Si la durabilité est désormais dans toutes les bouches, sa définition varie considérablement d’un individu ou d’une entreprise à l’autre. Tous ne partagent pas la même perception face à la raréfaction des ressources, à l’urgence climatique ou aux bouleversements démographiques et sociétaux. Et, à l’échelle des entreprises, bien des managers se retrouvent démunis face à l’ampleur des défis édictés notamment par les 17 objectifs de développement durable des Nations unies et la mise en œuvre des Accords de Paris.
Pour y répondre, l’association Swiss Leaders a mis en place, dès 2022, une formation certifiante de huit jours, en partenariat avec Sanu Future Learning, qui s’inscrit dans le projet européen Sustainable Leaders lancé par la CEC European Managers. Un programme dense, réparti sur plusieurs mois, dont l’objectif est de fournir aux managers les grilles de lecture et les outils nécessaires «pour identifier les principaux impacts pertinents que l’organisation génère sur l’ensemble de l’écosystème des parties prenantes et développer des capacités à discerner les risques environnementaux, sociaux et économiques», explique Claire-Lise Rimaz, codirectrice de Swiss Leaders.
Un enjeu incarné par la direction
Car la durabilité ne se cantonne pas à l’installation de panneaux solaires ou à subventionner l’achat de vélos électriques. «On se focalise trop souvent sur certains éléments techniques, observe Marc Münster, codirecteur de Sanu. Or gérer une entreprise de manière durable, c’est prendre en compte ces trois piliers que sont l’économie, le sociétal et l’environnemental, avec les antagonismes forts qui peuvent en découler.»
Faire bouger les lignes commence par le sommet de la hiérarchie. «Aujourd’hui, les entreprises sont dotées au mieux d’un responsable durabilité. Ou délèguent cette tâche à un bureau de consultants externes, ajoute Marc Münster. Or, tout comme les RH il y a quelques années, la durabilité doit devenir un enjeu stratégique incarné par la direction.»
Un avis partagé par Christian Petit, CEO de Romande Energie, qui a participé au premier baromètre du leadership durable (lire encadré). «Les qualités d’un manager durable? Se sentir personnellement concerné par ces défis, intégrés dans son quotidien au même niveau que les préoccupations économiques. Il se demande dans chacune de ses initiatives et décisions comment il peut alléger l’empreinte écologique de son activité: cela passe par le choix et la sélection des fournisseurs et des matériaux, par l’analyse complète du cycle de vie des produits qu’il fabrique ou distribue, par les solutions de mobilité utilisées par ses équipes et ses partenaires de logistique, etc. Cela demande des compétences nouvelles, une volonté de se former et de s’informer sur ces défis et de comprendre comment son activité impacte l’environnement.»
Formation en leadership durable
Parmi les participants à la formation sur le leadership qui a eu lieu au premier semestre de cette année, Debora Akinci-Lopez, membre de la direction de Corpus Architecture Urbanisme, qui compte une trentaine de collaborateurs à Genève. Issue du monde des RH, elle s’est attelée au développement d’un modèle de gouvernance durable. «Dans le domaine de la construction, nous sommes en première ligne en matière de durabilité et nombre de labels, comme Minergie, existent. Reste que pour chapeauter cette stratégie, il faut aussi pouvoir l’incarner dans le leadership.»
Pour ce faire, la dirigeante, accompagnée par deux collègues ayant également entrepris des formations – dans la construction durable et le digital –, a créé un groupe de travail chargé de redéfinir le business model, la culture d’entreprise (la raison d’être) et les mesures à mettre en place afin d’améliorer les domaines qui impactent la durabilité (gouvernance, collaborateurs, clients, collectivité, environnement, etc.), le tout validé par le conseil d’administration. Parmi les décisions déjà prises, une certification B Corp, dont un self-assessment avait déjà été entamé au printemps. «Ce processus impliquera une étape importante, celle de modifier les statuts de la société afin d’inscrire la durabilité au cœur même de notre identité», envisage Debora Akinci-Lopez.
Autre participant à cette formation en leadership durable, Baptiste Constantin, directeur de Nendaz Tourisme, qui emploie 15 collaborateurs à l’année et près d’une trentaine, auxiliaires compris, durant les périodes touristiques. Pour cet économiste de formation, qui se décrit comme «un enfant de Nendaz», sa branche doit relever le défi de la pérennisation, en trouvant le juste équilibre entre la vie locale et les flux touristiques. «La notion de leadership durable est totalement nouvelle, observe-t-il. Notamment dans le fait de prendre en compte les intérêts des nombreuses parties prenantes, de manière participative, et de chercher à harmoniser tant l’économie de la commune et des 7000 résidents à l’année que les activités touristiques et leur impact environnemental.»
De son côté, Luc Zamparo, directeur associé et responsable des infrastructures chez Biogen, souligne également l’importance d’agir au plus haut niveau de l’entreprise. «Dès lors que vous avez un poste avec une certaine influence, l’impact environnemental est plus important qu’à une échelle individuelle. Je travaille dans une société très internationale, avec 37 nationalités différentes, et des niveaux de sensibilité différents en ce qui concerne la durabilité.»
A la suite de cette formation, l’ingénieur en mécanique a pu convaincre la direction du site pharmaceutique, qui emploie environ 600 personnes à Luterbach (SO), de créer un groupe chargé de mesurer les impacts environnementaux de différentes installations techniques (ventilation, systèmes chaud-froid, consommation d’eau…). «Nous commençons par le plus facile, à savoir la diminution de notre consommation d’énergie, étant entendu que la meilleure énergie, c’est celle que nous n’utilisons pas, explique Luc Zamparo. Une fois ce travail effectué, nous regarderons ce que nous pourrons améliorer, notamment en termes de déperdition d’énergie, et, enfin, dernière étape, nous entamerons notre mue vers des énergies renouvelables.»
Quelque 220 personnes ont répondu au premier baromètre du leadership durable réalisé par l’association Swiss Leader, B Lab Suisse et Sanu.
Il en ressort que, dans leur majorité, les dirigeants suisses interrogés estiment pratiquer un management où les employés sont impliqués dans les décisions. «En revanche, une marge d’amélioration subsiste dans les domaines de l’action et de l’engagement envers les parties prenantes externes», note le rapport.
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