Avec une régularité à la fois rassurante et désespérante, arrive chaque année un moment dont on se réjouit et que l’on redoute. La rentrée.

Médicalement et scientifiquement, on estime que le bénéfice des vacances s’estompe en deux ou trois semaines, ce qui n’est déjà pas beaucoup. Mais dans la réalité, empiriquement, combien de temps tient votre forme physique et psychique éblouissante, péniblement obtenue à coups de litres de rosé et d’hectolitres de transpiration à cause de la canicule? Mmmh? Le temps de la première visio du matin avec la chefferie, où l’on vous annonce des ateliers sur l’intelligence artificielle qui va bientôt faire le job à votre place? Le temps du premier ragot à la machine à café, «il paraît que machin a demandé à une collègue en minijupe si elle avait pas froid au minou» (remarque authentique, je précise)? Le temps d’ouvrir votre boîte mail et de voir les messages que vous aviez lus en travers au bord de la piscine, mais que vous avez volontairement laissés de côté en vous disant «pfff, quelle bouse, je traiterai ça au retour»? Ou le temps du premier technostress, quand vous constatez que des mises à jour ont été faites, que le mot de passe a été changé, que vous ne pouvez accéder à rien en VPN et que le support informatique est débordé? Au bout de deux jours, vous avez envie de retourner au camping et, au bout d’une semaine, vous avez envie de sauter par la fenêtre – heureusement, elles ne s’ouvrent pas car le bâtiment est certifié Minergie.

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Vous avez pourtant pris plein de bonnes résolutions, plus qu’en janvier: 1. Garder une bonne hygiène de vie (et ne pas manger des sushis immondes sur le clavier entre midi et deux). 2. Ne pas m’énerver, rester positif et orienté solutions (même quand on me dit une énième fois qu’il faut faire des économies sans toucher à la qualité). 3. Ne pas me laisser déborder (même quand on m’appelle alors que j’ai mis mon répondeur d’absence et que l’on me dit: «Je sais que tu n’es pas là, mais est-ce que tu pourrais quand même voir ça?» Vous avez remarqué, les gens s’en foutent désormais des répondeurs d’absence, tout le monde trouve normal que vous répondiez quand même dans la seconde). 4. Me déconnecter régulièrement (hahahahahaha, pardon, c’est nerveux). 5. Etre dans l’instant présent en pleine conscience (même quand je suis dans une visio qui s’éternise en essayant de faire le focus sur chaque petite main levée en respirant par le ventre).

Bref, vous êtes très vite en pré-burn-out. Le mot fait désormais partie du langage courant: «Ah, il est en burn?» On prononce «beurne», hein, si jamais. Il y a toutes les personnes officiellement en «beurne», plus toutes celles qui n’assument pas le mot «beurne» mais qui sont «en arrêt». Deux mois après la fameuse rentrée, il ne reste plus grand monde pour faire tourner la boutique. Et comme on ne remplace pas les absents, ceux qui restent travaillent deux fois plus et finissent évidemment aussi en «beurne».

Cette saison, je propose donc d’avoir des ambitions professionnelles raisonnables: on laisse tomber l’idée d’une promotion, d’une augmentation de salaire, d’un remboursement du wifi et de l’électricité pour le télétravail, d’un collègue moins glandeur, d’un poste plus épanouissant, d’une prime de fin d’année et de toutes ces choses qui n’arriveront jamais. Le seul et unique objectif est d’arriver à Noël sans faire de burn-out. Parce que c’est une épidémie contre laquelle on n’a pour le moment trouvé aucun vaccin. Même un machin plus expérimental que ceux contre le covid, avec des gouttes de zénitude véhiculées par l’ARN messager, avec un truc inclus pour baisser le taux de cortisol, et tant qu’on y est un petit quelque chose pour bien dormir et brûler les graisses, on se l’injecterait volontiers. Mais que fait l’OMS, bordel, je vous le demande.

Je ne vois qu’une solution à ce stade: dès qu’on revient au boulot, on planifie ses prochaines vacances. Ça donne un horizon. Mais cela ne dispense pas des bonnes résolutions, on prend de la distance, on se fait des petits plaisirs même s’il faut les enfiler au chausse-pied dans Outlook. Une attachée de production à la RTS nous mettait des RAM dans le calendrier. Quand on lui a demandé ce que c’était des RAM, elle a répondu: «Ça veut dire Rendez-vous Avec Moi-même!» Génie. Et puis, plus classiquement, on fait un peu de sport. On mange des légumes. Et pas question de mettre du «beurne» dans les épinards!