Patronne issue de la quatrième génération à la tête de Grau Electricité à Monthey (VS), Géraldine Grau a effectué un apprentissage à 26 ans, alors qu’elle était déjà titulaire d’un bachelor en gestion de la HES-SO Sierre. «J’étais la seule fille de ma volée quand je me suis retrouvée derrière un marteau-piqueur sur les chantiers. A mon poste actuel, cette connaissance du terrain me rend plus crédible face à un client, tout en me donnant une légitimité envers les employés», témoigne la Valaisanne.
En cette période de pénurie de personnel qualifié, l’apprentissage se profile plus que jamais comme une voie accélérée vers le succès. Les conditions salariales sont rapidement intéressantes et les possibilités de formation continue permettent de viser haut. Le marché de l’emploi, quant à lui, se montre extrêmement demandeur. La formation professionnelle initiale permet en même temps un accès aux universités, aux EPF (écoles polytechniques fédérales) et aux HES (hautes écoles spécialisées), ainsi qu’aux diplômes fédéraux.
Malheureusement, cette filière s’avère souvent délaissée en faveur de la voie gymnasiale. De nombreuses places d’apprentissage ne trouvent pas preneur (voir infographie). Un fait que déplore Véronique Kämpfen, directrice de la communication à la FER (Fédération des entreprises romandes): «Les personnes au bénéfice d’un apprentissage présentent un excellent profil. Ces individus ont appris les ficelles du métier en gravissant tous les échelons.»
Vice-président de l’Union suisse des arts et métiers (Usam) sortant depuis 2022, André Berdoz affiche un parcours emblématique. «J’ai créé mon entreprise d’électricité à 28 ans, en 1985. Mon parcours a commencé par un apprentissage, puis j’ai appris le suisse-allemand en travaillant durant trois ans à Zoug. Par la suite, j’ai passé des examens fédéraux qui me permettent, depuis 2005, d’exercer comme expert auprès des tribunaux.» Cet entrepreneur vaudois, également colonel à l’armée, souligne: «Avec la formation professionnelle initiale, la Suisse jouit d’un système extraordinaire qui prépare les jeunes à une carrière d’entrepreneur et permet aussi de rejoindre la filière académique.»
- Energie solaire: des spécialistes en photovoltaïque Secteur en plein boom, l’industrie de l’énergie solaire lance deux nouvelles formations. Il s’agit de l’attestation fédérale de formation professionnelle «AFP monteur/montrice solaire», obtenue après deux ans, et du certificat fédéral de capacité «CFC installateur/installatrice solaire», effectué en trois ans. La première volée démarre à la rentrée 2024, dans les centres de formation Polybat des Paccots (FR) et d’Uzwil (SG). Actuellement, l’industrie solaire suisse compte environ 10 000 emplois à temps plein. D’ici à 2050, ce nombre devrait plus que doubler, estime l’association sectorielle Swissolar.
- Davantage de possibilités pour les apprentis de commerce A partir de la rentrée scolaire 2023, les apprentis employés de commerce auront le choix entre différentes spécialisations, dont le nombre a été augmenté à dix-neuf. L’éventail des formations va ainsi de A (pour automobile) à T (pour transport) en passant par M (pour marketing & communication) et par S (pour santé-social). Chaque année, quelque 13 000 jeunes choisissent cette voie, très populaire. Nombre d’entre eux poursuivent leur parcours pour devenir – entre autres débouchés – cheffe de vente, gestionnaire d’entreprise, responsable marketing, spécialiste RH ou encore responsable des réseaux sociaux.
- Experts en appareils techniques dans les soins Les technologues en dispositifs médicaux sont les spécialistes du traitement des dispositifs médicaux. Ces accessoires sont utilisés lors d’interventions chirurgicales, des applications diagnostiques ou dans les soins de manière générale. Les technologues nettoient et désinfectent les dispositifs, les emballent et les stérilisent en appliquant la procédure requise. Pour l’heure, les entreprises qui forment des apprentis dans cette spécialisation sont encore rares. Lors de la rentrée 2022, une dizaine de Romands ont entrepris cette formation.
«Un parcours plus riche après un apprentissage»
Expert en politique de formation, le professeur Stefan Wolter souligne les opportunités de carrière qu’offre la formation duale. Des possibilités injustement dédaignées au profit de filières académiques semées d’embûches.
Directeur du Centre suisse de coordination pour la recherche en éducation (CSRE) et professeur à l’Université de Berne, Stefan Wolter intervient comme expert auprès d’instances internationales comme l’OCDE. Pour ce spécialiste, l’apprentissage a notamment pour avantage d’éviter des échecs dans les gymnases et des années d’errance inutile dans le parcours de formation.
Le système de formation duale helvétique est régulièrement cité comme l’un des piliers de la bonne santé de l’économie suisse. Pourquoi?
La formation professionnelle duale présente des avantages qui bénéficient autant aux jeunes qu’aux entreprises. Il s’agit notamment d’une adaptation précoce des souhaits et des préférences des jeunes aux besoins de l’économie. Ce pragmatisme minimise les détours inutiles et les erreurs de parcours en formation. En outre, les connaissances pratiques transmises sont mises en application sur-le-champ. Cette immédiateté profite aux entreprises, tout en augmentant la motivation des jeunes professionnels à se former au mieux.
En même temps, la socialisation au sein de l’entreprise pendant la formation favorise les compétences sociales chez les jeunes. Celles-ci sont d’une importance décisive pour la suite de leur parcours professionnel. Enfin, et c’est un point important, certaines études empiriques montrent que le transfert des nouvelles technologies est plus rapide lorsque les PME dispensent des formations par apprentissage car les jeunes peuvent être formés tout de suite aux nouveautés.
Les chiffres montrent cependant que l’apprentissage perd de son attrait auprès des jeunes. Il est de plus en plus difficile pour les entreprises de trouver des apprentis. Quelles sont les raisons de ce désintérêt?
Au cours des vingt dernières années, la part des jeunes qui commencent un apprentissage a effectivement baissé de quelques points de pourcentage. De manière générale, on constate qu’à l’exception du canton de Genève (où le taux d’apprentissage est traditionnellement le plus bas de Suisse), la formation professionnelle duale a reculé jusqu’à la crise du covid, surtout dans les cantons où elle était déjà moins répandue avant l’an 2000. Cependant, l’intérêt des jeunes n’a pas baissé. Si les entreprises ont du mal à pourvoir ces places, c’est surtout pour des raisons démographiques et conjoncturelles. D’abord, les baby-boomers sont en train de partir à la retraite, alors que les jeunes au terme de leur scolarité sont beaucoup moins nombreux. Ensuite, la conjoncture s’est maintenue à un niveau élevé et bien meilleur que prévu en dépit du covid. La demande en main-d’œuvre est ainsi restée très vive.
Existe-t-il sur le marché du travail des situations dans lesquelles les titulaires d’un CFC sont favorisés par rapport aux universitaires?
Pour répondre à cette question, il faut comparer des situations comparables et donc des formations de longueur équivalente. Dans ce sens, la voie académique suivie dans les universités et les EPF (écoles polytechniques fédérales) a pour pendant la filière des hautes écoles spécialisées (HES), à laquelle on accède après un CFC, suivi d’une maturité professionnelle. Parmi les secteurs qui se prêtent à la comparaison, il y a l’économie d’entreprise, l’architecture et l’ingénierie. Dans ce contexte, les profils HES intéressent les entreprises qui privilégient l’expérience acquise. Ces professionnels se distinguent par leur capacité à mettre immédiatement en application leurs connaissances, par rapport à une formation théorique plus approfondie du côté des universitaires.
Quelles sont les possibilités d’évolution de carrière pour les titulaires d’un CFC?
L’accès à la formation tertiaire leur est ouvert. Une possibilité très sollicitée. Les jeunes sont nombreux à faire un apprentissage puis une maturité professionnelle afin d’entrer dans une HES. Ils peuvent aussi aller à l’université ou rejoindre une EPF après avoir effectué une passerelle. En termes de formation et d’expérience, ces profils sont souvent mieux pourvus que d’autres à l’âge de 25 ans.
«En Suisse romande, il existe aussi le préjugé que la formation professionnelle est réservée aux populations les plus défavorisées.»
Qu’entendez-vous par là?
Pour les personnes qui montrent des capacités scolaires satisfaisantes mais pas exceptionnelles, le passage au gymnase comporte de nombreux risques. Le taux d’échec à ce niveau s’avère élevé. Les jeunes qui échouent dans cette voie ont entre 16 et 20 ans. Ils se retrouvent sans perspective d’avenir, alors qu’ils doivent construire leur projet professionnel. Ensuite, sur la population qui va à l’université, plus d’un quart des étudiants connaissent un échec. Il s’agit en général de ceux qui sont moyennement doués ou peu motivés. En comparaison, les jeunes qui commencent leur carrière par un apprentissage terminé avec succès évitent souvent des expériences négatives, ainsi que des interruptions dans la formation. Ceux-ci conservent intacte leur motivation pour des engagements ultérieurs dans la formation.
La pression pour suivre une formation gymnasiale est très forte en Suisse romande, où seulement moins de 20% des élèves optent pour un apprentissage. En Suisse alémanique, ils sont entre 60 et 70%. Comment expliquer cette différence?
Cette différence restera sans doute toujours en partie inexpliquée. Cependant, il y a des raisons culturelles et historiques à cela. Dans l’espace germanophone, il y a des corporations de métiers depuis le XVIe siècle, ce qui n’est pas le cas dans les contrées francophones. En Suisse romande, il existe aussi le préjugé que la formation professionnelle est réservée aux populations les plus défavorisées. Dans les régions rurales alémaniques, l’apprentissage a, au contraire, longtemps passé pour une activité prestigieuse. Par conséquent, l’accès au gymnase est moins restrictif dans les cantons latins, ce qui perpétue le décalage de part et d’autre de la Sarine.
Comment peut-on, selon vous, valoriser l’apprentissage et attirer davantage de jeunes vers ce type de formation?
Le message le plus important à transmettre est que, après l’école obligatoire, l’apprentissage n’est que le début d’un parcours de formation. Si le talent et la motivation sont là, on a accès aux mêmes possibilités de formation qu’en passant par un gymnase. La différence est qu’à l’âge de 18 ans, on a déjà un métier. Si une personne titulaire d’un CFC veut aller à l’université, elle peut déjà gagner de l’argent pendant ses études. Et une fois le master en poche, le diplômé affichera, en plus d’une formation tertiaire, plusieurs années d’expérience professionnelle pertinente.
La Suisse est actuellement en situation de plein-emploi, avec un taux de chômage au plancher. La pénurie de main-d’œuvre se traduit en chiffres par plus de 253 000 places de travail vacantes à fin 2022. Des données livrées par la société x28, leader en matière de données sur le marché du travail. Le nombre de postes à pourvoir a augmenté d’environ 45,7% entre 2020 et 2022. Cette explosion s’explique par un effet de rattrapage lié à la fin de la pandémie.
Coup de projecteur sur quatre secteurs qui recrutent
L'informatique et la technique
La pénurie de personnel est énorme dans ce secteur alors que les besoins en spécialistes continuent à augmenter.
D’ici à 2030, il manquera en Suisse près de 40 000 spécialistes TIC (technologies de l’information et de la communication), d’après les dernières estimations. Selon Digitalswitzerland, la pénurie d’informaticiens va coûter 31 milliards de francs à l’économie suisse d’ici sept ans. Porte-parole de Swico, l’association professionnelle des TIC, Franziska Vonaesch pointe: «L’informatique est l’un des métiers les plus appréciés des jeunes. Ce qui manque, ce sont les places d’apprentissage. Le défi consiste actuellement à convaincre les entreprises de former davantage d’apprentis. Et bien sûr aussi à attirer plus de filles vers les métiers des TIC.»
La compétitivité helvétique dépendra de la capacité à offrir des conditions-cadres adaptées. La nouvelle génération est très sensible à un rapport équilibré entre vie privée et vie professionnelle. L’industrie doit prendre ce facteur en compte en donnant, par exemple, la possibilité de travailler à temps partiel et de concilier travail et famille ou travail et formation. Pour surmonter le manque de main-d’œuvre qualifiée, la seule alternative est de recourir à des spécialistes formés ailleurs. Les entreprises n’ont pas d’autres possibilités que de recruter du personnel étranger ou d’employer des forces en dehors de nos frontières, en délocalisant des activités.
Hôtellerie et gastronomie
La branche passe par une prise de conscience concernant son manque d’attractivité auprès des jeunes.
Alors qu’après la crise du covid, les activités tournent de nouveau à plein régime, l’hôtellerie-gastronomie dénombre plus de 10 000 postes vacants. Ces professions n’attirent plus les jeunes, tandis que nombre de professionnels se sont reconvertis dans d’autres métiers lors des périodes de fermeture entraînées par la pandémie. La branche passe par une prise de conscience concernant son manque d’attractivité, confortée notamment par une enquête menée pour l’association faîtière GastroSuisse par la HES-SO Valais. Le patronat reconnaît que les horaires de travail difficiles et irréguliers, de même que la charge mentale et physique liée à ces professions expliquent en grande partie cette désaffection.
Pour remédier à la situation, GastroSuisse a élaboré, en 2022, un vigoureux plan d’action. Ce programme vise à faire la promotion de l’image du secteur afin d’assurer la relève professionnelle. L’hôtellerie-restauration souhaite aussi attirer des personnes qui changent d’orientation professionnelle dans leur parcours. Ce domaine connu pour sa dureté envers les collaborateurs et ses bas salaires veut faire évoluer les pratiques. GastroSuisse entend déployer une formation ciblée des entrepreneurs sur les thèmes de la gestion du personnel et de l’estime, tout en améliorant les conditions d’embauche.
Hôtellerie et gastronomie
La branche passe par une prise de conscience concernant son manque d’attractivité auprès des jeunes.
Alors qu’après la crise du covid, les activités tournent de nouveau à plein régime, l’hôtellerie-gastronomie dénombre plus de 10 000 postes vacants. Ces professions n’attirent plus les jeunes, tandis que nombre de professionnels se sont reconvertis dans d’autres métiers lors des périodes de fermeture entraînées par la pandémie. La branche passe par une prise de conscience concernant son manque d’attractivité, confortée notamment par une enquête menée pour l’association faîtière GastroSuisse par la HES-SO Valais. Le patronat reconnaît que les horaires de travail difficiles et irréguliers, de même que la charge mentale et physique liée à ces professions expliquent en grande partie cette désaffection.
Pour remédier à la situation, GastroSuisse a élaboré, en 2022, un vigoureux plan d’action. Ce programme vise à faire la promotion de l’image du secteur afin d’assurer la relève professionnelle. L’hôtellerie-restauration souhaite aussi attirer des personnes qui changent d’orientation professionnelle dans leur parcours. Ce domaine connu pour sa dureté envers les collaborateurs et ses bas salaires veut faire évoluer les pratiques. GastroSuisse entend déployer une formation ciblée des entrepreneurs sur les thèmes de la gestion du personnel et de l’estime, tout en améliorant les conditions d’embauche.
Construction et bâtiment
Injustement délaissé, ce domaine forme des spécialistes très recherchés et promet de très bonnes rémunérations.
A l’été 2022, quelque 7000 postes étaient à pourvoir dans le secteur de la construction. La pénurie de main-d’œuvre touche tous les métiers de la branche (couvreur, chauffagiste, électricien, menuisier), entraînant des retards, voire des annulations de nouveaux projets de construction, ainsi qu’une augmentation des coûts. A lui seul, le segment du photovoltaïque représente environ 5500 emplois. Il faudra pratiquement le double de main-d’œuvre d’ici trois ans. Prévue à large échelle afin d’atteindre la neutralité carbone, la rénovation des bâtiments représente un défi majeur pour le pays.
«Les métiers de la construction ont évolué. On utilise aujourd’hui moins la truelle que des accessoires techniques tels que des drones et des tablettes numériques. Cela augmente bien évidemment l’attractivité de la branche auprès des jeunes», constate Pascal Gysel. Le porte-parole auprès du siège romand de la Société suisse des entrepreneurs (SSE) souligne que, contrairement aux idées reçues, la construction s’affirme comme un secteur où l’on gagne bien sa vie. Toutes les classes de travailleurs ont bénéficié d’une hausse des salaires en 2022. Le revenu moyen des travailleurs s’établit à 6200 francs par mois, soit plus de 80 500 francs par année. Un contremaître touche près de 8000 francs brut par mois.
Santé et soins
Le secteur de la santé, fragilisé par la pandémie de Covid-19, voit chaque mois des centaines de soignants quitter leur emploi.
La pénibilité des métiers dans le domaine des soins n’est plus à démontrer. Chaque mois, quelque 300 soignantes et soignants quittent leur emploi en Suisse. Fin 2022, l’indice Jobradar de la firme zurichoise x28 dénombrait 13 255 postes vacants en Suisse dans ce secteur, soit près d’un millier de plus qu’une année auparavant. Les prévisions indiquent que d’ici à 2029 les maisons de retraite et les établissements médico-sociaux auront besoin de 26% de personnel en plus, et les services d’aide et de soins à domicile, de 19%.
Concernant plus précisément la profession d’infirmiers et infirmières, le nombre de diplômes délivrés en 2019 par la HES-SO (Haute Ecole spécialisée de Suisse occidentale) ne couvre que 43% des besoins annuels estimés à l’horizon 2029, indique Laurence Robatto, responsable du domaine santé. Celle-ci souligne que la mise en œuvre de l’initiative «Pour des soins infirmiers forts» a mis en lumière l’importance de cette profession mais aussi les difficultés qu’elle rencontre. Pour répondre aux besoins, la branche souhaite aussi séduire des personnes au bénéfice d’un premier parcours professionnel qui souhaitent se réorienter. Laurence Robatto prolonge: «Notre mission est d’adapter et de flexibiliser nos parcours de formation pour intégrer ces différents profils d’étudiants.»
Un quart des apprentis ont interrompu leur formation en cours de route parmi ceux qui ont débuté leur cursus en 2017. C’est ce que montrent des chiffres publiés fin novembre par l’OFS, à partir d’un échantillon de près de 60 000 personnes (en entreprise ou en école à plein temps). Les résiliations de contrat ont été signées par 24 000 d’entre elles, soit une proportion de 23,5%, du jamais-vu. Uri est le canton le moins concerné avec un taux de 13%, tandis que Neuchâtel et le Valais affichent des taux supérieurs à 30%. Genève détient le record helvétique, avec 38%.
Des salaires dopés par les diplômes
A la condition de compléter leur formation, les titulaires d’un CFC accèdent à des rémunérations comparables à celles des universitaires.
La condition pour accéder à des rémunérations intéressantes à partir d’un CFC, ce sont les diplômes obtenus dans le sillage du certificat. «Parfois, les rémunérations sont même plus élevées, du fait de leur expérience professionnelle plus longue et de leur connaissance du terrain», atteste Véronique Kämpfen, directrice de la communication à la FER (Fédération des entreprises romandes).
Prenons un jeune individu, que nous appellerons Marc, au bénéfice d’un CFC d’électronicien. Une fois sa maturité professionnelle en poche, Marc rejoint une HES ou une université (après un examen de passerelle). En obtenant un bachelor et un master, Marc pourra être embauché comme ingénieur dans le domaine du développement durable ou de la transition énergétique.
L’Office fédéral de la statistique (OFS) indique que, dix-huit mois après l’obtention d’un titre de niveau tertiaire (HES, université, certificat fédéral), les revenus les plus élevés s’obtiennent dans les domaines «technologies de l’information et de la communication» (6310 francs) et «personnel soignant» (6060 francs). Il s’agit de secteurs qui connaissent une intense pénurie de main-d’œuvre. Six ans après l’obtention d’un titre de la formation professionnelle supérieure, la rémunération a fait un bond significatif. Le revenu médian s’élève alors à environ 7800 francs brut par mois pour un poste à plein temps. Par rapport aux 5300 francs touchés cinq ans avant l’obtention du titre, il s’agit d’une hausse de 46%.
Au sein de la formation professionnelle supérieure, les titulaires d’un diplôme fédéral (DF) touchent le revenu le plus élevé, devant les bénéficiaires d’un brevet fédéral (BF) ou d’un diplôme d’une école supérieure (ES). Les salaires mensuels bruts s’échelonnent à respectivement 10 100, 7800 et 7500 francs, selon l’OFS.
«Dans les secteurs où règne une forte demande, comme les métiers techniques, les salaires montent rapidement», complète Véronique Kämpfen. Une déclaration qui se vérifie dans les chiffres. Ce principe s’applique aussi aux salaires versés lors de l’apprentissage, qui varient beaucoup d’un métier à l’autre.
De manière générale, le salaire mensuel s’établit entre 600 et 900 francs pour les apprentis de première année et franchit le seuil des 1000 francs lors de la troisième année, d’après les normes indicatives vaudoises. Les mieux lotis sont différents spécialistes dans le domaine de la construction (2300 francs en troisième année), suivis par les professionnels en technologies médicales et les horlogers (1400 francs dans les deux cas).
Pour permettre à chacun de se faire une idée sur les perspectives de rémunérations, la Confédération met à disposition une plateforme où, à titre indicatif, il est possible de calculer le salaire médian pour un emploi spécifique.
D’apprenti à directeur, ils ont grimpé les échelons
L’apprentissage reste une force du système suisse, et de nombreux titulaires d’un CFC ont accédé à des fonctions dirigeantes, y compris au sein de multinationales. Rencontres avec Romain Vetter, Christian Brunier et Monika Walser, ces apprentis qui ont pris l’ascenseur professionnel.
«Le CFC, je considère que c’est une école de vie. Cela nous donne de vrais exemples de professionnels qui sont sur le terrain, qui ont une expertise dans leur domaine et une envie de partager ce qu’ils savent.» En 2001, à Genève, Romain Vetter s’oriente vers un apprentissage d’employé de commerce, sur le conseil de ses parents. Il commence sa carrière auprès de l’assurance privée Elvia, qui sera rachetée cette année-là par Allianz Suisse. «C’était une époque où il y avait déjà très peu de places d’apprentissage. J’ai eu beaucoup de chance d’en trouver une.»
Son CFC en poche, il s’envole pour les Etats-Unis, se lance dans un bachelor en business administration puis travaille quelques années dans l’e-commerce et le développement de sites internet. De retour en Suisse, il accumule de l’expérience et fait habilement jouer son réseau. En 2021, il devient le directeur romand de la compagnie aérienne Swiss.
En 1979, Christian Brunier, alors âgé de 16 ans, est en passe de terminer l’école obligatoire. Plutôt bon élève, féru de musique, il envisage une filière de CFC. «Je m’ennuyais à l’école et je voulais au plus vite être indépendant financièrement pour pouvoir faire ce que j’aimais pendant mon temps libre.» Il se décide pour une formation d’employé de commerce et, après avoir passé des tests dans plusieurs entreprises, l’Etat de Genève et les Services industriels genevois (SIG) sont prêts à l’engager. Il choisit la seconde institution et en 2015, sans jamais l’avoir quittée, il en devient le directeur général.
A Klingnau (AG), Monika Walser dirige la manufacture de meubles en cuir De Sede et ses 110 employés depuis 2014, après avoir tenu les rênes de l’entreprise de sacs upcyclés Freitag et assuré des fonctions dirigeantes au sein de l’opérateur Sunrise. Sa carrière a commencé par un apprentissage de couturière en haute couture, qu’elle obtient en 1985. «Sans ce CFC, je ne serais pas devenue la CEO de De Sede, ni la personne que je suis aujourd’hui. Lorsque l’on dirige une usine, il faut avoir une compréhension et une connaissance approfondies du métier. Mon apprentissage de l’époque reste précieux à cet égard.»
Etre apprenti aux SIG consiste à faire des stages de trois à six mois dans les différents départements. Fort de cet aperçu, Christian Brunier décide à l’issue de son apprentissage de rejoindre le service informatique, prêt à l’engager, tout comme l’économat. Il commence par assurer des tâches de programmation avant de se profiler sur la gestion de projets. «A l’époque, les entreprises s’informatisaient et je me disais qu’il fallait en profiter pour réformer les processus. J’en ai fait part au responsable de l’époque, qui trouvait que c’était «un peu gonflé» et qu’il fallait seulement «continuer à faire de l’informatique». Mais le directeur général, qui venait d’arriver, a eu vent de mes idées et m’a engagé comme responsable de la conduite du changement de l’entreprise.»
Christian Brunier réalise qu’il est le seul détenteur d’un poste à responsabilités à ne pas être universitaire, et décide de compléter ses connaissances par un MBA à l’ESM, Ecole de management et de communication à Genève. «Sans ce titre, je ne pense pas que j’aurais pu postuler comme directeur général.»
L’audace et la force de proposition représentent certainement deux qualités qu’il faut avoir pour gravir les échelons de la hiérarchie. Mais ce ne sont pas les seules. Autonomie, travail acharné et curiosité sont aux yeux de Monika Walser ce qui lui a permis d’effectuer le parcours qui a été le sien. «Je suis responsable dans tous mes processus de pensées, d’actions et de réactions chez De Sede. Je veux rester authentique et alerte afin de ne jamais perdre de vue la vision d’ensemble, de ne pas négliger les petits détails qui comptent.»
Romain Vetter (Swiss), lui, n’avait pas particulièrement envisagé d’accéder à une fonction de directeur. «Je me donne des objectifs, bien sûr, et j’aime apprendre, mais je prends les expériences comme elles viennent.» Avec un bachelor complété d’un MBA dix ans plus tard, il se rappelle aujourd’hui avec amusement qu’on lui disait plus jeune que les études, ce n’était pas pour lui.
«Je me souviens d’individus exceptionnels, à l’image de ce chef de service chez Allianz qui passait des samedis entiers à nous aider à réviser avant les examens finaux. C’est quelque chose que j’essaie d’appliquer maintenant: aider les collègues à se développer.» Au siège romand de Swiss à Genève, on compte un apprenti par année, pour un total d’environ 300 employés. Un chiffre plutôt modeste, qui s’explique selon son directeur par les contraintes, notamment administratives, toujours plus importantes qui sont demandées aux entreprises formatrices.
«On est passé d’une absence à un surplus de réglementation. Par le passé, certains jeunes ont vécu un apprentissage difficile, avec des tâches inintéressantes parce que peu de règles existaient. L’évolution actuelle est ainsi positive, mais il ne faudrait pas non plus que les exigences deviennent disproportionnées.»
Les SIG engagent aujourd’hui entre 65 et 70 apprentis par année, sur un total de 1600 employés. L’objectif est de passer à 80. Et l’entreprise tient à n’engager en première année d’apprentissage que des jeunes de moins de 17 ans, pour combler le fait que la plupart des entreprises favorisent les apprentis plus âgés, jugés plus matures. «Ils le sont peut-être effectivement, mais la tendance que le système scolaire a de pousser les élèves à faire des études n’est pas une très bonne chose. Certains ne sont pas faits pour ça, ils suivent une année ou deux de collège ou d’école de commerce et vivent un échec, ce qui est dévalorisant», estime Christian Brunier.
Chez De Sede, on engage aussi régulièrement des apprentis, que ce soit pour des postes manuels ou de vente. La CEO Monika Walser reconnaît qu’il est difficile de trouver les candidats adéquats, mais observe néanmoins que beaucoup de jeunes prennent plaisir à apprendre un métier. «Je ne pense pas que l’apprentissage soit moins apprécié que par le passé; les jeunes concernés sont conscients qu’il ne s’agit que du début et d’une des nombreuses étapes de leur découverte du monde de l’entreprise. Prendre une décision sur leur propre avenir exige beaucoup de courage, ils doivent se surpasser. Le succès n’est que la suite logique.»
Cinq ans après l’obtention de leur certificat, près de la moitié des titulaires d’un CFC exercent une profession différente de celle qu’ils ont apprise. Ce fait est la conséquence d’un monde professionnel où les profils changent constamment, tout comme les exigences ou les dénominations de métier. Le site Orientation.ch souligne que la formation continue ou un perfectionnement permettent d’envisager de nouveaux secteurs professionnels, de même que d’assumer de nouvelles fonctions et responsabilités au sein de l’entreprise.
Comme les étudiants des universités, les jeunes en apprentissage ont la possibilité d’effectuer une partie de leur formation à l’étranger.
Ces possibilités sont encore méconnues car elles n’existent que depuis une dizaine d’années. Comme les étudiants du système universitaire, les apprentis peuvent effectuer une partie de leur formation à l’étranger. En 2022, quelque 1900 jeunes ont eu recours à ce programme offrant des subventions. «Sur quatre ans, les chiffres ont été en constante augmentation, jusqu’à atteindre près de 2000 participants en 2020, avant la parenthèse du covid», rapporte Audrey Fasnacht, porte-parole de Movetia, l’agence nationale chargée de la promotion des échanges de la mobilité.
«Parmi les candidats au départ, beaucoup sont employés de commerce, informaticiens ou graphistes. Mais il y a aussi des fleuristes, des assistants sociaux ou des cuisiniers», détaille Audrey Fasnacht. La condition préalable: il faut trouver un employeur à l’étranger prêt à accueillir l’apprenti en entreprise et à le former, car il est exclu que le jeune redouble son année à son retour.
De tels programmes sont plus faciles à mettre sur pied dans les grandes entreprises que dans les PME, où se priver du travail d’un collaborateur en formation représente un grand sacrifice. «Par conséquent, de plus en plus de jeunes choisissent de réaliser un stage à l’issue de leur formation», témoigne Pierre Fantys. Responsable de ce dossier auprès du canton de Vaud, il présente une autre formule: «Dans le cadre du projet Apprentissage + One, les écoles de commerce vaudoises proposent une année de stage, avec suspension de la formation, à raison de deux stages d’un semestre, l’un en Irlande, l’autre en Allemagne. Une vingtaine d’apprentis ont déjà adhéré à ce programme.»
L’impact positif d’une telle expérience est probant. «A compétences égales, un candidat qui affiche un séjour à l’étranger durant sa formation l’emportera lorsqu’il faudra décrocher un job», développe Audrey Fasnacht. La mobilité renforce des soft skills comme la facilité à communiquer, l’autonomie et la confiance en soi. Ce qui s’ajoute aux compétences acquises dans une langue étrangère.
En 2022, la Confédération a en outre créé un programme d’échanges nationaux dans la formation professionnelle (NABB) selon les mêmes principes, mais à l’intérieur des frontières. Les jeunes sont invités à franchir le mur linguistique de la Sarine pour leur échange. Ces possibilités s’adressent aux diplômés, qui peuvent y participer durant les douze mois qui suivent la fin de leur formation.
La Suisse a pour stratégie d’encourager la mobilité de manière à atteindre les objectifs du processus de Bologne, soit un taux de 20% de mobilité. Dans les hautes écoles, cette proportion n’atteint que 15% des étudiants. Les jeunes en formation professionnelle sont aussi concernés. C’est pourquoi Movetia fait actuellement sur les réseaux sociaux une campagne nommée Learning by Going, afin de toucher directement les apprenties et les apprentis.
Plus sur movetia.ch
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