Il y a chez Charlotte d’Aulnois une flamme irrésistible lorsqu’elle parle des entreprises comme d’une formidable aventure humaine. On lui demande de nous expliquer la genèse de sa société Generative-Humanae qui vise, justement, à les aider à déployer leur plein potentiel. «Mes expériences managériales, au sein de grands groupes, tôt dans ma vie, répond-elle, et qui sont souvent allées de pair avec de nombreuses découvertes géniales, mais aussi beaucoup de frustration.»

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Genèse de Generative-Humanae

Créé il y a bientôt dix ans, ce cabinet de conseil et d’accompagnement est intervenu au sein d’une centaine d’entreprises, privées ou publiques. Principalement en Suisse. Parmi lesquelles le CHUV, la Banque cantonale neuchâteloise (BCN), la société de conseil en systèmes d’information Itecor, la PME Del West, les crèmes cosmétiques Valmont, plusieurs marques horlogères prestigieuses, une grande banque privée genevoise, des cliniques dans les cantons de Vaud et de Neuchâtel, un énergéticien romand, un cabinet d’avocats et bien d’autres encore.

Nous n’aurons pas plus de précision sur l’identité des clients. Confidentialité oblige, dans ce qui reste un métier de l’ombre. Avec 12 collaborateurs, la société enregistre un chiffre d’affaires de 3 millions de francs, une belle progression. Même si Charlotte d’Aulnois précise dans la foulée qu’elle ne cherche pas la croissance à tout prix. Son positionnement: le sur-mesure. 

On comprend en entrant dans les bureaux lausannois de GenerativeHumanae, vastes et clairs, une vue imprenable sur le Léman, avec aux murs de grands tableaux, des piles de livres exposés dans l’entrée, l’approche holistique de Charlotte d’Aulnois et de son équipe. Ce qui les distingue d’autres consultants: le recours affiché aux neurosciences. Et le parallèle tracé entre le fonctionnement de l’entreprise et celui du corps humain. Sujette au mauvais stress, l’entreprise voit ses résultats chuter. Boostée par le bon stress, elle améliore ses performances et rend ses collaborateurs heureux.

«Notre mission consiste à augmenter leur taux d’adrénaline, de dopamine, d’oxytocine, de sérotonine... et à faire baisser le niveau de cortisol.» Trop souvent toxiques, malheureusement, beaucoup d’entreprises le sont, poursuit-elle, parce qu’elles se révèlent incapables de faire évoluer leurs modèles face à un environnement complexe, volatile, perçu comme menaçant (crise économique, concurrence acharnée, disruption technologique, environnement politique instable...). Les symptômes les plus courants: une gouvernance rigide, une bataille délétère des ego, des burn-out en série, un malaise individuel et collectif lancinant... Et de filer la métaphore: l’objectif ultime consiste à neutraliser le cerveau reptilien de l’organisation (et d’abord celui des individus qui la composent) et à solliciter au maximum son cortex préfrontal. CQFD.

Le voyage proposé par GenerativeHumanae n’est praticable qu’avec le soutien sans réserve de la direction des entreprises. «Je commence toujours par parler avec la ou le CEO», explique Charlotte d’Aulnois. Parce qu’il s’agit d’abord d’aider le client à préciser, voire à accoucher de la vision et du «grand projet collectif» qu’il nourrit pour son entreprise, avant de structurer, avec les outils ad hoc, les missions à accomplir, l’embarquement, dans une nouvelle aventure, des collaborateurs et de l’ensemble de l’organisation.

Un parcours personnel inspirant

Charlotte d’Aulnois parle volontiers de «corps à corps avec le pouvoir» pour transformer l’entreprise. «Je suis sans concession avec ceux qui la dirigent», souligne-t-elle. D’ailleurs, observe Charlotte d’Aulnois, les patron(ne)s, qui se sentent souvent très seul(e)s au sommet, apprécient qu’on leur parle sans détour. Pas question non plus de se laisser instrumentaliser par ses mandataires, comme c’est souvent le cas lorsque les directions générales font appel à des consultants extérieurs. Quitte à refuser un contrat. Sa mission ultime consiste ainsi à détoxifier et à «mettre en puissance», là encore l’un de ses leitmotivs, l’ensemble de l’organisation. Une pulsion qui s’enracine dans son vécu managérial, mais aussi dans une histoire personnelle mouvementée. 

Lorsque vous naissez fille et rêvez de prendre en main votre destin, l’éducation de rigueur dans une famille très bourgeoise ne vous laisse pas indemne. Aînée de cinq enfants, opposée à un père ingénieur au tempérament autoritaire, Charlotte d’Aulnois se révolte très tôt contre les conditionnements familiaux. Elle a de l’avance à l’école, elle s’est engagée à fond dans le scoutisme et l’équitation. Elle se voit mal jouer les sages demoiselles et s’organise elle-même pour poursuivre ses études après son bachelor. L’été, elle travaille comme monitrice de colonies de vacances. Elle emprunte de l’argent à sa grand-mère. Son modèle, une femme indépendante qui s’est débrouillée, après-guerre, pour élever en grande partie seule ses trois enfants et rebondir. «On m’a souvent dit que nous nous ressemblions et que nous avions la même énergie de feu. J’ai tellement d’admiration pour les personnes qui transforment leurs accidents de vie en une force au service des autres.»

Bio express

1976
Naissance à Paris, l’aînée d’une famille de cinq enfants

1998
MBA aux Etats-Unis, au Boston College

2000
Retour en France, travaille chez Bayer CropScience

2004
Rejoint Fischer Connectors dans la région de Morges comme directrice marketing

2006
Commence une carrière d’enseignante à l’EHL et à l’IMD

2012
Intègre la direction des glaces Mövenpick

2015
Création de Generative-Humanae

Encouragée par un professeur, Charlotte d’Aulnois part à Boston pour faire son MBA. Elle y rencontre son mari, d’origine fribourgeoise, de onze ans son aîné, le père de ses deux premiers enfants, dont elle est aujourd’hui divorcée. A la fin de ses études, elle a décroché un stage au sein du légendaire cabinet de conseil en stratégie Arthur D. Little, qui lui permet une immersion totale dans la culture du business à l’américaine. Elle revient ensuite en France pour travailler chez Bayer CropScience, comme responsable de marque des produits phytosanitaires.

«Cette filiale du groupe Bayer, ancrée en Allemagne, avait clairement une longueur d’avance en matière d’écologie et cherchait à réduire au maximum la nocivité des herbicides et des fongicides.» Ces années furent sans doute les plus heureuses de sa vie de salariée d’une grande entreprise et elle se souvient avec émotion de son chef d’alors, remarquable dans sa capacité à motiver les troupes et mû par un fort sens éthique. Quelque temps plus tard, à 25 ans, elle tombe enceinte de sa première fille et va devoir passer près de sept mois alitée. «Moi, l’hyperactive, je devais laisser la place à autre chose.»

Le syndrome du coeur brisé

Par contraste, ses deux années comme cheffe du marketing du groupe Fischer Connectors, basé dans la région de Morges, qu’elle a rejoint après son congé maternité, lui font découvrir la brutalité managériale en action. Du jour au lendemain, sans explication, elle se voit licenciée avec trois autres membres de la direction, dont le CEO. Au lendemain d’un week-end, un Securitas l’accompagne pour vider son bureau et récupérer ses affaires personnelles. Le choc! Elle retrouve rapidement un poste dans la région, chez Medronic, le géant de la medtech. Mais après quelques mois, enceinte de sa deuxième fille, elle tombe terrassée par ce qu’on appelle le syndrome du cœur brisé ou takot-subo, selon la terminologie de cardiologues japonais. Elle est sauvée de justesse au CHUV, où elle tente aussi de comprendre les raisons du violent coup de stress qui a failli lui coûter la vie. Pour son médecin, c’est clair: il faut qu’elle en fasse moins, elle qui a foncé dans ses études et sa carrière pour se sentir libre. On notera au passage l’ironie cruelle de la situation, le groupe Medtronic restant le premier producteur mondial de pacemakers. «Je me donnais entièrement et sans protection, confie-t-elle. Le moment était venu d’adopter un rythme plus raisonnable.»

Commence alors une période pendant laquelle elle enseigne le leadership à l’EHL et à l’IMD, se réinvente («j’ai résilié», dit-elle), s’intéresse de manière systématique à une approche neurocognitive des entreprises. Désireuse de renouer avec la pratique, après ces quelques années de recul, elle rejoint Nestlé comme codirectrice des glaces Mövenpick, où elle passera deux ans tout en complétant, pendant les week-ends et les vacances, ses connaissances en neurosciences et en coaching, validées par des diplômes dans ces deux disciplines.

«Il faut beaucoup de force pour monter son entreprise. Ma mère est une source d’inspiration. Mon rêve: créer un jour ma propre société.»

 

Ce nouveau passage dans les étages d’un grand groupe va conforter une intuition. Si elle veut contribuer à libérer le potentiel des entreprises, son grand dessein, mieux vaut opérer de l’extérieur. GenerativeHumanae est née. D’abord comme un one woman show avant que Charlotte d’Aulnois ne constitue, avec la multiplication de ses mandats, une équipe de consultants et consultantes âgés de 45 à 80 ans. Diversité des compétences et des générations, telle est sa devise. Un dynamisme qui suscite aujourd’hui chez sa fille Lou, 18 ans, bachelière, une grande admiration. «Il faut beaucoup de force pour monter son entreprise. Ma mère était seule, au début, dans un monde qui reste dur, en particulier pour les femmes. Elle est une source d’inspiration, j’aimerais faire le même métier. Mon rêve: créer un jour ma propre société.»

Redonner de l'élan à un management devenu statique

Mais revenons au premier client de Generative-Humanae qui va lui permettre de décoller: une grande marque horlogère et joaillière dont les unités de production sont solidement implantées en Suisse, à La Chaux-de-Fonds, à Fribourg et à Glovelier. L’objectif de l’époque est alors de «réveiller la belle endormie». Un pari réussi puisqu’un point de croissance a été très officiellement attribué par la direction de l’entreprise au travail de Charlotte d’Aulnois et de son équipe, tant et si bien qu’elle a été, par la suite, mandatée pour des missions dans d’autres parties du groupe. Au sein d’une grande banque de gestion de fortune genevoise, c’est le nombre des projets (plus d’une centaine) qui a découragé les équipes, nourri les conflits de personnes et paralysé l’entreprise. Avec comme point de départ la redéfinition des priorités de la direction, la «mise en puissance» des équipes s’est là encore soldée par un regain de dynamisme managérial et économique, nous explique Charlotte d’Aulnois.

Autre cas, celui de Del West Europe, une entreprise de mécanique active dans la F1 et l’horlogerie de luxe, employant une centaine de collaborateurs à Roche, près de Villeneuve, sur les 300 que compte le groupe. «La pandémie a fait chuter nos commandes, explique son CEO, Olivier Conne, et je me suis dit que, vu les circonstances, il était plus utile d’investir dans notre équipe de direction plutôt que dans l’achat de nouvelles machines.» S’est ensuivi un exercice d’introspection et la mise en place d’un plan d’action à deux ou trois ans qui semble avoir fait des miracles. «Charlotte d’Aulnois a une capacité admirable à pousser les individus à exprimer ce qu’il y a de meilleur en eux et à donner ainsi un nouvel élan à un management devenu, au fil des ans, un peu statique.» Voilà pour le secteur privé.

Mais GenerativeHumanae est aussi régulièrement sollicitée par des institutions publiques. Par exemple l’Etat de Vaud et le CHUV, là encore durant de la pandémie. Entre mai 2020 et mars 2021, aux côtés de la Direction générale de la santé (DGS), le cabinet intervient pour éviter la «crise dans la crise», il contribue à calmer les peurs et les résistances internes, il incite les responsables à concentrer leurs ressources sur les actions de terrain comme la mise en place des centres de vaccination. «Une vraie mission de commando», se souvient Charlotte d’Aulnois.

Se libérer des limites imposées par les autres

On n’entrera pas dans le détail des outils utilisés comme, par exemple, la méthode Wave du groupe Saville sur l’analyse et le diagnostic des talents. Ou le recours à l’approche dite «bam, bam, bam» de Robert Dilts, un consultant et auteur américain qui s’appuie sur la programmation neuro-linguistique (PNL) et qui, pour mobiliser les individus autour d’ambitions collectives, a développé une méthode unique. Une approche utilisée d’ailleurs avec succès par Elon Musk au sein de Tesla. Charlotte d’Aulnois dit se reposer avant tout sur son intuition et donc sa capacité à saisir ce qui fait la particularité de chaque situation. Les tarifs de GenerativeHumanae: 2500 francs à la journée. Et sensiblement plus quand la cheffe de la société est impliquée directement «Nos clients sont heureux de l’investissement, je vous l’assure. Aussi parce que les effets durent et perdurent après notre départ.» Et de préciser: «Pour des petites entreprises sans moyens, nous intervenons parfois pro bono.»

Au moment de nous séparer, Charlotte d’Aulnois nous fera cadeau du livre dont le titre sonne comme un mantra, Avoir le courage de ne pas être aimé (Guy Trédaniel Editeur). Vendu à 3,6 millions d’exemplaires en Asie, cet ouvrage, coécrit par les Japonais Ichiro Kishimi, un spécialiste de la philosophie platonicienne et de la psychologie adlérienne, et l’écrivain Fumitake Koga, postule qu’il est essentiel de s’abstraire des injonctions sociales pour avancer dans la vie. On comprendra ainsi, de manière plus nette encore, qu’avant d’être experte dans l’art de détoxifier les entreprises et de débloquer leur plein potentiel Charlotte d’Aulnois a d’abord dû apprendre à se libérer elle-même des limites que d’autres ont voulu lui imposer.