Je travaille dans le domaine des médias qui est, hem, légèrement secoué ces temps. On assiste donc à des suppressions d’emplois. Et quand il faut supprimer des emplois, il n’y a pas de miracle, il faut licencier des gens. Déjà, quid du terme «licencier»? En fait, c’est un terme qui remonte au Moyen Age. A cette époque, lorsqu’une campagne militaire prenait fin, les seigneurs avaient l’habitude de rendre leur «licence» (du latin licentiare, qui signifie «autoriser») aux soldats, c’est-à-dire qu’ils leur redonnaient le droit de disposer d’eux-mêmes.
Alors il y a d’autres mots, n’est-ce pas: congédier, renvoyer, mettre à la porte, virer. Mais mon préféré est «remercier». Utiliser un terme qui signifie «exprimer sa gratitude» pour une action qui vous prive de votre emploi et de votre revenu, c’est quand même d’une rare perversité linguistique. J’ai été remercié par ma boîte. Ah bon, tu as reçu une prime? Non, un pied au cul. Ah oui, il y a aussi le délicieux monument de cynisme consistant à utiliser l’expression «plan de sauvegarde de l’emploi» pour désigner un licenciement collectif. Très cool pour les gens dont l’emploi ne sera pas sauvegardé, précisément, et vive la novlangue managériale.
Alors on n’est plus au Moyen Age, et aujourd’hui, le licenciement, c’est nettement moins héroïque comme concept. Souvenez-vous de la phrase culte du film Les trois frères avec Les Inconnus: «Une société, c’est comme une montgolfière, si tu veux que ça monte, il faut lâcher du lest.» Pour certains employés, collaborateurs, talents, appelons-les comme vous voulez, cela veut dire ceci: ce matin j’avais un job, cet après-midi, pouf, j’en ai plus. Oui, généralement, ce genre de cérémonie, ça va plus vite que les augmentations de salaire, vous aurez remarqué. On vous appelle à 9 heures, vous êtes convoqué pour 11 heures, comme ça, vous n’avez pas le temps de vous mettre en arrêt maladie, ni de vous organiser pour venir accompagné, on ne vous donne pas la raison de cette réunion urgente, mais disons que ça ne sent pas exactement l’annonce d’une promotion avec les félicitations du jury.
Alors il y a tout un nombre de règles à respecter pour réussir un bon entretien de licenciement. Car il y a, tenez-vous bien, une «culture de la séparation». Imaginez, si vous êtes RH et que vous ratez un entretien de licenciement, vous risquez d’être… licencié. Haha. Et donc, plein d’experts proposent en ligne des check-lists, avec, je cite, «des astuces». Par exemple, il faut s’entraîner à prononcer les bons mots avant: «Madame Meier, merci d’être venue. Je voudrais vous parler de nos relations contractuelles de travail.» Il faut annoncer le licenciement dans les cinq premières phrases et, directement après, ne pas oublier de «manifester sa compassion» avec une tournure du style «Vous m’en voyez vraiment navré». Evidemment, c’est mieux que d’attaquer avec: «Alors ce stagiaire, est-ce que vous l’avez bien préparé? Tant mieux, parce qu’il va vous remplacer.» Ce que j’adore, c’est le conseil suivant: «Préparez un verre d’eau et des mouchoirs, le cas échéant.» Et il est précisé que la personne devrait s’arrêter de pleurer après «le premier reniflement». Je vous assuuure que tout cela figure sur des sites très sérieux. D’ailleurs, si vous voulez, j’ai repéré un workshop à Lausanne, en septembre prochain, intitulé «Maîtrisez la subtilité de la fin des rapports de travail». Cursus formation, un jour. Enjoy.
Je lis aussi (mais je n’ai pas pu vérifier l’info) qu’une entreprise à Singapour a viré plus de 2000 employés lors d’un exercice d’évacuation. Une fois dehors, les employés ont entendu un message disant que ceux dont le badge ne marchait plus au retour étaient renvoyés et recevraient leurs affaires par courrier. Ne ricanez pas parce que c’est en Asie, je connais quelqu’un en Suisse romande qui vient de se faire remercier pour ses 30 ans de service par mail. Tu sors d’une réunion en présence durant laquelle on t’explique que les temps sont durs et tu trouves ton congédiement sur Outlook. Classe, courage, la totale. Enfin, il existe une autre méthode: le quiet firing ou harcèlement démissionnaire. En clair, vous ne voulez pas licencier la personne (ça coûte trop cher), donc vous lui pourrissez la vie jusqu’à ce qu’elle décide de démissionner d’elle-même. Très tendance printemps-été 2024, en particulier avec les travailleurs seniors semble-t-il.
Bon, en même temps, souvenez-vous. Il y a ce gars qui hurlait «You are fired!» comme un psychopathe dans une téléréalité. Il est devenu président des Etats-Unis. Moralité: il n’y a pas de bonne manière. Lol.