Difficile de trouver chaussure à son pied lorsqu’on parle de logiciels financiers. Trois fiduciaires donnent leur appréciation et leurs conseils pour faire le bon choix. Sébastien Charpié, de Muller Christe et Associés, à Neuchâtel et Arc jurassien, Jérôme Chincarini, de Synergix, à Nyon, et Dany Ferraro, de Safe, à Genève, évoquent les avantages et les faiblesses de plusieurs logiciels connus des entreprises romandes.
Comment les solutions de gestion financière ont-elles évolué ces dernières années?
Le développement des interfaces cloud a tout changé. Les fiduciaires peuvent désormais se connecter à distance à la comptabilité interne des entreprises et y récupérer des informations via les API (interfaces de programmation d’application). La plupart des fiduciaires jonglent ainsi entre une quinzaine de logiciels ou ERP (pour Enterprise Resource Planning) différents pour faire la comptabilité ou la révision de leurs entreprises clientes. Une autre approche est celle de la fiduciaire Synergix, qui propose le même outil de comptabilité à tous ses clients. La PME doit s’adapter et connecter son environnement à la fiduciaire.
Quels sont les paramètres à prendre en compte au moment d’acquérir ou de changer de logiciel de finance?
Très souvent, les logiciels métiers ou l’ERP, ainsi que la taille de l’entreprise, déterminent le choix du logiciel financier. Par exemple, en Suisse romande, nos interlocuteurs soulignent que les PME industrielles commencent souvent avec ProConcept (développé à Sonceboz), puis passent sur Microsoft Dynamics NAV ou SAP. La construction a un logiciel de référence: Baubit Pro, couplé à A3. Opale sera pour les métiers de la santé. Pour une PME de 50 personnes, Mega ERP va remplir beaucoup de besoins. A noter qu’Abacus a investi dans Swiss21 pour les TPE, afin de concurrencer Bexio, leader en Suisse.
L’autre paramètre essentiel est d’identifier vos besoins réels: nombre de factures par mois, prévision de croissance, activité B2B ou B2C, est-ce que j’ai des stocks, des assets, une TVA particulière? Ai-je besoin d’analytique? Est-ce que je travaille en local ou dans le cloud? Suis-je encore sur factures papier ou suis-je passé à la GED? Un autre conseil avisé est de voir ce qu’utilise la concurrence et d’aller tester chez elle. Cela se fait de plus en plus, via les clubs utilisateurs.
Pourquoi les logiciels métiers sont-ils si importants?
L’interopérabilité entre les différentes interfaces est centrale pour éviter de devoir reporter les données manuellement d’un logiciel à un autre. Ce n’est de loin pas toujours le cas et cela implique ensuite des développements coûteux. Votre solution doit idéalement s’interconnecter à votre logiciel métier, qui a des spécificités pointues. Dans l’horlogerie, les interfaces ont une nomenclature propre, comptent en carats, insèrent le taux de change... Dans la construction, la gestion des temporaires, des machines et des stocks est complexe et doit être reprise par la solution financière.
Il existe des connecteurs qui transfèrent les données automatiquement d’un logiciel à l’autre. L’un des plus connus est Zapier, mais il ignore les logiciels métiers suisses, le marché étant trop petit. Spiderbus.ch ou Integraal-solutions.ch proposent des connecteurs pour la Suisse.
Quels sont les autres points souvent négligés lors de la prise de décision?
Dans certaines PME, l’infrastructure IT n’est pas fiable et sécurisée pour accueillir une nouvelle solution. Par ailleurs, quelques logiciels demandent beaucoup de ressources et ralentissent votre environnement informatique. Très vite, la question de passer sur le cloud ou d’investir dans un nouveau serveur à 40 000 francs doit être posée. Ces coûts entrent dans la réflexion. Il faut challenger le vendeur de logiciels en intégrant votre partenaire IT. Un plus est d’avoir un seul et même partenaire, car vous bénéficiez d’un écosystème cohérent.
A noter que l’avantage d’une approche cloud est qu’elle engendre peu de frais d’installation et de maintenance. Le système est toujours à jour et consultable de partout.
En outre, on sous-estime l’impact de la migration des données. De même, le temps d’apprentissage du nouvel outil et la phase de testing en amont demandent aussi des ressources à l’interne. L’intégrateur ne peut pas faire le travail seul. L’investissement du client et de ses collaborateurs est essentiel. Sans maîtrise technique, la puissance du logiciel n’est rien.
Que penser des logiciels gratuits, très bon marché ou provenant de l’étranger?
Qui dit gratuit ou bon marché dit vite bridé et un nombre de transactions rapidement dépassé. S’intéresser à l’éditeur, à son modèle d’affaires et à sa hotline est conseillé encore plus que par le passé. On a tous entendu parler de la panne de Winbiz à fin 2022. Des milliers de PME n’ont plus pu facturer. Le logiciel longtemps bon marché avait augmenté ses tarifs à la suite de son rachat par le groupe français Fiducial, mais les actualisations peinaient à suivre. Les logiciels Sage ou Run My Accounts ont aussi été rachetés par un groupe autrichien, Infoniqa. Quant à Odoo (belge) et Xero (néo-zélandais), ils sont bon marché, mais difficiles à paramétrer avec le droit suisse.
A l’inverse, WinEUR (GIT) ou Crésus, logiciels développés respectivement à Genève et à Yverdon, affichent une stabilité confirmée. Crésus serait le meilleur pour les salaires, même s’il reste destiné à des structures modestes et offre des fonctionnalités limitées. Intégrant certains paramètres financiers, la solution sur mesure 100% web Aubep mérite encore de faire ses preuves pour confirmer les promesses annoncées.
Comment savoir si c’est le bon prix et le bon outil pour ma PME?
Ce qui bloque souvent dans le processus, c’est le budget. L’écart est énorme entre un logiciel de comptabilité simple tel que Banana à 69 francs par an et un ERP Abacus multimodules à plusieurs dizaines de milliers de francs par an. Comme toujours, la taille, le secteur de l’entreprise, le nombre de licences et de fonctionnalités déterminent la facture finale.
Attention cependant à ne pas prendre un outil qui demande du développement, rapidement très coûteux. Autre conseil: réfléchir au coût d’opportunité, au temps investi par une personne en interne, au prix du logiciel et à sa maintenance. Selon le domaine d’expertise, la sous-traitance complète de sa comptabilité à une fiduciaire est parfois meilleur marché.
La France passe à la facturation électronique. La Suisse va-t-elle être impactée?
Initialement prévue pour le 1er juillet 2024, l’obligation d’émettre des factures électroniques va entrer en vigueur en France au 1er septembre 2026 pour les grandes et moyennes entreprises et dès juillet 2027 pour les autres. L’obligation de recevoir des factures électroniques s’appliquera à l’ensemble des entreprises dès le 1er septembre 2026. Les entreprises suisses facturant à des clients européens devront donc se mettre à jour avant cette date. Ce modèle permet d’automatiser la comptabilité et empêche de tricher avec son décompte de TVA.
La Suisse va certainement s’y mettre aussi. Actuellement, plusieurs logiciels disposent déjà de la fonctionnalité transmission automatique du décompte de TVA. Par ailleurs, l’association Swissdec, qui réunit des administrations, des caisses et des assurances, s’est arrêtée sur la norme ELM 5.0. pour l’envoi automatique de données salariales, par exemple.
Quelle perspective avec l’intégration de l’IA dans les logiciels?
Avec l’IA et l’automatisation, on se dirige vers une accélération et une augmentation des données financières exploitables par les PME. Les entreprises souhaitent davantage d’analyses chiffrées, à jour rapidement et leur permettant de prendre des décisions. Le bémol actuellement est qu’il y a un fossé entre cette tendance et un certain nombre de patrons prenant encore des décisions en regardant ce qu’il y a sur leur compte bancaire, ce qui n’est qu’un indicateur parmi d’autres.