«Télétravail oblige, in pyjama désormais we trust. Ou plutôt in training. Le survêtement est devenu le basique de notre garde-robe, intérieure mais aussi extérieure. J’observais l’autre jour sur mon scooter la sortie d’une école post-secondaire, 80% des élèves étaient en training, baskets, hoodie à capuche oversize, écouteurs, une armée de clones voûtés, parce qu’ils sont sur leur portable. Je me suis souvenue que j’interdisais à mes enfants d’aller en survêt à l’école: «Nan, c’est pour le sport.» Mais je me suis souvenue aussi qu’en 1978 j’y allais, moi, en pantalon vinyle rouge, épingles à nourrice dans les oreilles, mini-crête devant et cheveux longs derrière (post-punk) et ma mère, effarée, disait: «J’espère que c’est pas pour aller dans la rue?»
Le dress code est un vaste sujet. Et chaque époque se pose de nouvelles questions. Mon père allait au «bureau» en tenue d’assureur, pantalon à carreaux genre golfeur (une horreur), chemise bleu clair à col blanc (une autre horreur) et cravate, sinon ça ne faisait pas sérieux. Moi, j’ai eu la chance d’évoluer dans un univers où on peut s’habiller plus ou moins comme on veut. Bon, quand j’étais jeune et bien foutue (il y a donc un million d’années) et que je suis venue en short à la rédaction, j’ai entendu de la part d’un collègue quinquagénaire: «Alors, pas trop froid au minou?» J’ai répondu un truc du style «Non, c’est toujours chaud par là, mais pas pour toi», ça nous a bien fait rire et hop, sexisme ordinaire réglé. Aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi, mais j’ai l’impression que ça ferait moins rire. Autre époque.
J’ai réalisé que, jusqu’à récemment, je n’avais jamais vécu avec un mec en costume. Et puis grâce au monde merveilleux des algorithmes, je suis entrée en contact avec un monsieur travaillant «dans l’immobilier». Donc, un jour, je me suis retrouvée avec lui chez un tailleur. C’était comme si on m’avait envoyée sur Jupiter. Des vêtements tous pareils… En fait, non, la subtilité porte sur un revers, sur la longueur d’une manche, le tomber du pantalon, la carrure des épaules. Et les prix! Je tournais les étiquettes: «Ah, quand même.» D’autant plus qu’il faut de toute façon retoucher, ce que l’on paie en plus, of course.
Question costume, je n’ai pas été déçue cette année, car mon fils adoré et étudiant a fait un stage dans une prestigieuse banque privée. Devinez qui s’est coltiné l’achat de tenues correspondant au code vestimentaire exigé? Mmmh? «Alors, H&M ou Zara, ça irait pas?» ai-je osé. «Tu plaisantes, j’espère», m’a-t-il répondu. Euh, je plaisantais à moitié seulement. OK, OK, OK, va pour une marque un peu plus chic. Deux costumes, avec les retouches, plus les cravates, les chemises (j’ai pris «easy iron», faut pas déconner non plus). Et les chaussures! Oui, j’avais zappé le fait qu’avec ses baskets, même blanches, ça ne serait pas possible. Et donc deux paires de chaussures avec les embauchoirs. Jamais je n’aurais imaginé que d’abord je saurais ce qu’est un embauchoir, et ensuite que je payerais pour ça et enfin que je les mettrais scrupuleusement dans ses chaussures. A chaque passage en caisse, j’ai tendu la carte sans regarder, mais disons qu’on est proche du budget de la NASA, pour rester dans l’expédition sur Jupiter.
Ce qui est difficile, c’est de s’adapter, car on ne s’habille pas à la banque comme dans une start-up, à l’école comme à la plage, à un repas de famille comme en boîte. MAIS on peut (on doit?) rester dans sa personnalité ET dans un certain confort. Vous vous souvenez par exemple du chaud débat: short ou pas short au boulot? Suivi de: tongs ou pas tongs? Perso, je ne suis pas contre, mais pédicure obligatoire, s’il vous plaît. Eh bien, il y a du nouveau. Jupe ou pas jupe? Je parle des hommes. Toutes les entreprises revendiquent l’inclusivité, n’est-ce pas. Alors de quel droit interdirait-on à un homme ou à un trans de venir en jupe? Avec un chignon? Des ongles peints? Des talons? Ce serait de la discrimination, objectivement. Il va falloir adapter le dress code comme on adapte le langage, mes amis, mes amies, mes amix. Franchement, j’adorerais voir les mollets velus de mon conseiller en prévoyance financière dans les salons feutrés du Credit Suisse – ou ce qu’il en reste. Ces rendez-vous seraient bien plus marrants.»