«J’ai toujours été passionné d’innovation. J’aimais me poser des questions, là où tout le monde cherchait des réponses. Après mon doctorat en systèmes de communication à l’EPFL, j’ai rejoint les centres de recherche d’IBM, à New York d’abord, puis à Tokyo. La recherche vous forme à la pensée, mais elle ne fait pas de vous un entrepreneur.
Cet intérêt vient de mes parents, qui ont tous les deux la fibre du business: mon père est entrepreneur dans l’immobilier – il était notamment le propriétaire du Beaulac à Neuchâtel – et ma mère a dirigé plusieurs commerces. De mon côté, il m’a fallu douze ans avant de quitter IBM. Mes enfants sont nés au Japon et, au moment de les scolariser, j’ai voulu revenir en Suisse. C’est seulement à ce moment que j’ai démissionné et ma femme aussi.
J’ai pris alors un peu plus d’une année sabbatique. J’ai énormément lu et c’est toujours le cas aujourd’hui. Je fais d’ailleurs des résumés des livres que je lis, sur 20 à 40 pages, en dictant tout vocalement. On comprend beaucoup en lisant. Par exemple, Thank You for Being Late de Thomas Friedman explique l’évolution technologique, son impact sociétal et pourquoi tout s’accélère aujourd’hui. Cette période de ma vie a été pour moi synonyme de développement personnel incroyable. J’ai aussi lancé des projets avec ma femme, qui est entrepreneuse dans la finance.
En 2013, une équipe de la HEIG-VD m’a proposé de travailler sur un projet dans la cybersécurité. J’en suis devenu le CEO et on a mis en place Strong Codes, un système de sécurisation des applications mobiles. C’était une technologie de niche: l’obfuscation de code, soit une méthodologie qui consiste à rendre difficile la compréhension du code par les hackers. Nos clients étaient la Française des jeux et d’autres plateformes de jeu mobiles…
En 2016, nous avons reçu un e-mail d’un des ingénieurs de Snap. Le groupe américain, employeur de 2000 personnes, cherchait une solution pour sécuriser ses applications, dont Snapchat. Très vite, Snap a voulu nous racheter. On était cinq collaborateurs, à ce moment, chez Strong Codes. Avec mes années passées au Japon, où j’ai également travaillé dans les fusions et acquisitions pour IBM, j’avais de l’expérience. Pourtant, la négociation avec Snap a duré six mois, ce qui est relativement long pour une start-up. Je ferais les choses différemment aujourd’hui. Plus humainement, en mettant tout de suite des limites sur ce qui est négociable ou non. Les avocats de Snap étaient très agressifs, alors que ce genre de transaction devrait être abordé comme une association et non une acquisition. Financièrement, ça a été une bonne affaire, mais il n’a pas toujours été évident de continuer à travailler avec l’équipe de Snap.
Je suis resté trois ans et j’ai ouvert le bureau suisse de Snap à Yverdon. Reste que la différence culturelle se ressentait. Les dirigeants américains peinaient à s’aligner sur le droit suisse pour les contrats de travail ou les obligations fiscales. J’ai tout de même profité de ces années pour remettre à jour mes compétences technologiques, notamment en refaisant de la programmation. Je nourrissais déjà l’idée de me lancer dans une nouvelle start-up dès que j’en aurais la possibilité.
L’été 2020 a été décisif. J’ai beaucoup discuté avec Ozrenko Dragic, qui travaillait chez Snap. A l’automne, nous avons créé Strong Network à Lausanne. Nous construisons des espaces de travail qui allient l’efficacité, la rapidité des opérations de développement (DevOps) et la sécurité. Nos clients sont des banques, des assurances et toute entreprise qui développe du soft et souhaite améliorer sa productivité, réduire ses coûts IT et sécuriser sa propriété intellectuelle. Nous avons des clients en Suisse, tels que SwissRe, et d’autres déjà en Asie.
Je ne peux pas vous dire si j’ai reçu des offres de rachat. Mais si je repars dans une nouvelle aventure entrepreneuriale, ce sera dans l’éducation, par exemple dans une formation pour apprendre aux enfants à être épanouis. Aujourd’hui, les défis que doivent affronter les écoles sont gigantesques. Enseigner aux jeunes à aimer apprendre et à rester curieux, c’est fondamental.»