certaines rencontres amicales se développent en de formidables collaborations entrepreneuriales. «La force de ce type d’association vient de l’énergie mutuelle que la relation d’amitié pourra générer instantanément, estime Yann Steulet, directeur de l’organe Fri Up, qui accompagne les start-up dans le canton de Fribourg. Un avantage significatif au vu des nombreux défis qui attendent les partenaires, notamment les premières années.»

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

Personne de confiance, à la fois capable d’encourager et de questionner si nécessaire, un ami peut se révéler un partenaire idéal lorsqu’il s’agit de se lancer dans une telle aventure. Selon une étude de l’Université de Saint-Gall, 60% des étudiants qui souhaitent entreprendre envisagent de le faire à deux ou plus.

Pas sur le seul lien d'affection

Dans ce contexte, les collègues d’études et le cercle d’amis représentent un vivier privilégié pour le choix du futur associé. Un tel engagement ne peut toutefois reposer exclusivement sur ce seul lien d’affection, aussi fort soit-il. Savoir communiquer et oser aborder des questions épineuses – liées notamment à certains aspects juridiques et financiers – le plus tôt possible constituent ainsi des conditions nécessaires à la pérennité de l’entreprise et de la relation d’amitié.

«Il est indispensable de se questionner sur les raisons qui poussent les associés à fonder une entreprise. Qu’attendent-ils de cette aventure? Quelle est leur vision de la réussite? Se rejoignent-ils sur la façon de gérer de potentiels employés ou de négocier avec des partenaires?» poursuit Yann Steulet. Partager un même projet n’implique pas forcément de s’accorder sur la manière de le mener à bien ou de le faire évoluer. Cette clarification se révèle d’autant plus importante dans le cas où des amis s’associent, le lien d’affection pouvant générer des présupposés quant aux réactions de l’autre.

«Lors de prises de décision, nous essayons toujours de trouver des compromis, racontent ainsi Quentin Kany et Clément Perez, qui ont fondé Wepot en 2019 en parallèle de leurs études à HEC Lausanne. Parfois, le fait de devoir avancer l’emporte sur le fait de tomber à 100% d’accord. Cela peut être frustrant sur le moment. Notre force réside toutefois dans notre capacité à assumer ensemble la responsabilité de toutes nos décisions. Notre vision est très claire: s’inscrire dans une perspective d’économie circulaire et démocratiser cette technique d’irrigation qui permet d’économiser jusqu’à 70% d’eau.»

Anticiper les questions financières et juridiques

Récompensée par le Prix suisse de l’éthique 2022, la start-up est spécialisée dans la fabrication d’amphores qui permettent un arrosage écologique et économique: les ollas. Basée à Villeneuve, dans un espace de 600 m2, elle compte aujourd’hui quatre employés à temps plein et a vendu plus de 10 000 produits en 2022.

Le début d’une aventure entrepreneuriale peut être marqué par un excès de confiance. Portés par un enthousiasme débordant, les jeunes associés ne prennent souvent pas le temps d’envisager les éventuelles futures difficultés, ce qui peut se révéler risqué. «Sans devoir aller chez un notaire ou un avocat, il s’agit de fixer par écrit la vision partagée par les associés. Une convention d’associés permet aussi d’anticiper des questions financières et juridiques concernant la répartition des parts ou le départ d’un des partenaires», détaille David Narr, directeur de l’association Genilem, organisme d’aide au développement d’entreprise.

Yann Steulet ajoute: «Lorsque l’on s’entend bien, la tentation de mettre tout dans un pot commun est grande. Or il faut garder en tête que les situations particulières des associés et la vision de l’entreprise peuvent changer. Il s’agit d’anticiper ces évolutions pour rester flexible et préserver les intérêts de chacun.»

L'exemple de Docteur Gab's

Christophe Schwarb a cofondé l’étude d’avocats JSM & Partners en 2000 à Neuchâtel avec Cédric Javet, son ami rencontré sur les bancs de l’université. «Cédric et moi avons développé des liens étroits durant nos études et fonder un cabinet d’avocats ensemble était une évidence. Mais malgré l’amitié, il faut se prémunir de certaines situations pour se protéger l’un l’autre. Nous travaillons beaucoup sur la confiance mais nous avons tout de même établi quelques conventions, notamment concernant la fin de l’association. Le plus important est de les rédiger quand tout va bien. Au moment où les problèmes arrivent, il est déjà trop tard!»

Lorsqu’une entreprise démarre, les tâches sont souvent effectuées de manière indissociée par les différents partenaires. Une bonne répartition des rôles et une valorisation des compétences restent décisives pour l’évolution d’une société. Créée en 2001 par les trois amis d’enfance Gabriel Hasler, Reto Engler et David Paraskevopoulos, la brasserie Docteur Gab’s s’est véritablement professionnalisée autour des années 2010. Elle emploie aujourd’hui une quarantaine de personnes et produit 2,2 millions de litres de bière par an.

«Lorsque nous avons décidé de nous consacrer entièrement à la brasserie, il a fallu déterminer plus précisément les rôles de chacun, en ayant la maturité de reconnaître que les différents postes demandent des salaires plus ou moins élevés, en fonction des responsabilités et du marché. Cela a été un grand sujet de discussion entre nous, que nous avons réussi à aborder et à régler de manière fluide. Formaliser ces décisions dans le cadre d’un business plan peut par ailleurs sembler superflu lorsque l’amitié dure depuis si longtemps, mais ces discussions ont toutefois constitué une étape fondamentale pour Docteur Gab’s», raconte Reto.

Trouver sa place

«Qui dit détermination des rôles dit valorisation des compétences, complète David Narr, de Genilem. Il s’agit de décider les paramètres de rémunération des associés: est-ce le niveau d’études qui sera déterminant, le temps investi, ou souhaitent-ils une rémunération égale? L’important est de se mettre d’accord sur la solution la plus juste pour chacun.» 

«Des amis qui ont surmonté des difficultés auront un niveau de maturité élevé en termes de communication et d’association», remarque Yann Steulet, de Fri Up. Une collaboration réussie nécessite d’apprendre à faire la part des choses – en distinguant la relation professionnelle et amicale – pour assurer des discussions constructives, dont l’objectif reste le succès de l’entreprise. «Qu’il s’agisse d’un point stratégique ou d’un simple ressenti, nous mettons un point d’honneur à tout nous dire afin qu’aucun écart ne se creuse entre nous», souligne Quentin Kany, de Wepot.

Pauline Dantan, amie de longue date de Clément Perez, a rejoint l’équipe en 2022 en tant que troisième associée, non sans une pointe d’appréhension: «Je me demandais si j’allais réussir à trouver ma place au sein d’un duo si soudé. La transparence avec laquelle nous avons réussi à communiquer a rendu l’intégration très facile.» Clément Perez précise: «Nous avons beaucoup discuté avant l’arrivée de Pauline et avons aussi établi quelques règles de base afin que l’organisation soit la plus juste possible pour tous.»