Monsieur Blättler, vous faites régulièrement des conférences sur la génération Z. A quelle fréquence êtes-vous sollicités à ce sujet?
Y.B.: Actuellement, je pourrais faire un exposé sur ce thème tous les jours quelque part en Suisse. La demande a fortement augmenté au cours des deux ou trois dernières années. Les entreprises sont parfois vraiment désemparées. Certaines disent qu'elles n'ont plus du tout envie d'embaucher des jeunes. Mais elles savent aussi que nous n'avons que cette génération Z pour prendre la relève. Il y a peu d’alternatives.
Comment percevez-vous les entreprises lorsqu'il s'agit de traiter avec les plus jeunes?
Y.B.: Souvent, elles ne comprennent pas la jeune génération. En même temps, elles savent que dans 15 à 20 ans, très peu de travailleurs prendront la relève, alors que la génération plus âgée quittera la vie active en grand nombre. Certaines entreprises et secteurs perdront jusqu'à 20% de leurs collaborateurs, tout simplement parce qu'ils partiront à la retraite. Entre 13 et 15% de la main-d'œuvre manquera à l'avenir sur le marché du travail.
Monsieur Wyrsch, la génération Z est-elle vraiment différente?
E.A.W.: Ma génération, celle des baby-boomers, possède le gène «plus, c'est mieux». Nous voulions toujours plus, d'abord une voiture, puis deux. Il en allait de même pour le nombre de maisons et de conjoints. La génération Z, en revanche, suit le principe «what is next is better». Lorsqu’ils ont compris un sujet, ils passent à autre chose. A cela s'ajoute une certaine impatience, une excitation permanente. Ils ont toujours l'impression de rater quelque chose lorsqu'ils se concentrent sur une thématique. Cela conduit à une certaine superficialité.
Yannick Blättler fait partie de la génération Y (1981-1996). Ce trentenaire a étudié à la Haute école de Saint-Gall. Alors qu'il était encore étudiant, il a fondé sa propre entreprise de marketing et de conseil, Neoviso, qui se concentre sur la génération Z et emploie aujourd’hui 32 personnes. C’est un conférencier très demandé sur le thème de la Gen Z.
Ernst Aschi Wyrsch fait partie de la génération du baby-boom (1945-1964). Âgé de 63 ans, il a été pendant plus de 15 ans l'hôtelier du légendaire Grand Hôtel Belvédère à Davos. Aujourd'hui, il est professeur en leadership, coach, président du conseil d'administration de diverses entreprises et président d'honneur du HC Davos.
Superficiels, excités en permanence et impatients, n'est-ce pas exagéré?
Y.B.: Cette analyse est en grande partie correcte, surtout en ce qui concerne la surstimulation et l'impatience. Mais ce comportement de la génération Z n'est pas mauvais en soi. Nous devons simplement apprendre à le gérer différemment. Les jeunes sont effectivement marqués par un rythme effréné et souffrent de Fomo («Fear of missing out»), la peur de manquer quelque chose. C'est un facteur qui a également un impact sur leur santé mentale. Il se peut que les jeunes soient moins résilients. C'est précisément pour cette raison qu'il faut leur donner des stratégies pour y faire face.
Vous évoquez une santé mentale instable. Sur la base d'observations?
E.A.W.: La société, et en particulier la génération Z, n'a jamais été aussi saine qu'aujourd'hui et ne s'est en même temps jamais sentie aussi malade. C'est lié à la surcharge de stimuli. En raison du comportement numérique, on est constamment distrait et on peut avoir l'impression de rater quelque chose, ce qui entraîne une fatigue mentale.
Y.B.: Je suis d'accord avec cela. Les jeunes d'aujourd'hui sont soumis à une énorme surcharge de stimuli. Beaucoup sont en mauvaise santé mentale.
La génération Z n'a-t-elle pas aussi des qualités qui la rendent attractive pour le marché du travail?
Y.B.: Absolument. Ils apportent de nouveaux points de vue sur bien des thématiques, ont de bonnes capacités pour la communication numérique et remettent en question le statu quo. Ils recherchent des processus efficaces et veulent optimiser cela autant que possible.
E.A.W.: Si le sens et l'utilité d'une tâche sont présents, ils ont une grande curiosité pour les nouveaux développements et une grande disposition au changement. Si la génération Z est dirigée de manière cohérente, elle sera capable de travailler avec enthousiasme.
Monsieur Wyrsch, vous avez récemment déclaré qu'il était impossible de travailler avec la génération Z. Qu'est-ce qui vous a mis dans cet état?
E.A.W.: Beaucoup de représentants de la génération Z s'ennuient vite. Ils veulent être partout. Cela vient de l'excitation que produisent les médias sociaux. Ils abandonnent plus vite, leur résilience est faible. Il leur manque la profondeur et la capacité de se pencher plus longtemps sur des sujets ennuyeux ou des activités routinières. C'est un exercice obligatoire qui fait aussi partie de la vie professionnelle. Mais ils aimeraient passer outre. C'est pourquoi ils ne veulent plus travailler que quatre jours, avec un salaire de 100%.
En d'autres termes, la génération Z est-elle paresseuse?
E.A.W.: Pas tous, mais certainement ceux qui ne sont pas bien dirigés. Je dois aussi pointer du doigt les entreprises. Si on délaisse les jeunes de la génération Z, ils peuvent tomber dans une certaine léthargie. Si on les dirige différemment, on les fait sortir de cet état de ramollissement. Mais rien ne se fait tout seul.
Il y a des caractéristiques que l'on attribue à la génération Z. Monsieur Blättler, en tant que spécialiste, pouvez-vous me dire si ces affirmations sont exactes? «Top digital skills», mais «flop soft skills»?
Y.B.: Ils sont les deux.
Ils sont à l'aise, exigeants et satisfaits d'eux-mêmes?
Y.B.: Souvent oui, parce qu'ils ont de bonnes options professionnelles.
Ils ne pensent pas en termes de carrière?
Y.B.: Ils ont une pensée carriériste. Ils veulent progresser rapidement, surtout au début.
Ils mangent végétalien, végétarien et respectent l'environnement?
Y.B.: La tendance végétalienne et végétarienne est très appréciée par les jeunes. Mais la majorité mange de la viande et des produits d'origine animale. En ce qui concerne le respect de l'environnement, il y a parfois des contradictions.
Ils refusent de faire trop d'heures supplémentaires et demandent des congés sabbatiques.
Y.B.: Oui.
Ils ne veulent pas être attachés à un lieu.
Y.B.: Oui.
La gen Z se préoccupe surtout d'elle-même ?
Y.B.: Non.
D'où vient cette attitude des jeunes?
Y.B.: Les générations précédentes ont créé de la richesse. C'est pourquoi les jeunes peuvent aujourd'hui moins travailler. Le fait que les jeunes réclament une semaine de quatre jours est aussi une conséquence de la prospérité. Ce n'est pas que les jeunes n'ont pas envie de travailler, ils ne veulent simplement pas se battre autant que leurs parents. Chaque génération qui s'est lancée dans la vie active - que ce soit la génération de mon grand-père ou celle des baby-boomers - s'est dit: nous voulons que la prochaine génération ait une meilleure vie. Mais ceci dit, toutes les générations aimeraient, dans l'idéal, avoir une semaine de quatre jours.
E.A.W.: C'est aussi dû à une erreur systémique de notre éducation. Nous, les baby-boomers, avons éduqué la génération Z, nous avons dit aux jeunes qu'ils devaient être critiques, qu'il ne fallait pas se laisser faire. Nous leur avons martelé qu'ils étaient spéciaux. Cela a été fatal car les jeunes en sont convaincus. On a toujours essayé d'épargner les problèmes aux enfants. Pourtant, l'éducation consiste à éduquer les gens de manière à ce qu'ils puissent se débrouiller seuls dans la vie, sans aide extérieure.
Partagez-vous cette opinion, Monsieur Blättler, est-ce la faute de l'éducation?
Y.B.: Je pense en effet que les parents ont une grande part de responsabilité dans la manière dont les jeunes se comportent aujourd'hui. Dans ce monde où tout va très vite, les jeunes ont probablement reçu moins de valeurs en héritage. C'est justement lorsqu'il s'agit de patience qu'ils sont souvent rapidement à bout. Dans le sport ou lorsqu'ils font de la musique, ils veulent avancer le plus vite possible. Or il faut de la discipline et beaucoup de travail pour arriver à un résultat.
Notre prospérité est-elle en danger?
E.A.W.: En effet. Je suis très inquiet pour le modèle suisse. Vouloir travailler moins, avec le même salaire ou avec un salaire plus élevé, cela ne fonctionne pas en ce qui concerne notre prospérité. Pour cela, il faut fournir un certain effort. Les jeunes d'aujourd'hui n'aiment pas trop l'effort. Beaucoup aimeraient être des influenceurs, beaucoup aimeraient gagner beaucoup avec le moins d'efforts possible.
La génération Z souhaite-t-elle préserver la prospérité matérielle?
Y.B.: Oui. Mais pas à n'importe quel prix. La génération précédente est aussi passée à un moment donné d'une semaine de six jours à une semaine de cinq jours. Je ne pense pas qu'à l'époque, on ait renoncé à une part de salaire. On parvenait simplement à la même productivité en cinq jours. Il y a certaines entreprises, dans l'industrie par exemple, qui ont déjà introduit le travail du lundi au jeudi ou neuf à dix heures par jour.
Est-ce peut-être aussi parce que la génération Z a grandi dans un monde sans crise?
Y.B.: Oui, probablement. A part le covid, cette génération n'a jamais connu de véritable récession ou de crise économique.
Est-ce que nous nous dirigeons vers un marché des travailleurs?
Y.B.: C'est le cas. C'est pourquoi un autre comportement des entreprises est nécessaire. La «marque employeur» est à l'ordre du jour. Les entreprises doivent se positionner auprès des candidats. Jusqu'à présent, c'était les entreprises qui avaient le plus de poids. Depuis peu, elles doivent expliquer ce qui les distingue ou ce qui les rend différentes. Les jeunes savent qu'ils sont recherchés parce qu'ils sont moins nombreux. Si une entreprise leur plaît, ils y vont à fond. Et si cela ne leur convient pas, ils partent rapidement.
Comment aborder la génération Z?
E.A.W.: S'éloigner de la pensée du supérieur et se rapprocher de la pensée de l'hôte. Jusqu'à présent, un supérieur hiérarchique était celui qui avait toujours raison. L'hôte, en revanche, ne se met pas trop en travers du chemin. Il a un accès individuel aux personnes. Les cadres doivent être plus à l'écoute et donner plus de feedback. Je pointe à nouveau du doigt notre génération. Nous avons aussi contribué à faire des jeunes ce qu'ils sont aujourd'hui. Nous devons davantage communiquer entre nous, comme Yannick et moi le faisons actuellement.
Y.B.: Les cadres doivent à l'avenir être davantage des coachs. Ils devraient donner des feedbacks instantanés rapides et mener beaucoup plus de discussions. C'est ce que recherchent les personnes de la génération Z, c'est leur quotidien. Par conversation, j'entends qu'il faut aussi écouter. Si les jeunes ont leur mot à dire, ils deviennent des parties prenantes. Dans mon entreprise, je mène de très nombreux entretiens avec les collaborateurs. Lorsque j'en parle à des cadres, beaucoup me disent que c'est extrêmement laborieux et complexe et qu'ils n'ont pas le temps de le faire. Bien sûr que c'est fastidieux. Mais ceux qui ne veulent pas le faire doivent s'attendre à une augmentation du turnover et à des employés mécontents.
Cet article est une adaptation d'une publication parue dans Handelszeitung.