«Il fait trop beau pour travailler, ça, c’est un temps à ne pas se fatiguer, prenons vite le large et vive la liberté, il fait trop bôôô pour travailler.» C’était en 1964, une chanson des Parisiennes. Aujourd’hui, soixante ans plus tard, le concept revient sous la forme d’un mot anglais, of course, et terrorise le monde merveilleux des RH.
Nous parlons de quiet vacationing. Un thème qui a été exploré cet été dans La Matinale radio de la RTS et qui a fait beaucoup réagir. On récapitule: l’expression fait écho au phénomène du quiet quitting, traduit en français par «démission silencieuse» et qui consiste en très résumé à ne faire que le minimum syndical au boulot pour préserver sa santé mentale et son équilibre personnel. Donc, le quiet vacationing pourrait se traduire par «vacances silencieuses» et consiste cette fois à prendre des congés en «scred». C’est--à-dire que vous partez en vacances, parfois même à l’étranger, mais vous ne dites rien à la chefferie, et comme vous êtes en télétravail, hop, ni vu ni connu!
Il y a des «astuces» pour ne pas se faire piquer, genre participer aux séances visio capitales, en faisant gaffe à bien flouter les palmiers en arrière-fond, répondre aux e-mails essentiels, programmer des envois de messages à 7 heures ou à 21 heures parce que ça fait comme si on effectuait des heures supplémentaires, ou acheter en ligne un gadget qui simule des mouvements de souris (haha, j’ai vérifié, ça existe et ça s’appelle un mouse jiggler).
Le reportage de la RTS a fait réagir sur LinkedIn, réseau social consacré en principe au travail, je dis en principe, car moi, par exemple, je publie plein de trucs de vie quotidienne, animaux, cul, maison, actualité, et on me dit régulièrement «hé ho, on n’est pas sur Facebook ici», passons. Sur ce coup, on parle bien de vie professionnelle et les réactions pleuvent face au quiet vacationing: mon Dieu quelle horreur, la fin du monde est proche, y a plus de valeurs, plus de respect, les jeunes tous des flemmards, et puis c’est scandaleux de diffuser des trucs pour filouter son entreprise, une bonne guerre ne ferait pas de mal, je vous dis.
Alors déjà, je propose que l’on se souvienne du sens du mot quiet en anglais, et que l’on se calme. Primo, ce n’est pas parce qu’on est en télétravail, peu importe l’endroit, que l’on ne fout rien. Deuzio, une seule question importe: le boulot est-il accompli oui ou non et le résultat donne-t-il satisfaction oui ou non? Tertio, la folie des glandeurs ne date pas des millennials ou de la génération Z. Elle a existé de tout temps. Des champions du poil dans la main, bien en présence et visibles de leurs chefs et qui passaient leur vie sur Facebook, de fins stratèges qui arrivaient le matin pour poser leur veste sur le siège et revenaient la chercher l’après-midi après avoir disparu pendant cinq heures, des champions de la délégation qui partaient à 16 h 30 en laissant les juniors mal payés terminer, des ventouses de cafétéria qui y jouaient aux cartes ou aux échecs bien avant qu’on y mette des babyfoots pour ambiancer, des virtuoses de l’arrêt maladie revenant juste le temps de passer au certificat médical suivant, des génies de la note de frais qui se faisaient des repas interminables et arrosés jusqu’à 15 h 30 avec des clients pour des dossiers qui se règlent en trente minutes, ne venez pas me dire que la vie de bureau à l’ancienne était uniquement une ruche d’employés du mois au surtaquet. Quarto, les jeunes se retrouvent dans un monde du travail qui les a essorés dans des stages sous-payés (et souvent pas payés du tout) et ils voient leurs parents se faire jeter à 50 ans comme le papier ménage qui a servi à nettoyer la table, on peut concevoir qu’ils aient une relation un peu plus relâchée à la responsabilité professionnelle et à l’identification à l’entreprise.
En fait, le problème que cela met en évidence n’est pas celui du volume de travail, c’est celui, bien plus important, de la confiance. Dissimuler volontairement à son employeur où l’on est, indépendamment du fait que cela pose des questions cruciales d’assurance, est un mensonge, et en ce sens susceptible d’entraîner un licenciement. Dans un monde idéal, personne ne penserait à faire ça. Les ressources ou relations humaines si bien nommées permettraient aux gens d’aménager leur temps dans un cadre clair et des responsabilités définies. Vu le climat de tension dans le monde professionnel, on en est loin, semble-t-il. Les vacances silencieuses sont un symptôme. Un peu de vacances bruyantes pour y réfléchir?