L’an dernier, une start-up genevoise active dans la publication en ligne d’offres d’emploi a été condamnée à payer 270'000 francs de «rattrapage salarial», ainsi que 28'300 francs d’amende. La raison? Elle a employé 18 stagiaires sur une période de deux ans et demi, sur un effectif total de 36 employés, détaillait la Tribune de Genève. Les inspecteurs de l’Ocirt (Office cantonal de l’inspection et des relations du travail) ont vérifié le respect de l’application du salaire minimum, établi dans le canton depuis le 1er novembre 2020 et s’élevant alors à 23 francs brut de l’heure (il est passé à 24 fr. 32 le 1er janvier 2024). Or les stagiaires en question, qui auraient dû être rémunérés selon ce salaire minimum, n’étaient payés que de 3 à 6 francs de l’heure (soit entre 500 et 1000 francs par mois)…

également interessant
 
 
 
 
 
 

Plusieurs cantons ont serré la vis en matière de stages afin de lutter contre les abus, bien connus dans certains secteurs (médias et organisations internationales notamment), mais finalement largement répandus. Car la législation fédérale ne prévoit rien en ce sens.

Des politiques montent au front

En 2018, le conseiller national socialiste valaisan Mathias Reynard déposait ainsi une motion demandant de «mieux encadrer et améliorer le statut de stagiaire». La même année, la Verte genevoise Lisa Mazzone sollicitait par un postulat «un panorama exhaustif des stages en Suisse». Dans les deux cas, le Conseil fédéral n’a pas voulu entrer en matière, arguant qu’au vu de l’hétérogénéité des formes de stages il était impossible de les réglementer au sein d’une législation cohérente. Au niveau cantonal, un premier moyen pour lutter contre les abus est d’établir un salaire minimum légal (Neuchâtel, Jura, Genève, Tessin et Bâle en ont un), un autre, de fixer un cadre clair pour l’engagement de stagiaires.

Le canton de Genève reconnaît les stages qui s’inscrivent dans un dispositif de formation ou d’insertion prévu par la législation cantonale ou fédérale et a défini les conditions à remplir pour chaque catégorie de stage. La plupart d’entre eux ne sont pas concernés par le salaire minimum. Les «postes de stages offerts par une entreprise pour une activité en réalité assimilable à un emploi» y sont par contre clairement soumis.

Le canton de Vaud a établi des règles similaires, avec des fourchettes de tarifs recommandés pour chaque type de stage. Elles s’appliquent à l’ensemble des services et offices de l’administration cantonale, à l’instar notamment du CHUV, de l’Unil, des hautes écoles spécialisées ou encore de l’Ordre judiciaire. Le canton de Berne a aussi établi un barème salarial clair pour son personnel étatique. En prenant comme base la classe de traitement 1 (47 353 francs annuels, y compris le 13e salaire), il est prévu qu’un stagiaire touche 47% de ce montant (environ 1900 francs par mois) si le stage a lieu avant sa formation et s’il n’a pas d’expérience professionnelle, 80% (3200 francs) s’il est titulaire d’un master académique mais sans expérience et 100% s’il détient un master et peut faire valoir plusieurs années d’expérience.

Porte ouverte aux abus

Partout où de telles recommandations n’existent pas, notamment dans le secteur privé, la porte reste ouverte aux abus. Un cas d’école que rencontre encore fréquemment le syndicat Unia: une coiffeuse qui aimerait compléter son activité par de l’onglerie. Elle trouve facilement une place de stage, où elle apprend son nouveau métier à 80%, et coiffe à 20%. Elle se voit cependant payée à 100%, comme une stagiaire. «Ce cas peut constituer une infraction pénale, tout comme celui d’un stage non rémunéré dans une relation de travail», souligne Félicia Fasel, secrétaire nationale pour la jeunesse au syndicat Unia. En effet, le Code pénal réprime ceux qui refusent intentionnellement de payer le salaire convenu d’avance pour un travail effectué. Le Code des obligations stipule quant à lui qu’un employeur est obligé de payer son employé pour le travail accompli. Si le montant du salaire n’a pas été convenu, l’employeur est tenu de payer une rémunération raisonnable en fonction de la nature du travail, du temps de travail et des circonstances locales.

Ainsi, Unia revendique que les droits des stagiaires soient intégrés dans les conventions collectives de travail (CCT). Pour le syndicat, un stage doit avoir un caractère formateur et être rémunéré en fonction de l’expérience et du niveau de formation du candidat. Le syndicat paie ses stagiaires 4000 francs par mois à 100% et recommande de respecter cet ordre de grandeur.

Le stage doit également être d’une durée déterminée, au maximum six mois, et ne pas comporter de période d’essai. De plus, la législation sur la sécurité sociale et les assurances sociales imposant des obligations de cotisation aux travailleurs et aux employeurs, «il est important de rémunérer les stagiaires pour qu’ils puissent accéder à ces prestations», insiste la secrétaire syndicale. Le stagiaire doit également être accompagné par une personne de référence dans l’entreprise, qui lui fournira un plan de stage et fera des points de situation réguliers, tout comme une introduction au début du stage ou lors d’un changement de service. Enfin, les tâches doivent être pertinentes par rapport à la formation suivie et les stagiaires devraient avoir la possibilité d’accéder aux formations continues internes.

Des salaires en fonction du profil

Du côté du Centre Patronal, on est plutôt pour une réglementation minimale, mais en faveur de bonnes pratiques. «Dans certains cantons, l’introduction d’un salaire minimum a passablement freiné les opportunités de stages», note Brenda Duruz-McEvoy, spécialiste en politique du monde du travail pour l’institution. Selon elle, la rémunération d’un stagiaire doit être fixée en fonction de son profil et des objectifs qui lui sont fixés. «Pour quelqu’un qui sort d’études supérieures, nous offrons une rémunération de 3000 à 4000 francs par mois et encourageons nos clients à faire de même. L’entreprise n’y gagne pas tellement par rapport à l’engagement d’un consultant, mais elle contribue à l’intégration des jeunes dans le monde professionnel.»

En effet, l’encadrement d’un stagiaire représente du temps et un coût pour l’entreprise. Le Centre Patronal estime qu’un stage doit avant tout comporter une dimension pédagogique, permettre le développement professionnel ou personnel du stagiaire et être limité à trois ou quatre mois, maximum six. Il doit aussi impérativement être en surnuméraire, c’est-à-dire que le stagiaire s’ajoute au personnel existant sans représenter un poste indispensable au bon fonctionnement de l’entreprise. «Les stagiaires représentent une vitrine de l’entreprise. C’est souvent une expérience assez marquante de leur début de carrière. Il est important qu’ils en gardent un bon souvenir.»