«Comment devient-on artiste? C’est drôle, mais je ne me suis jamais posé cette question, qu’on me pose pourtant souvent. D’ailleurs, c’est quoi un artiste du XXIe siècle? Pas quelqu’un qu’on enferme dans un mouvement ou une spécialité en tout cas. Je me dis sculpteur. Mais dans quelle matière? Je peins, je taille, je scie. Alors quoi? A vous de voir. J’ai grandi au milieu du showroom de cheminées et poêles à bois que ma famille propose depuis toujours dans son entreprise, à Fully. Jusqu’à l’adolescence, c’est la seule «exposition» que j’ai connue. Je n’étais pas spécialement doué pour le dessin. Je faisais du foot. Je n’aimais pas l’école. J’étais un gamin insolent plutôt rebelle. J’étais plus attiré par la fiesta que par l’art, mais, en même temps, je me sentais appartenir à cette minorité qui a une vision décalée des choses et de la vie. C’était un peu le bousin dans ma tête. Et pour ne rien arranger, j’ai perdu mon frère aîné dans un accident de montagne. Un 1er août. Je déteste la montagne. Et le 1er août encore plus.

Contenu Sponsorisé
 
 
 
 
 
 

J’ai reposé les pieds sur terre quand j’ai commencé l’école d’art, à Sion, à l’âge de 16 ans, avec une dérogation pour suivre les cours de dessin académique. J’ai redoublé la première année. Peut-être parce que je passais plus de temps à la bibliothèque de l’école que derrière le chevalet. J’étais affamé de découvertes. A cette époque, je faisais du skateboard de compétition et j’étais complètement immergé dans son univers. Il se résumait à MTV, Radiohead, la Californie, Mondrian, Bukowski et surtout Mike Kelley, l’un des plus importants artistes plasticiens américains. En parallèle, je découvrais l’abstraction, le monochrome et l’artiste russe Kasimir Malevitch, qui m’a énormément marqué et influencé. Un jour, en ouvrant Artpress, une revue française d’art, je tombe sur un article consacré à Mike Kelley, dont une image était aussi la couverture d’un CD punk que j’écoutais en boucle. Je me suis dit que j’étais assez proche d’un truc. Mais lequel? Je ne savais pas encore. Artiste? Non. Il n’y a que trois ans que j’ai l’impression d’en être un. D’être à l’aise avec les gens, avec mes œuvres. J’accepte que le doute fasse partie de mon cahier des charges. Bref.

Peu de temps après, à 19 ans, je fais la connaissance de Pierre Keller, feu le flamboyant directeur de l’ECAL, à Lausanne. Qui me dit textuellement ceci: «Viens chez nous, ici c’est nul!» Du coup, j’ai fait en parallèle ma cinquième année en Valais et la quatrième à l’ECAL. Ensuite, tout s’est enchaîné très vite. J’ai eu le privilège de faire la connaissance d’artistes tels que Fabrice Gygi, Sylvie Fleury, Olivier Mosset ou le plasticien John M. Armleder. De grands noms de l’art que je ne connaissais que par les livres. Et puis, bingo. A l’ECAL, je me retrouve diplômé, avec mon œuvre de travail de mémoire exposée. J’empoche 25 000 francs. Rebelote aux bourses fédérales. Ma mère m’avait filé 400 balles pour aller à Bâle et, grâce à mon ours en Sagex recouvert de résine, je suis rentré à nouveau avec 25 000 francs. J’ai eu d’autres coups de pouce du destin.

Comme le jour où Roger Moore s’est assis sur un ski-bob que j’avais restauré, l’une de mes premières créations. J’adore me réapproprier, réinterpréter, copier ou détourner des objets issus de la culture valaisanne ou suisse, réinterpréter les mythes de notre folklore au gré de ma devise: «Il faut que rien ne change pour que tout change!» C’est peut-être ce qu’a aimé l’éditeur et collectionneur Michael Ringier, qui m’a beaucoup soutenu. Et Eva Presenhuber, la galeriste qui me représente depuis seize ans, ou encore Nan Goldin, élue artiste la plus influente de 2023 par le prestigieux magazine ArtReview, qui m’a invité chez elle, à New York, au début des années 2000. Un peu comme si Mick Jagger invitait chez lui un chanteur de bal populaire de par ici. Surréaliste. Quand j’ai débarqué, elle m’a tendu 200 dollars et m’a dit: «Tiens, va acheter de la coke!» Je suis resté quatre jours. Avant de m’enfuir. Pour la remercier, je lui ai acheté une bouteille de pinot noir de Chamoson que j’ai payée 70 dollars. Chassez le naturel…»