«Aujourd’hui, tout le monde utilise des outils technologiques comme ceux offerts par Netflix ou Spotify dans sa vie quotidienne. Nous nous appuyons sur cette culture numérique pour appliquer une approche similaire à la formation en entreprise.» Jean-Marc Tassetto, ancien directeur de Google France, a cofondé Coorpacademy en 2013. Son objectif: développer la formation numérique en entreprise. Installée au Swiss EdTech Collider de l’EPFL, la société emploie 80 personnes et propose plus de 80 000 modules de cours en 31 langues et en plusieurs formats – de la vidéo aux jeux en passant par les podcasts et les formats interactifs entre participants.

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Rachetée en avril 2022 par Go1, une firme australienne leader mondiale du secteur de l’edtech, Coorpacademy compte près de 1 million d’utilisateurs répartis dans des centaines d’entreprises partout dans le monde, qui paient un abonnement en fonction des prestations choisies et du nombre d’utilisateurs. «En tant que géant bien implanté dans le monde anglo-saxon, Go1 nous ouvrira de nouvelles portes, notamment en Australie et en Amérique du Nord, se réjouit Jean-Marc Tassetto. Mais nous ne quitterons pas Lausanne pour autant.»

Selon le dernier recensement effectué en 2020 par le Swiss EdTech Collider, il y avait environ 125 start-up edtech actives en Suisse. Selon son directeur, Roman Bruegger, ce chiffre a depuis augmenté, car «le marché évolue constamment et certaines start-up ne sont pas encore inscrites au Registre du commerce». L’accélérateur regroupe près de 90 membres, dont Coorpacademy mais aussi l’entreprise neuchâteloise Kokoro Lingua, spécialisée dans l’apprentissage des langues étrangères chez les enfants de 3 à 10 ans. Sa formule, qui s’adresse aussi bien aux écoles qu’aux parents, propose des vidéos de quelques minutes où des locuteurs natifs du même âge que les élèves enseignent les bases de leur langue. Le tout est financé par des abonnements annuels, s’élevant à 129 euros pour les familles et à 149 euros pour les institutions.

La start-up, qui emploie cinq personnes à plein temps, a réussi à atteindre près de 220 000 enfants dans une soixantaine de pays et s’est même fait une place dans les écoles dans une quinzaine d’entre eux, dont la France, où Kokoro Lingua a remporté un appel d’offres du Ministère de l’éducation nationale pour l’anglais en maternelle. L’entreprise neuchâteloise organise actuellement une levée de fonds pour étendre le service à d’autres langues. «Nous aimerions notamment développer l’enseignement de l’allemand dans les classes en partenariat avec un canton romand», précise Nathalie Lesselin, la fondatrice.

Nathalie Lesselin

La start-up neuchâteloise «Kokoro Lingua» fondée par Nathalie Lesselin est spécialisée dans l’apprentissage des langues étrangères chez les enfants via des supports vidéo. Elle a réussi à atteindre près de 220'000 enfants dans une soixantaine de pays.

© Julie de Tribolet

En Suisse, la fragmentation du territoire constitue l’un des plus grands défis pour les entreprises de l’edtech. «Cela complexifie et ralentit les processus, dit Nathalie Lesselin. Pour s’implanter dans l’école publique, il faut s’adresser à 26 autorités cantonales différentes.» Au Swiss EdTech Collider, Roman Bruegger, dont les équipes mènent actuellement une phase test de deux ans pour intégrer les edtechs aux écoles publiques suisses, partage cet avis mais voit également dans cette complexité un avantage concurrentiel à long terme. «Une start-up qui parvient à s’implanter ici pourra s’exporter dans les pays voisins, d’autant plus que la réputation du système de formation helvétique représente un atout.»

Pour Kirill Pyshkin, gestionnaire de fonds senior chez Credit Suisse, «étant donné que la Suisse dispose déjà d’un système éducatif performant et accessible, le potentiel de croissance des solutions edtech est plus faible que dans les pays émergents, où l’accès est plus limité, ou qu’aux Etats-Unis, où les frais d’écolage sont souvent très élevés. L’innovation y est néanmoins toujours possible, notamment dans l’«edutainment», qui cherche à développer des processus d’enseignement par le jeu.»

A l’échelle du globe, l’edtech a connu ces dernières années un essor fulgurant, renforcé à partir de 2020 par la crise sanitaire. Près de 1,5 milliard d’élèves et d’étudiants ont vu leur établissement fermé en raison de la pandémie, estime l’Unesco, et de nombreuses entreprises ont dû mettre en place le travail à domicile, suspendant les formations en milieu professionnel. «La pandémie a complètement rebattu les cartes en ce qui concerne les outils d’e-learning. L’apprentissage par le jeu numérique suscite désormais l’intérêt des enseignants, jusque dans les milieux universitaires», note Eric Sanchez, professeur en technologies éducatives à l’Université de Genève.

La transition numérique dans l’enseignement n’en est donc qu’à ses débuts, ce qui la rend particulièrement intéressante aux yeux des investisseurs. «L’edtech n’équivaut encore qu’à 5% du secteur de l’éducation dans sa globalité, son potentiel de croissance est donc considérable», confirme Kirill Pyshkin de Credit Suisse. Les investissements en capital-risque dans les start-up edtech ont triplé entre 2019 et 2021, selon la plateforme de renseignements financiers HolonIQ. L’ensemble de la branche devrait peser quelque 400 milliards de dollars en 2025, soit 2,5 fois plus qu’en 2019.

Actuellement, le marché mondial est dominé par des géants aux modèles d’affaires variés. L’américaine Udemy met par exemple à la disposition des enseignants une plateforme pour diffuser leurs propres cours payants, puis perçoit une commission de 50% sur les recettes. Son chiffre d’affaires a dépassé les 500 millions de dollars en 2021. Autres exemples, la norvégienne Kahoot! et l’indienne Byju’s ont adopté une approche «freemium» combinant contenu gratuit et offre premium payante, pour des revenus annuels respectifs de 90 et 450 millions. En Chine, le gouvernement a fait plonger son marché interne de l’edtech en 2021 en prenant la décision de bannir les investissements étrangers pour les entreprises actives dans l’enseignement obligatoire, entraînant près de 8 milliards de dollars de pertes en capital-risque. Ce séisme semble avoir profité aux marchés européen et nord-américain, qui ont tous deux enregistré des hausses de plus de 200% cette même année.