«Les entreprises nous contactent souvent lorsque plusieurs employés sont déjà blessés ou malades, ce qui est trop tard», constate Barbara Schindler, coprésidente de la Société suisse de médecine du travail (SSMT). Selon elle, investir dans la santé des collaborateurs permet un retour sur investissement d’un facteur trois à cinq. Basée à Lengnau (BE), la SSMT compte environ 300 membres.
Une absence coûte en Suisse en moyenne entre 600 et 1000 francs par jour. Il n’existe pas de chiffres officiels sur leur nombre total en Suisse. Toutefois, selon Barbara Schindler, les médecins du travail sont moins nombreux chez nous que dans d’autres pays européens, essentiellement en raison d’un cadre légal moins strict. D’autres professionnels, notamment les spécialistes de la sécurité au travail, peuvent par ailleurs effectuer des tâches similaires.
Analyse multifactorielle
En quoi consiste leur quotidien? La plupart exercent en tant que free-lance ou sur la base d’un contrat avec une société. «La première étape consiste à analyser l’organisation de l’entreprise», explique Barbara Schindler. Dans un premier temps, il s’agit de parler avec le responsable et les managers, d’observer à travers des visites les structures et les différentes activités.
Le diagnostic ne sera pas le même si l’employé exerce, par exemple, un travail de production à l’usine, de bureau ou d’entreposage. Il faudra ensuite réaliser une évaluation spécifique des risques, si besoin avec des chimistes ou des spécialistes en ergonomie. Si l’entreprise compte beaucoup d’employés de plus de 40 ans, on pourra, par exemple, faire des tests de vision, ajouter des lumières ou recommander le port de lunettes, mais aussi ajuster les bureaux ou l’environnement, pour éviter des maux de tête ou des douleurs aux articulations.
Dans un garage, une scierie ou un atelier de métallurgie, il s’agira de vérifier le niveau de saleté, de poids ou de dangerosité des matériaux, outils et produits utilisés. Le médecin du travail pourra recommander des habits, des gants ou des lunettes de protection appropriés. En fonction des risques déterminés et du type d’activité, il pourra aussi préconiser des programmes d’activité physique spécifiques. En outre, si un employé est confronté à un problème de santé, il pourra s’adresser au médecin, qui sera en mesure de lui prescrire une restriction de travail ou un traitement adéquat.
La plupart de ces professionnels disposent d’une deuxième spécialisation. Celle en médecine du travail demande une formation professionnelle de cinq ans. Leur tâche peut consister à coacher en entreprise les managers sur leur manière d’interagir avec leurs équipes. Celle-ci pouvant parfois être rude, par exemple dans les métiers de la construction, ce qui peut occasionner des problèmes psychologiques.
Multiplication de difficultés due à des nouvelles formes de travail
Avec les nouvelles formes de travail (home office, cumul d’emplois, nomadisme digital), observe-t-on une augmentation des problèmes liés à la santé au sein des entreprises suisses? «Nous ne constatons pas l’apparition de nouvelles formes, mais plutôt une multiplication de difficultés que nous connaissions déjà auparavant», répond Barbara Schindler.
Au début de la pandémie, par exemple, tout le monde s’est mis à travailler directement sur son laptop, parfois sur la table de la cuisine, ce qui a favorisé l’apparition de douleurs aux yeux, aux doigts, au dos, ainsi que des maux de tête. Les soucis liés à une mauvaise alimentation, ainsi qu’à une répartition plus floue entre vie professionnelle et privée, ont également eu tendance à prendre de l’ampleur.
En ce qui concerne l’aggravation du stress ou l’isolation sociale, il est difficile d’établir des généralités. Selon la spécialiste, cela dépend de la personne et du type d’activité. Par exemple, s’ils doivent se concentrer sur une tâche, beaucoup d’employés préfèrent travailler à la maison plutôt qu’en open space, où l’agitation ambiante peut augmenter la sensation de stress.
Des réponses protéiformes
Les réponses des employeurs en ce qui concerne la santé de leurs employés sont multiples. Selon le médecin du travail Frédéric Zysset, en Suisse romande, mis à part quelques multinationales et grandes entreprises nationales, les médecins du travail sont essentiellement sollicités par certains services cantonaux, les hôpitaux et d’autres structures médicosociales. «Les PME ne recourent guère aux médecins du travail, mis à part parfois pour certaines prestations ciblées qui leur sont imposées par la loi sur le travail, comme les examens pour travail de nuit ou les évaluations des risques liés à la grossesse.»
Labellisée Friendly Work Space par Promotion Santé Suisse, la Loterie Romande, par exemple, ne dispose pas de médecin d’entreprise dans ses locaux, «en raison de la nature essentiellement administrative des fonctions de son personnel», indique la directrice des ressources humaines, Anne Michellod. Pour traiter les questions de santé au travail, elle s’entoure de spécialistes internes et externes, notamment le service RH, le comité de pilotage GSE (gestion de la santé en entreprise), le responsable interne de la sécurité au travail, un médecin-conseil, un ergonome et un service social d’entreprise. Ce dernier gère notamment la question des risques psychosociaux en collaboration avec les ressources humaines.
Pour sa part, la Vaudoise Assurances, qui bénéficie de la certification Great Place to Work, propose à ses collaborateurs, avant ou pendant la maladie, de faire appel à différents acteurs (collègues, managers, département RH, compliance), ainsi qu’à des personnes de confiance externes fonctionnant de manière indépendante et confidentielle. Celles-ci aident les personnes qui les sollicitent à analyser leur situation et à développer une stratégie d’action. En cas de besoin, elles les orientent vers d’autres instances. Il peut s’agir de spécialistes des thèmes de la santé, du climat de travail, du stress, des conflits, du mobbing ou du harcèlement sexuel. Si la maladie dure plus de dix jours, le collaborateur est contacté par une infirmière externe, qui l’oriente vers des solutions thérapeutiques, curatives ou préventives.
La direction de la société applique un système de sécurité et de santé au travail, selon les normes de la Commission fédérale de coordination pour la sécurité au travail (CFST), notamment en ce qui concerne l’appel à des médecins du travail et autres spécialistes de la sécurité au travail. Elle compte par ailleurs une équipe de douze Samaritains d’entreprise au siège de Lausanne bénéficiant d’un médecin de référence et de dix personnes pour les sites du Wankdorf de Berne. Certaines agences générales disposent également de binômes de Samaritains.
Pour l’instant, l’assureur n’a pas fait appel à des médecins du travail sur des dossiers ou des analyses particulières. En revanche, il fait intervenir d’autres spécialistes de la sécurité au travail (ergonome, acousticien, infirmière, etc.) contactés en fonction des besoins, soit en moyenne quatre fois par année.