Le blues automnal a pris ses quartiers et vous tire déjà vers le bas? Comme beaucoup de Suisses, peut-être n’êtes-vous pas très en forme au travail, comme le reflète le Job Stress Index 2022, qui calcule le ratio moyen entre contraintes et ressources au travail de la population active. Depuis 2014, Promotion Santé Suisse publie ce baromètre avec la collaboration de l’Université de Berne et la Haute Ecole de sciences appliquées de Zurich (ZHAW).
Le stress et la santé mentale en Suisse
En 2022, année du retour de la guerre en Europe et de la fin du masque sanitaire, un tiers des actifs suisses se disaient émotionnellement épuisés. Fatigue, stress, dépression, burn-out, addictions, les problèmes de santé mentale et leurs conséquences ont engendré un coût estimé à 6,5 milliards de francs pour l’économie suisse. C’est beaucoup, mais moins qu’en 2020 (7,6 milliards de francs).
Depuis, on parle beaucoup de santé mentale via des campagnes de prévention et d’information, des conférences, des stages et des questionnaires en ligne pour évaluer sa propre santé mentale et les risques psychosociaux qui pourraient nous affecter. Même les assureurs maladie s’y mettent à coups d’affiches publicitaires et de newsletters-conseils. Preuve qu’il y a un marché.
La prise de conscience des entreprises
Mais quid des entreprises? En première ligne sur ces enjeux, elles sont de plus en plus nombreuses à s’investir dans le bien-être de leurs collaborateurs afin de limiter l’absentéisme et le turnover. Marc Friederich, cofondateur en 2008 de l’agence romande Antistatique, spécialisée dans le web, le branding et le marketing, a toujours été patron. Mais un patron bienveillant, sensible au bien-être de ses équipes: «Nous avions mis en place, par exemple, un questionnaire anonyme pour toute l’agence auquel il fallait répondre toutes les deux semaines: suis-je stressé, l’ambiance est-elle bonne, suis-je heureux dans mes projets? Les réponses nous permettent de prendre la température.» Elles n’évitent pourtant pas les cas d’épuisement.
Le covid est un détonateur. Dès 2020, la santé mentale de plusieurs collaborateurs et collaboratrices se détériore avec, à la clé, des arrêts maladie longue durée: «La première chose que l’on se dit en tant que dirigeant, c’est: pourquoi nous n’avons pas vu les choses plus tôt? Comment aurait-on pu mieux faire avant qu’il ne soit trop tard? Est-ce que c’est notre faute? Et puis on s’est rendu compte que l’on n’était pas outillés. Nous n’avions pas de formation dans le domaine.» Antistatique décide de faire appel aux formations de Catherine Vasey, psychologue et fondatrice de NoBurnout, spécialisée dans la prévention de l’épuisement professionnel. L’initiative est suivie de mesures. Chaque collaborateur et collaboratrice a deux référents, soit un coach métier et une autre pour tous les aspects qui n’y sont pas purement liés. Reste à savoir si ces initiatives porteront leurs fruits: «En tant qu’employeur, on reste humain et compréhensif face aux situations de vie, mais ce n’est pas évident de juger à quel point on fait juste ou faux.»
Les effets de la pandémie sur les travailleurs
La pandémie de covid a donc levé le voile sur un tabou. Mais, paradoxe à l’ère où le bonheur au travail est érigé en religion, elle est aussi un point de bascule pour les entreprises qui enregistrent une explosion des cas d’épuisement professionnel: «Il y a plusieurs hypothèses à cela, explique Chloé Saas, cheffe des relations publiques et membre de la direction de Promotion Santé Suisse. On peut citer l’éco-anxiété, la situation géopolitique, l’incertitude en général. Et dans la sphère professionnelle, il y a le numérique, la vélocité qui changent les rapports au travail.»
Cette soudaine visibilité des facteurs de risques psychosociaux et la normalisation du fait de ne pas aller bien à un moment de sa vie ou de sa carrière ont modifié le regard et l’approche des entreprises. Un changement de taille: «A l’époque, quand on parlait de santé au travail, on évoquait surtout la santé physique, l’ergonomie, souligne Chloé Saas. Avec la prise en compte des risques psychosociaux, elles réalisent qu’un collaborateur qui va mal va avoir un impact sur l’ensemble de l’entreprise par son absence, la gestion des assurances et une plus grande charge de travail sur le reste des équipes.»
En tant que psychologue du travail et des organisations, Anny Wahlen constate aussi une augmentation des problèmes de santé mentale depuis le covid, mais avec des effets propres à chaque individu: «On est sur une constellation de facteurs liés à la sphère privée du collaborateur, à ce qu’il est en tant que personne, comment il s’est construit et des facteurs liés au contexte professionnel, explique-t-elle. C’est un mélange susceptible de dégrader la situation à un moment donné. L’employeur doit protéger la santé mentale et physique de son employé, sans être intrusif.»
Ce travail d’équilibriste complique la tâche des employeurs, souvent mal outillés: «Je sens qu’il y a encore un grand tabou et une méconnaissance de la problématique. Il ne faut pas la diaboliser et donner l’ouverture pour en parler. Il ne faut pas croire que les petites PME ne peuvent pas s’offrir des conseils externes ou se former. L’enjeu, pour elles, c’est d’arriver à porter un nouveau regard sur la santé mentale et de voir ce qui est faisable dans leur sphère d’influence de PME.»
Remise en question de l’organisation du travail
Au-delà de l’aspect purement sanitaire, l’augmentation des cas de maladies liées à la santé mentale est, selon Anny Wahlen, une remise en question de l’organisation du travail: «C’est devenu une question transversale. Ce n’est plus seulement le métier qui peut être à risque, mais les conditions d’exercice. Nous sommes arrivés au bout du bout des modèles d’organisation du travail hérités des années 1990. Tout ce mouvement reposant sur la rentabilité, du toujours plus avec moins, a drainé les ressources des organisations et des individus.»
Brice Le Mentec est depuis 2023 responsable du service aux collaborateurs des Transports publics de la région lausannoise (TL). Une entreprise de plus de 1800 personnes, pour laquelle le taux de problématiques de santé mentale représente près de 40% des causes des arrêts de longue durée (plus d’un mois). A son arrivée, Brice Le Mentec a donc pris le taureau par les cornes: «Chaque année, nous menons des analyses ciblées. On sait que certaines équipes, dans la conduite par exemple, sont plus exposées. Nous formons également les managers à la détection des risques psychosociaux.»
Pourtant, de nombreux cas sont encore détectés trop tard: «Depuis plusieurs années, des psychologues du travail, de la santé mentale et des psychologues d’urgence sont à la disposition des managers ainsi qu’une équipe dédiée interne sur la santé. Les TL peuvent dans certains cas mandater des experts extérieurs afin de favoriser la parole et la médiation pour mieux traiter les cas de conflits interpersonnels ou au sein d’une équipe», souligne Brice Le Mentec.
Les TL proposent aussi des programmes d’accompagnement dédiés à la problématique spécifique d’un collaborateur touché afin de l’aider à gérer ses ressources dans la sphère professionnelle: «Nous ne pouvons malheureusement pas agir sur les problèmes personnels de la personne. Par contre, nous devons agir sur le pilier professionnel afin d’éviter que nos collaborateurs franchissent le seuil où il est trop tard.
Promotion Santé Suisse met gratuitement sur son site trois guides à disposition des entreprises sur les manières d’aborder la santé en entreprise, notamment la santé mentale. Lorsqu’une personne est en arrêt, l’employeur peut l’orienter vers les mesures d’intervention précoces de l’assurance invalidité. Celle-ci offre des prestations d’accompagnements externes afin d’aménager un retour au travail dans de nouvelles conditions.
L’employeur peut également agir sur le management par le biais d’une personne externe faisant le lien entre l’entreprise, les assurances, le médecin et la personne absente afin de déterminer les raisons de l’arrêt.
Des formations, comme ENSA, sensibilisent les collaborateurs aux problématiques de santé mentale. Il existe également le Job Stress Analysis, un questionnaire en ligne faisant office de baromètre au niveau de l’entreprise. Quant aux petites PME, elles peuvent consulter le site friendlyworkspace.ch, qui fournit tout un tas de documents et d’outils à leur disposition.