Vous vous rappelez? Mais ouiii, Nabilla! En 2013 dans Les anges de la téléréalité. La Genevoise avait dit: «T’es une fille et t’as pas de shampoing, non mais allô quoi!» en mimant le téléphone à l’oreille avec pouce et auriculaire écartés. On trouvait ça très très concon, mais dix ans après, c’est devenu comme un doudou, j’ai revu la vidéo récemment, c’est hilarant. Je me suis aussi rendu compte que le mot «allô» et le fameux geste n’existaient plus, pfuit, partis, noyés dans les nouvelles habitudes de communication, à l’eau, quoi.

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De l'outil de liaison à l'extension de soi

Avant, le téléphone était une sorte de cordon ombilical qui permettait de rester en lien avec d’autres humains. Puis il est devenu une extension de soi-même, un nouvel organe. Vital. Quand on l’oublie ou qu’on le perd, on est amputé. Et paniqué comme si on allait mourir. Je ne sais pas pourquoi on l’appelle toujours «téléphone», car il sert désormais à tout… sauf à téléphoner. 

Je me souviens d’un voyage de trois jours dans un bateau genre Agatha Christie, avec décoration d’époque et tout. Mes enfants étaient encore petits et avaient une cabine un peu loin de leur père et moi, ils sont arrivés affolés en disant que le téléphone entre les chambres ne marchait pas. Quand ils appuyaient sur les touches, il ne se passait rien. Evidemment. Il fallait tourner les touches. Comme dans les années 60. 

Ils n’ont pas non plus connu l’époque où nos amoureux étaient obligés de nous appeler sur le fixe installé au salon. C’était notre mère qui répondait: «C’est de la part de qui?» On devait parler devant elle et dès que nous avions raccroché commençait l’interrogatoire de la Gestapo: «C’est qui, il a quel âge, que font ses parents, il habite où, tu l’as déjà embrassé?», bref, un grand moment de gênance, comme on dit maintenant. 

Aujourd’hui, les jeunes adultes se sentent agressés quand on les appelle, ils détestent téléphoner, c’est-à-dire parler dans l’appareil et tenir ce que l’on nomme une conversation. Selon les enquêtes, ils trouvent cela intrusif et impoli. Et extrêmement stressant. Dans les villes japonaises, les restaurants n’ont plus de cartes mais des tablettes, pour que les clients puissent commander sans avoir besoin de s’adresser à un serveur. Regarder dans les yeux, dire bonjour, demander un conseil sont devenus des efforts insurmontables. On a l’habitude de tout faire en ligne et de tout contrôler, y compris les contacts humains: on se rencontre en ligne, on socialise en ligne, on danse tout seul en ligne (merci TikTok), on baise en ligne – voire pas du tout, d’après les dernières statistiques. 

Une ère de télétravail

Cela se répercute évidemment sur la vie de bureau. Qui n’est plus une vie de bureau, mais la vie de visio. De manière générale, les jeunes collègues préfèrent les réunions en ligne. Même sur site. Oui, désormais on télétravaille aussi au bureau, à un étage d’écart. Et quand on demande «Tu peux appeler machin?», ils envoient un mail. Et quand on redemande «Tu as eu machin?», ils disent que non, mais qu’ils vont renvoyer un mail. Ça peut durer longtemps. D’autant plus que plus on est atteignable, moins on arrive à être atteint ou à atteindre quelqu’un. Vous appelez, personne ne répond. Vous envoyez un mail, la plupart du temps, on ne vous répond pas non plus. Donc, vous tentez un SMS pour dire: «Tu as vu mon mail?» La personne ne l’a pas vu, elle est en copie de 250 messages par jour, donc elle ne lit plus, et avec un peu de chance, ça tombe de la table. En temps normal, vous iriez dans son bureau: «Bon, on parle du dossier que je t’ai envoyé par mail?» Mais l’un des deux est fatalement en home office. Donc vous êtes condamné à retenter par Teams, Outlook, WhatsApp ou, désespéré, par Instagram ou LinkedIn. Et vous vous dites que, comment disait la pub déjà dans les années 80? «Un coup de fil, c’est si facile.» Ben plus trop, non. 

Mais soyons malins, agiles et efficients comme on nous le demande instamment. Il existe une solution: faire comme eux. Parce que quand ils ont besoin de quelque chose, du coup, pour utiliser leur expression favorite, ils appellent. Et nous sommes censés fournir une réponse à la seconde. Alors il suffit de faire le mort. «Ah non, j’ai pas vu ton appel. Tes messages non plus. Désolée, je suis malentendante, donc je n’écoute pas les audios. J’étais sur silence. Et pour ce que tu me demandes, je ne sais pas. Je te refais un message demain. Si j’ai le temps.» Je vous assure que c’est assez efficace, non: efficient – enfin, ça marche, quoi.